1° L’efficacité de la donation-partage incorporée 23 - Quel est l’effet de l’incorporation partielle sur la donation-partage originaire ? Il convient dans un premier temps de rechercher si l’incorporation anéantit le lot, puis dans cette hypothèse de déterminer l’effet de cet anéantissement sur la donation-partage incorporée. 24 - Pour déterminer si l’incorporation partielle d’un lot anéantit celui-ci dans la donation-partage originaire, il faut s’interroger sur la nature juridique de l’incorporation. Plusieurs conceptions ont été soutenues en doctrine : • selon une première conception, que l’incorporation entraine ou non un changement d’attributaire, elle réaliserait un rapport en valeur (le gratifié conservant le bien) ou en nature (ce qui permet un changement d’attributaire)34. Certes, comme dans le cadre d’un rapport en nature, la masse partagée se trouve augmentée d’un bien antérieurement donné. Mais cette analyse a été justement critiquée35. En effet, l’article 1078-1 du Code civil précise qu’il est possible d’incorporer des donations non rapportables, ce qui exclut la qualification de rapport36 ; • selon une deuxième conception, il faudrait distinguer selon que l’incorporation s’accompagne ou non d’un changement d’attributaire. En cas de changement d’attributaire, l’incorporation serait un cas de novation par changement de cause (C. civ., art. 1329). En l’absence de changement d’attributaire, l’incorporation serait un mutuus dissensus, c’est-à-dire une révocation conventionnelle de la donation antérieure en vue de permettre une nouvelle attribution de son objet37. La donation incorporée aurait alors pour date, non plus celle du transfert d’origine, mais celle de son incorporation ; • selon une troisième conception, plutôt que de la rattacher à une catégorie juridique, il serait préférable de considérer que l’incorporation constitue une institution sui generis38. Pour l’instant, aucune de ces conceptions n’a été entérinée par la Cour de cassation39. 25 - Mais si l’on considère que sa nature est une révocation conventionnelle ou une novation par changement de cause, on peut craindre que l’incorporation entraine l’anéantissement partiel de la donation-partage d’origine. Dès lors, deux risques se présentent : • le premier est celui de la disqualification de la donation-partage antérieure en cas de maintien d’un seul lot. Mais ce risque semble limité. Dans le cadre d’une donation-partage ordinaire, la Cour de cassation affirme en effet que le partage se forme dès que l’un des donataires a accepté son lot40 ; • le deuxième risque est celui de la perte du gel des valeurs dont pouvait bénéficier la donation-partage initiale. A la lecture de l’article 1078 du Code civil, la difficulté consiste à déterminer si, en cas d’incorporation partielle, est 34 P. Catala, La réforme des liquidations successorales : Defrénois, 3e éd., 1982, n° 127. 35 B. Vareille, Volonté, rapport et réduction : PUF, coll. Thèse Limoges, 1988, n° 325. 36 M. Grimaldi, La nature juridique et les enjeux de l’incorporation : Defrénois, 2016, p. 991, n° 7. 37 J. Flour et H. Souleau, Les successions : éd. A. Colin, 1982, n° 557. – Rép. civ. Dalloz, anc. éd., V° Partage d’ascendant, n° 93, J. Patarin. 38 M. Grimaldi, La nature juridique et les enjeux de l’incorporation : Defrénois, 2016, p. 991, n° 10. 39 On notera seulement que selon la Cour de cassation, la fraude paulienne s’apprécie à la date où la donation a été faite et non à celle où elle a été incorporée (Cass. 1re civ., 2 mai 1989, n° 87-16.484 : JurisData n° 1989-701732 ; Bull. civ. I, n° 172). 40 Cass. 1re civ., 13 févr. 2019, n° 18-11.642 : JurisData n° 2019-001941 ; RTD civ. 2019, p. 386, obs. M. Grimaldi ; DEF 3 mai 2019, n° 148, p. 7, obs. B. Vareille ; SNH 25/19, inf., 12, obs. V. ZalewskiSicard ; JCP G 2019, 479, note C. Brenner ; JCP N 2019, n° 41, 1291, note F. Sauvage ; Dr. famille 2019, comm. 108, obs. M. Nicod. 