LA REVUE FISCALE DU PATRIMOINE OPTIMISATION FISCALE DU PATRIMOINE PRIVÉ ET PROFESSIONNEL Hors-série numéro 1/2023 / ISSN : 2262-4147 STRATÉGIE PATRIMOINE FINANCE
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ÉDITORIAL La mutation des modèles économiques face à l’éthique REVUE FISCALE DU PATRIMOINE Président-Directeur Général, Directeur de la publication : Eric Bonnet-Maes Directrice éditoriale : Anne-Laurence Moneger Anne-laurence.moneger@lexisnexis.fr Directrice de pôle : Véronique Marie Veronique.marie@lexisnexis.fr Directrice de la rédaction : Anaïs Schouflikir-Gabriel Anais.Schouflikir-Gabriel@lexisnexis.fr Rédacteur en chef : Claire Richert Tél. : 01.45.58.93.95 claire.richert@lexisnexis.fr Ont participé à ce Hors-Série : Constance Hibon Claire Babinet Sabine Rovani Chargée d’édition : Claire Absil claire.absil@lexisnexis.fr Conseiller : Jean-François Pillebout Direction scientifique : Olivier Debat, professeur agrégé à l’université Toulouse 1 Capitole Comité scientifique : Patrice Bonduelle, notaire à Paris Laurent Benoudiz, expert-comptable, commissaire aux comptes, président de l’ordre des experts-comptables, Paris-Île-de-France, membre du comité scientifique de la Revue fiscale du patrimoine Olivier Debat, agrégé des facultés de droit, professeur à l’université Toulouse 1 Capitole Pascal Julien Saint-Amand, notaire à Paris Eric Pornin, avocat, consultant auprès du CRIDON de Paris Olivier de Saint Chaffray, avocat associé Jean-Jacques Lubin, ancien fiscaliste au Cridon de Paris, enseignant fiscalité immobilière ICH-CNAM Paris Crédit photos : © AdobeStock - Dilok (Photo - première de couv) Responsable publicité : Caroline Spire caroline.spire@lexisnexis.fr 01 45 58 93 56 Correspondance : Claire Richert (Revue fiscale du patrimoine) 141, rue de Javel 75747 Paris Cedex 15 Relations clients : 01 71 72 47 70 www.lexisnexis.fr LexisNexis SA SA au capital de 1.584.800 euros 552 029 431 RCS Paris Principal associé : Reed Elsevier France SA Siège social : 141, rue de Javel, 75747 Paris Cedex 15 Mise en page Vif - Argent Evoluprint Parc Industriel Euronord 10, rue du Parc - 31150 Bruguières N° Imprimeur : 5998 N° éditeur : 5816 Dépôt légal : à parution Commission paritaire : n° 0624 T 81789 ISSN : 2262-4147 Origine du papier : Allemagne Taux de fibres recyclées : 6 % Certification : 100 % Impact sur l’eau : PTOT = 0,01 kg / tonne Hors-série gratuit 5 Olivier DEBAT, directeur scientifique de la Revue fiscale du patrimoine professeur à l’université Toulouse Capitole directeur du master 2 droit fiscal de l’entreprise Ce nouveau numéro Hors-série de la Revue fiscale patrimoine, consacré aux questions juridiques et fiscales relatives à la stratégie, au patrimoine et à la finance, est dans la lignée des précédents par la richesse du contenu des contributions qu’il rassemble. Il faut en remercier les auteurs. Au-delà de leurs apports techniques, prospectifs et méthodologiques – guide des étapes à suivre, méthode de raisonnement à adopter… – elles permettent de mettre en évidence la mutation contemporaine des modèles économiques occasionnée par la forte pénétration dans notre droit de l’éthique. Le secteur de l’assurance-vie est souvent confronté à la transmission du patrimoine protégé qui appelle la protection de la personne vulnérable, en tant que telle mais également via ses intérêts patrimoniaux. Cela conduit à adopter une démarche d’ensemble autour des aspects de rendement, de risque de contentieux lié à la potentielle récupération des aides sociales mais aussi des dangers pour la réputation de la compagnie d’assurance et des conflits d’intérêt (L. Gayet et A. Massot). Quant au notaire chargé de la liquidation successorale, il doit se renseigner sur l’existence de tels contrats et s’assurer de la fiscalité applicable. En pratique, n’étant pas toujours informé par les bénéficiaires (en particulier lorsqu’il s’agit de personnes vulnérables), il pourra recourir à l’obligation, dégagée par le juge judiciaire, à la charge des assureurs de lui communiquer l’existence de contrats d’assurance lorsqu’il en fait expressément la demande (N. Leblond). La transmission à des organismes sans but lucratif (OSBL) est également une thématique qui a pris de l’ampleur. Il convient, dès lors, de maîtriser les étapes de la gestion d’un tel projet en fonction du support de la transmission : donation, testament, assurance-vie (Sarah Bertail, C. Bienvenu, S. Gonsard, P. Lemée, A. Marchaland, J.-M. Mathieu, L. Mazeyrie et C. Ponchel-Pouvreau). Pour les entreprises, il s’agit aussi d’une opportunité stratégique de communication. La fondation d’entreprise peut leur permettre d’exercer et de valoriser leurs actions de mécénat, avec des règles de gouvernance faisant intervenir des personnalités qualifiées et un régime fiscal favorable (L. Mazeyrie). Il est d’ailleurs possible d’allier projet philanthropique et protection d’un proche, via une donation d’usufruit temporaire au profit d’une fondation reconnue d'utilité publique ou par une transmission reportée au décès. Utilement employé, le legs universel à charge de délivrer un legs particulier net de frais et droits permettra de soutenir une œuvre caritative et de réduire le montant des droits de succession (C. Halut-Bienvenu, C. Ponchel-Pouvreau, A. Marchaland, S. Bertail). Par sa souplesse et sa simplicité, le fonds de dotation est également un outil privilégié de