B. - La base incertaine de cet équilibre en présence de biens attribués en nuepropriété 7 - Il n’est pas rare que le disposant entende se réserver l’usufruit sur certains des biens transmis. Une telle stipulation, dans une donation simple, a pour effet la réunion fictive15 et le rapport des biens donnés pour leur valeur en pleine propriété16. Une solution similaire s’impose pour la donation-partage si les biens sont évalués pour leur valeur au décès, puisque le copartagé est, à cette date, devenu plein propriétaire. Si, au contraire, les conditions de l’article 1078 du Code civil sont réunies, la réunion fictive des biens donnés avec réserve d’usufruit s’effectue pour leur valeur au jour de l’acte. REMARQUE Selon certains auteurs, il convient, par analogie, de retenir leur valeur en pleine propriété17 tandis que d’autres préconisent de se fonder sur leur valeur en nue-propriété18. Cette dernière solution paraît plus conforme à ce que permet la donation-partage : s’assurer que l’équilibre organisé par le disposant entre les copartagés à la date de l’acte soit conservé. Comptabiliser, lors de la réunion fictive, la pleine propriété des biens transmis avec réserve d’usufruit par le disposant risque, ensuite, de remettre en cause cet équilibre. 8 - Dans le cadre d’une donation-partage, le disposant organise une répartition de son patrimoine dont l’équilibre doit être acceptable pour ses héritiers. S’il attribue un bien avec réserve d’usufruit à l’un d’eux en lui demandant de verser immédiatement une soulte à l’autre, le premier n’y consentira que si celle-ci est évaluée en fonction des droits en nue-propriété qu’il détient au jour de l’acte, et non au regard des droits en pleine propriété qui seront les siens lors de la succession du disposant. Le disposant qui retient cette base d’évaluation n’entend pas consentir un avantage supplémentaire au premier par rapport au second, car ce dernier pourra immédiatement utiliser et investir les sommes reçues, tandis que la jouissance du premier sera différée jusqu’au décès du disposant. La réunion fictive de son lot pour la pleine propriété conduit cependant à l’appréhender comme un complément de libéralité, susceptible de réduction. La garantie de l’équilibre réalisé à travers la donation-partage commande, au contraire, une réunion fictive pour la seule nue-propriété reçue lors de l’acte19. 9 - Les conséquences de la stipulation fréquente dans cette hypothèse 15 Cass. 1re civ., 14 oct. 1981 : RTD civ. 1982, p. 641. 16 Cass. 1re civ., 17 nov. 1971 : Defrénois 1972, art. 30044. – Cass. 1re civ., 5 févr. 1975 : JCP N 1976, 18249, note M. Dagot. – Dans le même sens : Cass. 1re civ., 28 sept. 2011, n° 10-20.354 : JurisData n° 2011-020470 ; Dr. famille 2011, comm. 172, B. Beignier. 17 P. Catala, La réforme des liquidations successorales : Defrénois, 3e éd., 1982, n° 123, note 457 ; JCl. Notarial Formulaire, fasc. 240 : Quotité disponible et réserve, par M. Mathieu, n° 37. – Pour une critique des effets de cette évaluation : E. Naudin et M. Iwanesko, Donation-partage et transmission en nue-propriété, Égalité économique ou orthodoxie juridique ? : JCP N 2016, n° 48, 1324 ; V. réf. infra. 18 G. Soudey, Réunion fictive d’une donation-partage consentie, pour partie, en nue-propriété : JCP N 2013, n° 13, act. 406. – A. Karm, La donation-partage avec soulte : aspects civils : JCP N 2019, 1315. – X. Grosjean, La donation d’usufruit d’un bien antérieurement donné en nue-propriété : aspects fiscaux : JCP N 2020, n° 52, 1266. 19 Il est alors conseillé, même si la validité de cette disposition n’est pas certaine, d’indiquer dans l’acte l’intention du disposant que la réunion fictive s’opère pour la valeur en nue-propriété des biens donnés. 20 C’est le raisonnement retenu par : CA Limoges, 26 mars 2015, n° 14/00020. 21 Cass. 1re civ., 11 sept. 2013, n° 12-14.843 : JurisData n° 2013-018916 ; Bull. civ. I, n° 170 ; Dr. famille 2013, n°12, com. 167, M. Nicod : la Cour de cassation estime que, « en se référant à la notion extrêmement large de « circonstances économiques », le législateur n’a entendu exclure que les variations de valeur imputables à des événements fortuits affectant l’état du bien ou à l’action du débiteur sur ce même état ». 22 D. Epailly, 70 questions de donation-partage : Cridon sud-ouest, n° 492. L’auteur évoque un rapprochement mais estime qu’une assimilation n’est pas, à tout point de vue, possible. 23 JCl. Notarial Répertoire, V° Contrat et obligations, fasc. 7-3, n° 67, par M. Mignot. d’un paiement à terme de la soulte, postérieurement au décès du disposant, interrogent. En ce cas, l’évaluation, dans l’acte, de la soulte au regard des seuls droits en nue-propriété de son débiteur reste seule apte à garantir l’équilibre prévu entre ses droits et ceux du créancier, s’il vient à renoncer au terme et régler la soulte du vivant du disposant. Si la soulte est payée au terme prévu, elle est soumise, comme dans l’hypothèse précédente, à l’article 828 qui prévoit sa réévaluation si la valeur des biens donnés du soulte a évolué de plus du quart, « par suite de circonstances économiques ». 10 - Une interprétation restrictive de cette disposition pourrait inciter à ne pas tenir compte du fait que le débiteur est devenu plein propriétaire entretemps20. Le sens du texte pourrait, toutefois, faire tendre à une interprétation plus souple, excluant principalement la prise en compte des plus ou moins-values imputables au débiteur de la soulte21, comme en matière de réunion fictive ou de rapport. Cela permettrait de revaloriser la soulte en fonction de la valeur des droits réels de son débiteur lors du paiement. 11 - Ainsi, la réunion fictive resterait fondée sur les valeurs figées à l’acte des biens partagés, correspondant à la nue-propriété reçue par le débiteur de la soulte et au montant initialement prévu de celle-ci pour son créancier. Mais, lors du paiement, l’équilibre souhaité entre leurs droits par le disposant serait pleinement garanti. En effet, au-delà du seul équilibre interne entre leurs droits consenti par les créancier et débiteur de la soulte, doit aussi être garanti l’équilibre entre leurs droits souhaité par le disposant car, une fois la soulte réglée, celle-ci sera réputée provenir directement de lui. 2. Entre rapport tripartite et double rapport bilatéral 12 - L’obligation faite à un copartagé de s’acquitter d’une soulte est souvent assimilée à une libéralité avec charge22, elle-même analysée comme une stipulation pour autrui23. Tant que la soulte n’a pas été payée, cela se justifie puisque le disposant, stipulant, attend du débiteur de la soulte, promettant, qu’il s’acquitte de celle-ci au profit de son créancier, bénéficiaire, qui peut agir directement à son encontre, en cas de défaut de paiement. Cependant, une fois la soulte réglée, du fait de l’effet rétroactif du partage, le créancier est réputé l’avoir reçue directement du disposant et le rôle du débiteur dans son versement est presque occulté. C’est alors l’aspect bilatéral des accords passés au titre de la donation-partage entre le disposant et les coAu-delà du seul équilibre interne entre leurs droits consenti par les créancier et débiteur de la soulte, doit aussi être garanti l’équilibre entre leurs droits souhaité par le disposant - 23 - LE GUIDE DES ASSOCIATIONS & FONDATIONS 2023 ÉTUDE FAMILLE
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