cause, prévoit une imposition assise sur la valeur en pleine propriété des biens objet de la transmission. De la sorte, les conseils belges, et leurs clients, n’identifient pas d’intérêt (en tout cas fiscal) particulier à constituer ce démembrement de propriété. En outre, ils rattachent les vertus civiles de ce mode de transmission – à savoir la conservation d’une partie du pouvoir et des revenus – à d’autres institutions plus ancrées dans les usages belges. 2° Les clauses de démembrement de droit belge à l’épreuve du droit français : attention aux faux jumeaux 13 - Le droit belge regorge de mécanismes attachés au démembrement de propriété. Pourtant, la plus grande vigilance est de mise pour le praticien français : derrière des terminologies juridiques familières ou identiques peuvent se dissimuler des concepts partiellement semblables. a) La rente viagère facultative 14 - En Belgique, la donation avec rente viagère facultative jouit d’un succès certain. Sans qu’elle ne crée de démembrement de propriété, elle s’apparente avec la donation avec réserve d’usufruit dans ses effets en permettant au donateur de conserver les revenus sa vie durant. 15 - Plus précisément, à l’occasion de donations, en particulier de comptes titres, la pratique belge a développé le schéma consistant à mettre à la charge du donataire en pleine propriété une rentre viagère facultative au profit du donateur. Cette rente est librement déterminée annuellement par le donateur, mais son montant ne peut pas excéder un plafond stipulé au sein de l’acte de donation initial. Il est ainsi parfaitement possible de stipuler un plafond de rente supérieur au rendement réel du portefeuille.Dans cette hypothèse, le rendement de l’actif étant insuffisant pour le versement de la rente pourrait conduire le donataire à aliéner une partie du capital. 16 - Côté français, cette possibilité pour le donateur de porter une telle atteinte au capital transmis pose question : quidsi le montant cumulé des rentes versées,mis à la charge du donataire, égale ou excède à terme le montant donné ? 17 - Tout d’abord, rappelons que la stipulation d’une rente viagère au sein d’une donation est tout à fait admise en droit français6. Stipulée dans l’intérêt du donateur, la stipulation d’une rente viagère vient inévitablement diminuer la valeur de l’émolument transmis à titre gratuit. Civilement, il sera tenu compte de cette obligation imposée au gratifié pour les besoins du rapport et de la réduction. Fiscalement, les droits de mutation sont néanmoins dus sur la valeur totale des biens donnés sans possibilité de soustraire la charge(CGI, art. 758 et 761). 18 - Ensuite, lorsque la valeur de la charge est égale ou supérieure à l’émolument reçu, le caractère gratuit de la disposition disparaît logiquement, cette dernière étant requalifiée en acte à titre onéreux, comme l’a précisément considéré la Cour de cassation7. Il appartiendra toutefois au juge de restituer à l’acte sa qualification véritable8. 19 - Partant, les conséquences civiles de la requalification doivent être anticipées (absence de rapport, absence de réunion à la masse fictive), mais ne doivent pas masquer les incidences fiscales : la disposition à titre onéreux pourra occasionner l’application de droits de mutation titre onéreux. En outre, mais cette fois-ci côté donateur, la rente versée à un ascendant, étant réputée à titre onéreux, est à ce titre un revenu imposable (CGI, art. 158, 6) pour une fraction déterminée en fonction de l’âge du crédirentier lors de l’entrée en jouissance. b) Réversion d’usufruit française et usufruits belges : des analogies à manier avec précaution 20 - En France, la réversion d’usufruit correspond à la situation dans laquelle un époux a donné un bien en s’en réservant l’usufruit, et a décidé de constituer usufruitier son conjoint à son décès. En droit belge des institutions s’en rapprochent, mais ne doivent pas pour autant être confondues avec elle. 1) Usufruit successif belge 21 - Le droit belge a récemment instauré un usufruit successif 9 (ou usufruit continué) : un usufruit légal et automatique au profit du conjoint survivant portant sur les biens donnés avec réserve d’usufruit par le défunt de son vivant, sous réserve qu’au jour de la donation le conjoint avait bien cette qualité10. 22 - Il se distingue de la réversion d’usufruit française à plusieurs égards : ‰là où la réversion d’usufruit française est conventionnelle et nécessite une acceptation expresse du conjoint, l’usufruit successif belge est automatique, mais le conjoint peut y renoncer par anticipation au moyen d’un pacte successoral ponctuel ; ‰la réversion d’usufruit française est soumise au régime des droits de mutations à titre gratuit (CGI, art. 796-0 quater), mais le conjoint survivant en est exonéré(CGI, art. 796-0 bis). La fiscalité de l’usufruit successif belge dépend de la région concernée : la Flandre soumet l’usufruit successif aux droits de succession. A contrario, la Région wallonne et la Région de Bruxelles – Capitale sont à ce jour muettes sur le sujet, même si la doctrine majoritaire estime qu’en l’absence de textes légaux, l’usufruit successif ne devrait pas être soumis aux droits de succession ; ‰en cas de stipulation d’un report de démembrement, la réversion d’usufruit se reportera sur tout bien acquis en remploi des biens donnés. À l’inverse, l’usufruit successif belge ne survivrait pas à la vente ou plus généralement à la subrogation de l’actif démembré dans le patrimoine du disposant. 6. À la différence d’autres pays : précisons que les donations avec charge peuvent occasionner différents problèmes dans d’autres juridictions (de Common Lawnotamment), qui considéreraient qu’une donation doit être libre de toute charge pour être qualifiée comme telle. 7. Cass. 1re civ., 8 juill. 2010, n° 09-16.270 : JurisData n° 2010-011376. 8. Req. 21 déc. 1887 : DP 1888.256. 9. Issu de la réforme du Code des succession – adoptée le 31 juillet 2017 et entrée en vigueur le 1er septembre 2018. 10. À ce jour, C. civ. Belge, art. 858 bis, § 3. ÉTUDES LA REVUE FISCALE DU PATRIMOINE N° 4, AVRIL 2022 23
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