- 14 - LE GUIDE DES ASSOCIATIONS & FONDATIONS 2026 Patrimoine incohérence économique, doublée d’une incohérence juridique, le donataire de nue-propriété étant tenu au rapport d’un droit qui ne lui a pas été donné, mais qu’il a acquis par suite de l’arrivée du terme (incertain) ayant servi à déterminer la valeur du droit qui lui a été donné. 13 - Incohérence économique de la solution. – D’un point de vue économique, la solution peut surprendre dès lors que le titulaire de l’usufruit a pu percevoir des loyers ou faire des économies par suite de l’occupation du bien. En présence d’un usufruit réservé au profit du donateur, les loyers perçus ou les économies faites au titre de son occupation de l’immeuble se retrouveront dans son patrimoine au jour de son décès, et profiteront à l’ensemble de ses héritiers. Si l’usufruit a fait l’objet d’une donation à un autre enfant (ou toute autre personne), le donataire de l’usufruit a pu percevoir des sommes au titre de cet usufruit qui ont augmenté son patrimoine et qui, si elles avaient été perçues par le donateur auraient augmenté son propre patrimoine, donc l’actif successoral à partager. 14 - Comparaison avec la donation de fruits et revenus et la mise à disposition gratuite d’un logement. – Notons que la donation de fruits et revenus est rapportable, aux termes de l’article 851, alinéa 2 du Code civil21, ce qui n’était pas le cas avant la réforme du 23 juin 2006. Il faut cependant faire une distinction entre la donation d’usufruit et la donation de fruits et revenus, seule cette dernière étant rapportable pour une valeur positive. La donation d’usufruit est une donation de droit réel comportant un ensemble de droits et obligations, alors que la donation de fruits et revenus est une donation de valeurs nettes. Le donataire de l’usufruit d’un appartement percevra les loyers, mais il devra en contrepartie assumer les charges usufructuaires, qui peuvent se révéler importantes. Le donataire de loyers quant à lui recevra des loyers, sans devoir assumer les charges incombant à un usufruitier. Cela étant, il est rare que le compte net du donataire d’usufruit soit déficitaire, et la différence de traitement entre le donataire d’usufruit et celui de fruits et revenus peut paraître inéquitable. Par ailleurs, selon une jurisprudence bien établie22, l’héritier qui a bénéficié du logement gratuit de la part de ses parents doit, dans certains cas, rapporter à la succession cet avantage indirect, dès lors qu’il n’était pas dans un état de nécessité. Il y a là une certaine incohérence à demander que le bénéficiaire du logement gratuit rapporte l’avantage indirect dont il a bénéficié, tout en exigeant du donataire de nue-propriété qu’il rapporte la pleine propriété du bien, ce qui conduit à augmenter la masse successorale. La logique voudrait au minimum que le rapport dû par le bénéficiaire du logement gratuit soit déduit de celui dû par le donataire de nue-propriété. 15 - Critiques doctrinales. – Pour le professeur Vareille23, « dans un climat d’égalité sourcilleuse, il apparaît paradoxal que celui qui jouit d’un bien sur le fondement du droit réel d’usufruit, celui qui en jouit par remise de 21 C. civ., art. 851 : « Le rapport est dû de ce qui a été employé pour l’établissement d’un des cohéritiers ou pour le paiement de ses dettes. Il est également dû en cas de donation de fruits ou de revenus, à moins que la libéralité n’ait été faite expressément hors part successorale. » 22 V. par ex. Cass. 1re civ., 14 janv. 1997, n° 94-16.813. – Cass. 1re civ., 19 mars 2014, n° 13-14.139 : JCP N 2014, n° 41, 1300, F. Sauvage et F. Fruleux. – Cass. 1re civ., 8 janv. 2012, n° 10-25.685, 10-27.325, 11-12.863 et 09-75.542 : JCP N 2012, n° 16, 1188, Y. Delecraz. 23 B. Vareille, Usufruit et liquidations successorales, L’Usufruit, Journées Association Henri Capitant, Bordeaux : Dalloz, 2020, n° 34, p. 90. 24 Y. Delecraz, La donation d’usufruit temporaire : entre certitudes et interrogations : Defrénois, 27 juin 2020, n° 26, p. 52. 25 En pratique, l’usufruit sera dans ce cas plutôt constitué sur la tête de B, hypothèse étudiée infra. 26 D. Castellani, Dictionnaire des droits d’enregistrement – Fiscalité immobilière et publicité foncière, t. II : Éd. Documentaires et Fiscales, 15 oct. 2014, n° 4338. 27 Cela présuppose que la donation de nue-propriété soit concomitante ou postérieure à la donation d’usufruit. loyers, et celui encore qui reçoit une rente mensuelle, fussent différemment traités ». Yves Delecraz propose quant à lui que la donation d’usufruit soit rapportable pour une valeur ne pouvant être nulle24, pour tenir compte de la réalité économique. EXEMPLE Imaginons un père ayant deux enfants et souhaitant faire donation à ses enfants, en attribuant la nue-propriété d’un appartement à A et l’usufruit du même bien, constitué sur sa propre tête, à B25. Au décès du donateur, la donation faite à A sera prise en compte pour la pleine propriété du bien au jour du décès pour le calcul de la quotité disponible et au jour du partage pour le partage, alors que B n’aura aucun rapport à effectuer, et ce quel que soit le montant effectif des loyers qu’il aura pu percevoir. Si cette solution semble fondée en droit compte tenu de la jurisprudence précitée, elle peut apparaître inéquitable d’un strict point de vue économique. Elle conduit en réalité à imposer à A le rapport d’une donation faite à B. B. - Donation d’usufruit avec réversion d’usufruit ou donation d’un usufruit successif 16 - Cette situation pourra se rencontrer lorsque le donateur de nue-propriété s’est réservé un usufruit, et souhaite qu’une tierce personne puisse bénéficier d’un usufruit reposant sur sa propre tête après son décès. Dans ce cas, le bénéficiaire de l’usufruit successif ne reçoit son usufruit qu’au décès du donateur, également usufruitier en premier. Il sera donc tenu compte de ce nouvel usufruit lors du règlement de la succession du donateur pour déterminer la part de chaque héritier, les droits de mutation à titre gratuit étant alors perçus sur la valeur de l’usufruit compte-tenu de l’âge du bénéficiaire de la réversion et de son lien de parenté avec le donateur, et de la valeur de l’immeuble au jour du décès de l’usufruitier en premier26. C. - Donation d’un usufruit constitué sur la tête d’un tiers avec effet immédiat 17 - Est ici visée l’hypothèse dans laquelle le donateur ne se réserve pas l’usufruit, mais en fait donation avec effet immédiat, cet usufruit reposant sur la tête du donataire d’usufruit27. Le donataire d’usufruit devra alors rapporter la seule valeur de l’usufruit déterminée en tenant compte de son âge et la valeur du bien au décès du donateur, gommant ainsi l’exercice de son usufruit durant la période s’étant écoulée entre la donation et le décès du donateur.
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