Legs et Donations 2023

dans le célèbre arrêt Gougay, que constitue une libéralité-partage le fait pout un disposant d’attribuer à un copartagé un bien unique, à charge pour lui de s’acquitter d’une soulte en faveur des autres4. D’autre part, le faible nombre de donations-partages inégalitaires tient à ce que celles-ci organisent une répartition du patrimoine du disposant qui est le fruit d’accords bilatéraux qu’il a passés avec chacun des copartagés5. Et, afin d’obtenir la participation à l’acte6 de l’ensemble de ses héritiers présomptifs, il est incité à garantir un équilibre entre les droits de tous, acceptable par chacun. 2 - De fait, lorsqu’un gratifié est alloti de biens en nature mais doit verser une soulte à un copartagé, tant le premier que le second entendent généralement s’assurer de ce que le montant prévu assure un équilibre interne7 entre leurs droits respectifs8. Dans l’attente du paiement, ces deux copartagés ont un rapport direct permettant au premier de réclamer au second les sommes dues, et à chacun de s’assurer du maintien, dans une certaine mesure, de l’équilibre prévu, si la soulte est à terme. Ainsi, la soulte engendre, provisoirement, un rapport tripartite entre le disposant, le créancier et le débiteur de la soulte. À l’inverse, une fois son paiement effectué, les liens entre les deux copartagés sont occultés car, du fait de l’effet rétroactif du partage, le créancier est réputé avoir directement reçu les sommes en cause du disposant. 3 - Ainsi, la stipulation d’une soulte, outil permettant au disposant d’atteindre, dans sa libéralité-partage, un certain équilibre entre les droits accordés aux copartagés, doit, aussi, garantir un équilibre interne entre les droits des créancier et débiteur de la soulte (1). Elle engendre une relation tripartite autour de la demande en paiement, co-existant avec le double rapport bilatéral qui lie chaque copartagé au disposant (2). 1. Élément d’équilibre interne à la libéralité-partage 4 - L’action en réduction est seule à pouvoir remettre en cause une libéralité-partage valablement passée. La vérification de l’absence d’atteinte portée à la réserve par cet acte, suppose, au décès du disposant, de procéder à une réunion fictive. Celle des biens et soultes reçus par donation-partage se fait, de façon dérogatoire, pour leur valeur au jour de l’acte. Cela reflète la double nature de la libéralité-partage : son effet répartiteur conduit à exclure la prise en compte des plus ou moins-values subies par les biens donnés postérieurement à l’acte tout en contrôlant, dans la mesure des droits accordés à cette date, si elle n’engendre pas une atteinte à la réserve. Cette règle prévue par l’article 1078 du Code civil est écartée en cas d’omission d’un réservataire ou de stipulation d’une réserve d’usufruit sur une somme 4 Cass. civ., 8 déc. 1948 : D. 1949, p. 145, note H. Lalou ; RTD civ. 1949, p. 285, obs. R. Savatier. – Et pour le testament-partage : CA Grenoble, 30 oct. 2000 : JurisData n° 2000-133751. 5 M. Grimaldi, in RTD civ. 2007, p. 614. 6 Car l’omission d’un héritier, surtout réservataire, réduit l’intérêt de l’acte (C. civ., art. 1077-2 et 1078). 7 La situation est quelque peu différente dans le cadre du testament-partage, qui peut aussi comporter des soultes mais dont les montants, comme le reste de la répartition, sont imposés aux héritiers. 8 Ce qui explique que le silence gardé par le débiteur de la soulte sur la valeur réelle des biens qu’il a reçus puisse être constitutif d’un dol à l’égard du créancier de cette soulte : Cass. 1re civ., 17 oct. 2019, n° 18-22.769. 9 Ainsi qu’en présence d’une disposition contraire. 10 Terme auquel il peut renoncer. 11 Cass. 1re civ., 30 nov. 1982, n° 81-15.519 : Bull. civ. I, n° 344. 12 Tant pour une soulte prévue dans le cadre d’une donation-partage que d’un testament-partage. 13 Cass. 1re civ., 6 juill. 2011, n° 10-21.134 : Dr. famille 2011, com. 152, B. Beignier ; JCP N 2011, n°42, 1278, note F. Sauvage ; JCP N 2012, n°21, 1234, n°6, obs. R. Le Guidec ; RLDC 2011, p. 47, comm. Ch. Campels. – Toutefois, une dérogation à la règle de réévaluation peut être prévue, une fois le disposant décédé, entre les copartagés : Cass. 1re civ., 19 janv. 1982, n° 81-10.608 : Bull. civ. I, n° 31. 14 Favorables au seul créancier ou susceptibles de permettre aussi la réduction de la soulte, comme l’autorise le mécanisme légal : A. Karm, La donation-partage avec soulte : aspects civils : JCP N 2019, 1315. d’argent9. Dans les deux cas, les biens sont évalués au décès d’après leur état à la donation (C. civ., art. 922). Et, si des soultes ont été prévues et les sommes réinvesties par leur créancier, les biens subrogés servent de base à leur réévaluation au décès. Cela reste l’exception car, par principe, l’équilibre constitué par le disposant dans l’acte entre les attributions de chacun sert de base à la liquidation de la succession. Quant à l’équilibre interne à la soulte, son maintien est, dans une certaine mesure, garanti si la soulte est à terme. En revanche, la base de cet équilibre est incertaine lorsque le débiteur de la soulte est alloti de biens en nue-propriété. A. - La garantie légale de cet équilibre attachée à la soulte à terme 5 - Il n’est pas rare que le débiteur d’une soulte se voit accorder un délai pour s’acquitter de celle-ci10. Son créancier est alors alloti d’une créance à terme, mais certaine. L’acte satisfait donc l’exigence posée par l’article 1076 du Code civil : que la donation-partage ait uniquement pour objet des biens présents11. Pour autant, le créancier de la soulte à terme subit, jusqu’à la survenance de celui-ci, une privation de jouissance et se trouve dans une situation proche de celle du donataire d’une somme d’argent dont le disposant se serait réservé l’usufruit, exclusive du jeu de l’article 1078 du Code civil. Au contraire, cette stipulation d’une soulte à terme n’empêche pas la fixation des valeurs à la date de la donation-partage, car un mécanisme spécial est prévu, permettant une réévaluation des droits du créancier de la soulte en fonction de ceux de son débiteur. 6 - Les soultes à terme prévues dans une libéralité-partage sont, en effet, soumises à la règle prévue par l’article 828 du Code civil (C. civ., art. 10754) qui prévoit que, lorsque : « par suite des circonstances économiques, la valeur des biens attribués au débiteur de la soulte a augmenté ou diminué de plus du quart depuis l’acte, les sommes restant dues augmentent ou diminuent dans la même proportion ». Cette réévaluation joue en matière de libéralité-partage12 « nonobstant toute convention contraire » (C. civ., art. 1075-4). La Cour de cassation en a conclu qu’une clause conventionnelle de variation de la soulte devait être déclarée non écrite13, en ce qu’elle permettait d’exclure la variabilité légale d’ordre public. Depuis, la doctrine s’interroge sur la validité des clauses de variation conventionnelle plus favorables14. La stipulation de soulte à terme est fréquemment utilisée lorsque le débiteur de la soulte est alloti par le disposant de biens en nue-propriété, situation dans laquelle la base de l’équilibre interne à la soulte est incertaine. - 22 - LE GUIDE DES ASSOCIATIONS & FONDATIONS 2023 ÉTUDE FAMILLE

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