49 PRODUITS FINANCIERS Le nouveau régime d'inscription des titres financiers en blockchain François GILBERT, docteur en droit, avocat au barreau des Hauts-de-Seine, Counsel, CMS-Francis Lefebvre © Droits réservés La loi n° 2023-171 du 9 mars 2023 et le décret n° 2023-421 du 31 mai 2023 ont réformé les modalités d’inscription des titres financiers en blockchain. Les modifications introduites emportent des conséquences notables dans des domaines connexes et obscurcissent encore davantage la distinction entre titres nominatifs et titres au porteur. 1. - Le règlement (UE) 2022/858 du 30 mai 2022, dit « Régime Pilote »1, est entré en application le 23 mars 2023. La petite révolution juridique dont il est porteur n’a pas manqué d’être saluée2. Ce règlement a en effet rendu possible l’admission aux opérations d’une infrastructure de marché reposant sur la technologie des registres distribués3, dite « DLT »4, d’instruments financiers, dits « numériques », émis, enregistrés, transférés et stockés au moyen de cette technologie5. 2. - L’entrée en application du règlement européen fut précédée d’intenses réflexions relatives aux évolutions possibles du droit français en la matière. Jusqu’alors, en effet, il résultait de l’article L. 211-7 du Code monétaire et financier que les titres financiers non admis aux opérations d’un dépositaire central devaient être inscrits, sur décision de l’émetteur et à moins qu’ils ne Ndlr : Cette étude a été publiée dans la Semaine Juridique Entreprise et Affaires n° 40, 05 octobre 2023, 1285. 1 PE et Cons. UE, règl. n° 2022/858, 30 mai 2022, sur un régime pilote pour les infrastructures de marché reposant sur la technologie des registres distribués, et modifiant les règlements (UE) n° 600/2014 et (UE) 909/2014 et la directive 2014/65/UE : JOUE n° L 151, 2 juin 2022, p. 1. 2 V. not. M. Lucchesi et B. Raisse, Le règlement européen sur le régime pilote : l’innovation réglementaire pour les infrastructures de marché en blockchain face au défi de sa mise en œuvre : RD bancaire et fin. 2022, étude 10. - F. Gilbert, Régime pilote et nouveaux entrants : BJS mars-avr. 2023, p. 55. 3 Clarifions dès à présent qu’une infrastructure reposant sur la technologie des registres distribués (au sens européen), un dispositif d’enregistrement électronique partagé (au sens français) et une blockchain (au sens commun) sont tenus pour équivalents en ce qu’ils relèvent des mêmes procédés techniques et remplissent les mêmes fonctions. 4 Aux termes de l’article 2 du règlement (UE) n° 2022/858, une infrastructure de marché DLT peut consister en un système multilatéral de négociation (MTF DLT), un système de règlement (SR DLT) ou un système de négociation et de règlement (SNR DLT) d’instruments financiers émis, enregistrés, transférés et stockés au moyen de la technologie des registres distribués. 5 Aux termes de l’article 3 § 1 du règlement (UE) n° 2022/858, cependant, peuvent seuls être admis aux opérations d’une infrastructure de marché DLT les actions dont l’émetteur présente une capitalisation boursière inférieure à 500 millions d’euros, les titres de créance dont le volume d’émission est inférieur à 1 milliard d’euros (à l’exclusion de ceux qui incorporent un instrument dérivé) et les parts ou actions d’organismes de placement collectif dont la valeur de marché des actifs gérés est inférieure à 500 millions d’euros. 6 L’article L. 211-7 du Code monétaire et financier précisait toutefois que, sauf interdiction formulée par la loi ou l’émetteur, les parts ou actions d’organismes de placement collectif pouvaient être inscrites dans un compte- titres tenu par un intermédiaire financier. Cette exception a été conservée en l’état par la loi n° 2023-171 du 9 mars 2023. 7 L’article R. 211-5 du Code monétaire et financier indiquait néanmoins que les parts ou actions d’organismes de placement collectif et les titres de créance négociables inscrits dans un DEEP pouvaient être négociés sur une plate-forme de négociation sous forme nominative sans nécessairement avoir été préalablement placés en compte d’administration. Cette exception a été étendue par le décret n° 2023-421 du 31 mai 2023 (V. n° 18). 8 Le HCJP plaidait ainsi pour élargir la possibilité d’une inscription dans un DEEP à des titres au porteur au motif que « ces titres au porteur connaissent un équivalent dans un grand nombre de pays étrangers et sont classiquement négociés sur des plateformes de négociation » (HCJP, Rapport sur la réforme des titres financiers numériques, 20 mai 2022, p. 10). 9 V. AMF, État des lieux et analyse relative à l’application de la réglementation financière aux security tockens, mars 2020. 10 V. HCJP, Rapport sur les titres financiers digitaux (« security tockens »), 27 nov. 2020. - HCJP, Rapport sur la réforme des titres financiers numériques, 20 mai 2022. 11 L. n° 2023-171, 9 mars 2023, portant diverses dispositions d’adaptation au droit de l’Union européenne dans les domaines de l’économie, de la santé, du travail, des transports et de l’agriculture (DDADUE) : JO 10 mars 2023, texte n° 1. - D. n° 2023-421, 31 mai 2023, portant adaptation du droit des titres au règlement européen dit « régime pilote » : JO 2 juin 2023, texte n° 9. - Sur ces textes, V. not. RD bancaire et fin. 2023, alerte 79 ; BRDA 7/23, inf. 20 ; BRDA 13/23, inf. 24 ; BJB juill.-août 2023, note P. Goutay et C. Saudo. le soient dans un compte-titres tenu par celui-ci, dans un dispositif d’enregistrement électronique partagé (« DEEP »)6. En outre, il ressortait des articles R. 211-2 et R. 211-5 du même code que les titres inscrits dans un tel dispositif revêtaient la forme nominative, et que les titres obligatoirement nominatifs ne pouvaient être négociés sur une plate-forme de négociation qu’après avoir été placés en compte d’administration7. Cet état du droit, contraignant au regard du règlement européen alors en projet, ainsi que des considérations d’opportunité, tenant à la compétitivité de la Place de Paris8, avaient très tôt conduit l’AMF9 et le HCJP10 à formuler des propositions d'adaptation des textes français relatifs, en particulier, à l'inscription, la négociation et la forme des titres financiers inscrits dans un DEEP. 3. - Ces réflexions, et certaines des propositions formulées, ont porté leurs fruits. La loi n° 2023-171 du 9 mars 2023 et le décret n° 2023-421 du 31 mai 202311 ont ainsi modifié plusieurs articles du Code monétaire et financier et du Code de commerce afin d’édicter de nouvelles conditions d’inscription des titres financiers dans un DEEP et de décliner les conséquences juridiques induites par ce nouveau régime d’inscription. Il convient dès lors d’analyser les dispositions législatives et réglementaires désormais en vigueur en distinguant, selon la logique adoptée par la loi et le décret, les modalités et les effets de l’inscription des titres financiers en blockchain.
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