- 24 - LE GUIDE DES ASSOCIATIONS & FONDATIONS 2026 Patrimoine une hypothèse résiduelle ou marginale. Il devient au contraire un scénario fréquent, banal, presque attendu. Cette apparition différée du puîné ne peut être ignorée par le droit, et encore moins par le notaire qui en demeure le garant technique. Le droit positif, en particulier à travers l’article 1077-2, alinéa 3 du Code civil, propose une réponse : permettre à l’héritier non conçu de composer ou de compléter sa part héréditaire. Mais cette protection, conçue comme une échappée du principe d’irrévocabilité de la donation-partage, entre en friction avec l’apparente clôture de l’acte initial. Loin de constituer un simple correctif liquidatif, elle révèle une tension plus profonde entre l’ambition sécuritaire de l’anticipation successorale et la réalité mouvante des familles, qui exige que le droit demeure en veille. 3 - La donation-partage : une mesure de stabilité… –- L’ordre juridique a toujours recherché, en matière successorale, une certaine stabilité. Il l’a trouvée, en partie, dans l’acte de donation-partage : modalité anticipée de transmission, instrument de pacification familiale, et mécanisme d’égalité volontaire entre héritiers présomptifs3. En figeant la composition des lots, en excluant le rapport successoral, et en prévenant les effets ultérieurs de la réduction, la donation-partage semble offrir un rempart contre les incertitudes de l’avenir. Elle est, pour le disposant, l’expression la plus aboutie de la volonté de maîtriser sa dévolution patrimoniale4. 4 - … Sauf en cas de naissance postérieure. – Pourtant, cette apparente stabilité est trompeuse. Car l’égalité qu’elle consacre, souvent en valeur, ne garantit ni la fixité du cercle des héritiers, ni l’absence d’évolution familiale postérieure. Or, c’est précisément ce que vient rappeler l’article 1077-2, alinéa 3 du Code civil5. En conférant à l’héritier présomptif non encore conçu au jour de la donation-partage le droit de reconstituer sa part héréditaire, le texte introduit, au cœur d’un acte figé, une brèche temporelle : celle de la naissance différée, de la parenté imprévue, du puîné imprévisible6. Cette action, distincte de la réduction ordinaire, ne protège pas la réserve mais une égalité successorale de participation. Elle ne sanctionne pas une atteinte volontaire à un droit, mais une omission structurelle d’un être. Et cette omission, loin d’être fautive, peut pourtant produire un déséquilibre juridique aux effets puissants : indemnité de réduction, reconstitution de masse, remise en cause implicite de la stabilité patrimoniale entre les gratifiés initiaux7. 1. Une protection sui generis A. - La protection de l’enfant non encore conçu 5 - La réduction spéciale du puiné. – Les biens reçus à titre de partage anticipé par un héritier réservataire présomptif s’imputent, sauf clause 3 Not. sur ce sujet : H. Fulchiron, La transmission des biens dans les familles recomposées : DEF 30 juin 1994, n° 12, p. 833. 4 M. Grimaldi, Libéralités-Partages. – Introduction : JCl. Civil Code, Art. 1075 à 1080, fasc. 10. 5 C. civ., art. 1077-2, al. 3 : « L’héritier présomptif non encore conçu au moment de la donation-partage dispose d’une semblable action pour composer ou compléter sa part héréditaire. ». 6 M.-H. Morand de Jouffrey, La remise en cause de l’anticipation successorale par la naissance et le prédécès d’un enfant : JCP N 1999, 555. 7 En ce sens : Rép. civ. Dalloz, v° Partage d’ascendant, par J. Patarin (anc. éd.), n° 244. 8 L. Taudin, Libéralités-partages : LexisNexis, coll. Pratique notariale, 2016. 9 F. Terré, Y. Lequette et S. Gaudemet, Droit civil. Les successions. Les libéralités : Dalloz, « Précis », 4e éd., 2013, n° 1277. – M. Grimaldi, Libéralité. Partage d’ascendants : Litec, 2001, n° 1844. 10 Sur les grands principes de cette liquidation spéciale : M. Grimaldi (dir.) Droit patrimonial de la famille, 2025-2026 : Dalloz, coll. Dalloz action, 8e éd., 2025, n° 413.110. 11 Sur un exemple de liquidation et un canevas liquidatif : M.-C. Forgeard, N. Levillain et A. Boiché, Liquidation des successions 2023/2024 : Dalloz référence, 6e 2022. contraire, sur sa réserve héréditaire. La règle, désormais bien stabilisée à l’article 919-1 du Code civil, procède d’un équilibre fondamental : concilier liberté de disposition et égalité successorale au sein de la réserve. Il n’en demeure pas moins que la donation-partage, en tant que technique, ne se laisse pas entièrement régir par les règles classiques des libéralités entre vifs. 6 - Une donation non rapportable. – En effet, par nature, la donation-partage n’est pas rapportable. Cette exclusion, posée à l’article 1078 du Code civil, constitue un pilier de son efficacité anticipative. Le partage qu’elle réalise entre les héritiers présomptifs est censé cristalliser les rapports de transmission, figeant les valeurs et mettant un terme aux incertitudes liées à la succession à venir. Par ce double ancrage, la donation-partage échappe partiellement aux mécanismes correcteurs habituels de l’ordre public successoral, tout en y étant indirectement soumise en cas d’atteinte à la réserve. Cette logique suppose de différencier plusieurs situations que le droit positif envisage distinctement, comme celle de l’enfant omis involontairement, de la donation-partage volontairement inégalitaire, ou encore de la révocation pour ingratitude d’une libéralité composant le lot d’une donation-partage. 7 - Revendication de sa part par le puisné. – Mais l’hypothèse qui retient notre attention est autre : celle d’une donation-partage initialement égalitaire, dans un contexte familial figé, suivie de la naissance d’un enfant8. Ici, aucune volonté d’exclusion n’est a priori décelable. Il s’agit donc moins d’un oubli que d’une invisibilité juridique. Et c’est précisément ce qui justifie que l’enfant puîné ne soit pas réduit à sa réserve légale. Il peut revendiquer, au nom du principe d’égalité successorale, une part héréditaire pleine et entière9. ATTENTION Ce droit implique une méthode de liquidation spécifique10, qui repose sur la reconstitution d’une masse partageable fictive, à laquelle l’héritier non conçu est intégré rétroactivement. À cette masse sont ajoutées, le cas échéant, les indemnités de réduction dues par les co-gratifiés, si la part du puîné ne peut être composée sur les biens subsistants11. Cette liquidation, fondée sur une égalité recomposée ex post, mobilise une logique plus proche de la simulation de partage que de la réduction stricto sensu. C’est dans ce cadre particulier que s’inscrit le mécanisme de l’article 10772, alinéa 3 du Code civil, dont l’application mérite une attention accrue. Il vise une hypothèse précise, mais désormais fréquente : celle d’un héritier présomptif non encore conçu au jour de la donation-partage.
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