- 16 - LE GUIDE DES ASSOCIATIONS & FONDATIONS 2026 Patrimoine thèse, ils suggèrent d’interpréter le terme « état » figurant à l’article 922 du Code civil31 comme visant tant l’état matériel du bien que son état juridique. Ils proposent ensuite une solution reposant sur « la date d’évaluation du bien donné compte-tenu de l’objet de la donation… La date d’évaluation détermine la valeur de cette propriété, selon qu’elle est encore grevée de cette charge de jouissance ou libérée de l’usufruit », assimilant l’usufruit à une charge de jouissance au profit de l’usufruitier. En conséquence « il faut convenir qu’au moment de la donation-partage, cette charge au bénéfice de l’usufruitier existe et influe sur la valeur de la propriété transmise, mais non sur l’objet du bien donné ». La réunion fictive sera donc effectuée en tenant compte de la pleine propriété du bien, mais grevée d’une charge qui en réduit la valeur. Une lecture extensive de l’article 1078 du Code civil serait peut-être la solution, en considérant que si l’article 1078 vise « les biens donnés », il suffirait que le terme « biens » soit entendu comme visant les « droits » pour que toute incertitude soit levée : il serait alors effectivement tenu compte des droits d’usufruit ou de nue-propriété, évalués à leur valeur au jour de la donation-partage, alors que l’usufruit n’est pas éteint et que chacun de ces droits existe32. 21 - Implications lorsque le donataire en nue-propriété est marié sous le régime de communauté. – Il nous semble enfin intéressant de rappeler une jurisprudence rendue dans le cadre d’une donation-partage aux termes de laquelle un copartageant, marié sous le régime de communauté, avait été attributaire de la nue-propriété d’un bien, à charge de soulte au profit de ses sœurs, qu’il a réglée au moyen de fonds communs. Les parents usufruitiers décèdent et le donataire divorce quelque temps après, le bien reçu en nue-propriété dépendant alors de son patrimoine propre en pleine propriété. Se posait alors la question du calcul de la récompense. La cour d’appel avait jugé que le calcul devait tenir compte des valeurs du bien en pleine propriété au jour de la donation-partage et au jour de la liquidation, l’époux estimant quant à lui qu’il convenait de retenir les valeurs en nue-propriété aux mêmes dates. La Cour de cassation33 a jugé que pour le calcul de la récompense due à la communauté « il convient de calculer d'abord la contribution du patrimoine créancier à l'acquisition du bien donné en nue-propriété, puis de reporter cette fraction sur la valeur en pleine propriété de ce bien au jour de la liquidation ». Cette méthode, qui conduit à majorer la récompense, peut constituer une double peine pour le donataire de nue-propriété à charge de soulte, lorsque la donation-partage ne répondra pas aux conditions posées par l’article 1078 du Code civil : le rapport successoral s’effectuera pour la pleine propriété du bien donné en nue-propriété, et la récompense sera calculée en revalorisant le financement commun en nue-propriété par de la pleine propriété. EXEMPLE Imaginons la donation-partage d’un bien d’une valeur de 400 000 € en pleine propriété, l’usufruit réservé étant de 30 % de la pleine propriété. Le bien est attribué à A, à charge de soulte au profit de B. La soulte sera de (400 000 x 70 %)/2 = 140 000 €. Si l’immeuble 31 Et par extension à l’article 860 du Code civil. 32 Cela supposerait qu’il soit admis que la réserve héréditaire peut être constituée de droits d’usufruit. 33 Cass. 1re civ., 7 nov. 2018, n° 17-26.149 : JCP N 2019, n° 17-18, 1183, X. Guédé. 34 Nous ne traiterons pas ici des donations avec clause de réversion d’usufruit ou donation d’usufruit successif, l’usufruit en second étant pris en compte au décès du donateur et étant bien souvent d’une valeur supérieure à celui que s’était réservé le donateur. Dans cette situation, il sera envisageable de prévoir une clause de rapport forfaitaire selon les principes exposés infra, au cas où le bénéficiaire de l’usufruit en second serait prédécédé au donateur. vaut 500 000 € au jour de la liquidation de la communauté, la méthode préconisée par la cour d’appel donne un résultat de 140 000 x 500 000/400.000 = 175 000 €, le même résultat résultant de la méthode suggérée par l’époux : 140 000 x 350 000/280 000 = 175 000 €. Pour la Cour de cassation, le calcul doit être effectué de la façon suivante : 140 000 x 500 000/280 000 = 250 000 €. 5. Les solutions 22 - En dehors du cas particulier de la donation-partage, quelles solutions s’offrent au praticien confronté à une donation de droit démembré si ses clients souhaitent instaurer une certaine équité tenant compte de la réalité économique de l’opération, et faire en sorte que la donation d’usufruit soit rapportable pour une certaine valeur, la donation de la nue-propriété étant quant à elle rapportable en nue-propriété34 ? A. - Une fausse solution : la RAAR 23 - La première réponse est de prévoir une RAAR, par laquelle les cohéritiers présomptifs du donataire de nue-propriété renonceront à engager l’action en réduction au titre de la donation de la nue-propriété au cas où l’avantage indirect résultant de la clause de rapport forfaitaire excédait la quotité disponible. Mais l’objet de la RAAR n’étant pas de modifier les règles du rapport d’un droit démembré posées par la jurisprudence, elle aura simplement pour effet d’éviter la réduction de la donation de nue-propriété au cas où l’application de la clause de rapport forfaitaire portait atteinte à la réserve. Elle ne répond pas à l’objectif poursuivi qui est de faire en sorte qu’au titre du rapport à fin d’égalité, la donation de la nue-propriété ne soit prise en compte que pour cette nue-propriété. B. - Une solution satisfaisante aux effets limités : la clause de rapport forfaitaire 24 - Une autre solution serait de prévoir une clause de rapport forfaitaire dans chacune des donations : • par le donataire de la nue-propriété d’une somme égale à la valeur de la nue-propriété au jour de la donation ou à la valeur de l’immeuble au jour du décès, affectée d’un pourcentage correspondant à la valeur de l’usufruit réservé au jour de la donation, • et rapport de l’usufruit pour sa valeur au jour de la donation ou à la valeur du bien au jour du décès du donateur, affectée d’un pourcentage correspondant à la valeur du l’usufruit au jour de la donation. EXEMPLE Ainsi, pour reprendre notre exemple précédent, A devrait effectuer le rapport d’une somme de 320 000 € (rapport fixe) ou de 500 000 x 80 % = 400 000 € (rapport indexé sur la valeur de l’immeuble au décès), et bénéficierait d’un avantage indirect de 180 000 € ou 100 000 €, imputable sur la quotité disponible.
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