HORS-SERIE_La revue fiscale du patrimoine

57 fonctions de salarié ou de dirigeant ; à la sortie, le caractère préférentiel de la valeur d’entrée est indifférent, seul le lien avec les fonctions de salarié ou de dirigeant étant retenu. Ce principe a directement annihilé l’approche qui était retenue et stabilisée depuis près d’une décennie, considérant que l’imposition du gain de sortie dans la catégorie des valeurs mobilières était préservée dès lors que (i) l’instrument avait été acquis à sa valeur de marché et que, (ii) le manager réalisait un véritable investissement et supportait un réel risque de perte (V. ANSA, Comité juridique, janv. 2022, n° 22-028). Les prémices de l’évolution avaient été dessinées dès 2019 par la Cour de cassation avec l’arrêt Barrière (Cass. 2e civ., 4 avr. 2019, n° 17-24.470, FSP+B+R+I : JurisData n° 2019-004915 ; JCP E 2019, 1270, note Q. Frisoni et M. Loisel. – assujettissement aux cotisations de sécurité sociale de BSA octroyés à des managers dès lors qu’ils sont proposés en contrepartie ou à l’occasion du travail et acquis à des conditions préférentielles). Le principe a ensuite été réaffirmé par le Conseil d’État en plusieurs occurrences (CE, 8e ch., 17 nov. 2021, n° 439609. – CE, 9e et 10e ch., 28 janv. 2022, n° 433965 : JCP E 2022, comm. 1212, note A. de Louvigny et A. Fraval). Le changement de paradigme est donc confirmé, faisant de la nature de la relation au contrat de travail ou au mandat le critère principal du départage de la catégorie d’imposition des gains de sortie entre plus-values de cession de valeurs mobilières et traitements et salaires. Sa portée n’en reste pas moins délicate à cerner. 2° Un changement de paradigme L’appréhension de la portée – et donc du niveau de risque fiscal et social sous -jacent – des nouvelles règles du jeu dessinées par la Haute Juridiction fiscale est doublement délicate au regard de la particularité des espèces en cause : • les instruments concernés (BSA, cession directe, promesse) sont quelque peu anachroniques et ne reflètent donc pas le cœur des schémas de management package usuellement adoptés ces dernières années ; • les faits en cause se distinguent par un caractère presque caricatural, où les conditions particulières du management package (avec notamment une garantie sur le principe et la valeur de sortie) grossissent la connexité entre la valeur mobilière et l’exercice des fonctions au point d’effacer quasiment tout risque actionnarial et ne correspondent pas non plus à la grande majorité des structurations contemporaines. Pour autant, par-delà les espèces concernées, la volonté du Conseil d’État de poser et d’appliquer un principe général articulé autour du degré de corrélation entre la valeur mobilière détenue par le manager et ses fonctions est incontestable. Si ce principe est clair dans son énoncé et son intention, son application soulève des difficultés et des incertitudes. Les juges du Palais Royal restent en effet silencieux sur les critères susceptibles de fonder une corrélation entre valeur mobilière et fonctions exercées suffisante pour rattacher l’avantage y afférent à ces fonctions et non à la qualité d’investisseur du manager et emporter ainsi sa requalification en traitements et salaires. L’identification de ces critères est primordiale puisque ce lien lui-même, consubstantiel à tout management package, ne disparaîtra pas : il s’agit donc d’identifier les indicateurs de nature à créer et révéler une interdépendance « anormale » entre les valeurs mobilières et les fonctions du manager où la qualité de manager absorbe, au lieu de cohabiter avec, la qualité d’investisseur. La quête de cette corrélation « anormale » obéit à la logique du faisceau d’indices. La jurisprudence rendue depuis 2021, éclairée par les conclusions des rapporteurs publics, renseigne sur la nature des indices susceptibles d’être retenus dans ce cadre : • l’octroi de l’instrument à raison des fonctions de l’intéressé ; • les conditions de présence subordonnant en tout ou partie l’exercice ou la cession de l’instrument à la présence du manager au sein du groupe (clause d’inaliénabilité, vesting, etc.) ; • l’indexation des modalités d’exercice ou de cession de l’instrument (quotité, prix) sur des critères de performance. La pertinence en soi de certains de ces éléments au soutien d’une disqualification en traitements et salaires est discutable au regard de la philosophie même des management packages . La question est donc celle du curseur de l’anormalité : à quel niveau le juge fiscal entend-il le situer ? La réponse reste en suspens. Elle dépendra notamment de la perméabilité du juge fiscal à la réalité – voire au bon sens – économique et pratique. Une application mécanique des « indicateurs de requalification » placera le curseur bas alors qu’une application circonstanciée le relèvera à un niveau plus cohérent et acceptable. Reste donc à savoir si le juge fiscal saura considérer les indicateurs types de requalification dans leur contexte et non intrinsèquement et ne pas tomber dans la présomption de requalification. Un même indicateur peut en effet révéler un degré plus ou moins élevé de corrélation entre l’instrument et les fonctions du manager selon divers paramètres : • la qualité du manager : fondateur ? manager de cercle 1 ? manager de cercle 2 ? L’approche ne peut pas être similaire pour le fondateur de la cible, à raison des titres détenus antérieurement à l’opération, et pour un manager, se greffant à la cible et bénéficiant d’un intéressement à titre d’incentive ; la qualité de fondateur en elle-même contribue nécessairement à distendre le lien avec les fonctions exercées et imposerait une adaptation de la grille de lecture ; • l’objectif – voire la nature – du management package : véritable coinvestissement ou « simple » intéressement au capital destiné à compléter la rémunération des fonctions ? Au demeurant, la prise de risque actionnarial contribue fréquemment à retraduire la diversité de ces situations. C’est pourquoi ce critère, même relégué au rang de critère accessoire par le Conseil d’État, conserve selon nous sa pertinence dans le cadre de la sécurisation fiscale des management packages . Parce qu’il participe, en creux, à distendre le lien entre valeurs mobilières et fonctions, il devrait contribuer à freiner la caractérisation du faisceau d’indices d’une requalification en traitements et salaires. Les contours exacts du nouvel environnement jurisprudentiel des management packages restent donc à découvrir et dépendront de l’appréhension concrète que l’Administration et la jurisprudence fiscale feront des indicateurs de requalification. La clarification risquant de prendre du temps, la pratique doit faire preuve de prudence en repensant partiellement les structurations usuelles de management packages pour, non pas gommer, mais juguler au mieux le niveau de corrélation entre la participation au capital du bénéficiaire et ses fonctions.

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