41 JCl. Ingénierie du patrimoine, fasc. 1170, par F. Fruleux, n° 37. 42 A. Bouquemont, De l’utilité des réincorporations transgénérationnelles : JCP N 2014, n° 23, 1214, n° 14.– L. Taudin, Libéralités-partages : LexisNexis, 2016, n° 317. 43 M. Grimaldi et R. Gentilhomme, Rendre transgénérationnelle une donation-partage antérieure : Defrénois 2011, art. 1344, n° 8. 44 F. Sauvage, La donation-partage transgénérationnelle dans tous ses états : Bull. Cridon Paris, 15 déc. 2011, n° 30.– A. Thurel, Les réincorporations transgénérationnelles : JCP N 2012, n° 17, 1203, n° 33. 45 S. Arnaud, S. Ginon et F. Petit, Quelques aspects spécifiques de la donation-partage transgénérationnelle : JCP N 2012, n° 30, 1301, n° 43. respectée la condition que « tous les héritiers réservataires vivants ou représentés au décès de l’ascendant aient reçu un lot dans le partage anticipé et l’aient expressément accepté ». N’allotissant plus tous les héritiers réservataires, la donation-partage d’origine perdrait pour l’opération de réunion fictive le bénéfice du gel des valeurs41. 26 - La solution peut sembler différente lorsque la donation-partage qui incorpore est transgénérationnelle. L’article 1078-8, alinéa 3 du Code civil précise alors que « lorsque tous les enfants de l’ascendant donateur ont donné leur consentement au partage anticipé et qu’il n’a pas été prévu de réserve d’usufruit portant sur une somme d’argent, les biens dont les gratifiés ont été allotis sont évalués selon la règle prévue à l’article 1078 ». Ainsi, on applique l’évaluation dérogatoire prévue par l’article 1078 dès lors que tous les enfants, eux-mêmes ou leurs propres enfants, ont été allotis. Il faut donc prendre en compte chaque souche, et non chaque enfant pris individuellement. En revanche, chacun des enfants du donateur doit consentir à la donation-partage transgénérationnelle. Que faut-il en déduire en cas de réincorporation partielle de la donation-partage d’origine ? 27 - Selon un premier courant doctrinal, une incorporation partielle dans une donation-partage transgénérationnelle, n’intégrant dans la même souche qu’une partie de la donation-partage antérieure, serait sans effets sur cette dernière sur le plan liquidatif lors du règlement de la succession du donateur42. Le professeur Grimaldi considère que « la seconde donation-partage est une donation-partage transgénérationnelle dont le seul effet est de faire glisser les biens, à l’intérieur de chaque souche ou de certaines d’entre elles, de la génération des enfants vers celle des petits-enfants. Il paraît alors plus juste, lorsque la première donation-partage était unanime, de maintenir l’évaluation des biens à la date de celle-ci » et ajoute que « dès lors que, pour le calcul de la réserve, on raisonne par souches, la seconde donation-partage n’a rien changé à la première : elle n’a pas modifié le partage initial »43. 28 - Selon un deuxième courant doctrinal, il ne serait possible d’incorporer dans une donation-partage transgénérationnelle le lot reçu par une seule des souches gratifiées qu’avec le consentement et l’intervention unanime des représentants de toutes les souches alloties dans la donation-partage originaire44. Précisons que ce consentement suffit, sans qu’il soit nécessaire que les représentants des autres souches réincorporent leur lot ou reçoivent un bien dans la nouvelle donation-partage45. Mais le consentement de tous les descendants allotis dans la donation-partage originaire s’avèrera parfois difficile à obtenir. Ce consentement peut-il être prévu, dès l’acte de donation-partage originaire, pour une éventuelle incorporation future ? Certains - 19 - LE GUIDE DES ASSOCIATIONS & FONDATIONS 2023 ÉTUDE FAMILLE
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