stratégie de mécénat. Il fournit aux entreprises un moyen de participer activement à la préservation de l’intérêt commun : diffusion de la culture, action humanitaire, insertion sociale et économique, protection de l’environnement... (J.Crochet et J. Lepetre). Dans le secteur financier, les régulateurs sont aussi conduits à adapter leur action pour prendre en compte la finance verte. En effet, la confiance des parties prenantes – dont les actionnaires et les investisseurs – peut être mise à mal par les pratiques non-éthiques, consistant à exploiter une fausse image verte (écoblanchiment ou greenwashing), de certains acteurs économiques. Ex ante, ils incitent à la transparence et à l’intégration de bonnes pratiques. Ex post, ils intègrent ces considérations dans les mécanismes de contrôle, qu’il s’agisse de supervision des pratiques opérationnelle et thématique (contrôles SPOT) ou d’enquêtes pour abus de marché (S. Dupouy). Cela est d’autant plus sain que les pratiques en matière de produits financiers se diversifient et sont une source de complexité juridique et fiscale : démembrement de propriété, recours à la blockchain, management packages… C’est le cas s’agissant du régime fiscal de la cession d’un contrat de capitalisation, du côté du cédant et du côté du cessionnaire (P. Lavielle). C’est également le cas du nouveau régime d’inscription des titres financiers en blockchain, issu de la loi n° 2023-171 du 9 mars 2023 et du décret n° 2023-421 du 31 mai 2023, dans le prolongement du règlement (UE) 2022/858 du 30 mai 2022 (dit « Régime Pilote ») entré en application le 23 mars 2023 (F. Gilbert). C’est enfin le cas des management packages, avec un contexte jurisprudentiel « entre flou et tension » qui conduit à en faire « une structuration sous pression » (F. Kerebel).
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sommaire ÉDITORIAL La mutation des modèles économiques face à l’éthique par Olivier DEBAT page 3 ASSURANCE-VIE La transmission du patrimoine protégé Étude par Laurent GAYET, Arnaud MASSOT page 7 Assurance-vie : de l’absence de relations spontanées entre le bénéficiaire , le notaire et l’assureur Commentaire par Nicolas LEBLOND Page 15 Zoom sur quelques aspects pratiques, selon le support de la transmission : donation, legs, assurance-vie Étude par Sarah BERTAIL, Catherine BIENVENU, Sophie GONSARD, Pierre LEMÉE, Anouk MARCHALAND, Jean-Michel MATHIEU, Laurent MAZEYRIE, Céline PONCHEL-POUVREAU Page 17 PRODUITS FINANCIERS Le régulateur et la finance verte Étude par Sabrina DUPOUY Page 37 Le régime fiscal de la cession d'un contrat de capitalisation Étude par Pascal LAVIELLE Page 42 Le nouveau régime d'inscription des titres financiers en blockchain Étude par François GILBERT Page 47 Management packages : une structuration sous pression Article par Fabienne KEREBEL Page 54 PHILANTHROPIE Pourquoi et comment créer une fondation d'entreprise ? Étude par Laurent MAZEYRIE Page 21 Transmission de patrimoine : comment allier projet philanthropique et protection d'un proche ? Cas pratique par Catherine BIENVENU, Sarah BERTAIL, Anouk MARCHALAND, Céline PONCHEL-POUVREAU Page 26 Fonds de dotation : une niche fiscale protectrice d’enjeux d’actualité Écologie, culture et égalités sociales Étude par Julian CROCHET, Julie LEPRETRE Page 32
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9 ASSURANCE-VIE En présence de majeurs protégés, l’assureur se doit de connaître parfaitement les enjeux juridiques et financiers qui vont guider son analyse basée également sur un travail collaboratif avec les conseillers en charge d’une approche holistique et protectrice de cette clientèle dite « vulnérable ». 1. - Sauvegarde de justice, curatelle, tutelle, habilitation familiale et entre époux, mandat de protection future… autant de terminologies qui ont pénétré le langage commun et n’appartiennent plus seulement au vocabulaire vernaculaire de la gestion de patrimoine ; des mesures désormais essentiellement prononcées par le juge des contentieux de la protection, magistrat qui s’est vu attribuer les compétences du juge des tutelles liées aux majeurs protégés depuis le 1er janvier 20201. Passer d’une dénomination « tutelle » à celle d’un contentieux de la protection n’est évidemment pas neutre dans la sémantique de cette nouvelle dénomination et illustre la sensibilité du sujet. 2. - Les derniers chiffres de l’INSEE sont éloquents : une femme née en 2022 a une espérance de vie de 93 ans et un homme de 90 ans… Maladie, population vieillissante et accidents de la vie, sources majeures de vulnérabilité, exigent la nécessité du prisme d’un temps long via le truchement des réceptacles adaptés de l’épargne, et corrélativement justifient la place de choix de l’assurance-vie : produit banalisé par son succès mais pas banal par ses qualités juridiques et fiscales cumulatives en cas de vie ou en cas de décès. 3. - Nonobstant l’intérêt du produit d’assurance qualifié de couteau suisse de par son adaptation darwinnienne à quasi toutes les situations, les compagnies d’assurance devront être particulièrement vigilantes en maîtrisant les enjeux juridiques, réglementaires mais aussi réputationnels de la gestion de patrimoine des majeurs faisant l’objet d’une mesure de protection. Ndlr : Cette étude fait partie d'un dossier sur le majeur protégé. Elle a été publiée dans la revue Actes pratiques et stratégie patrimoniale 2023, n° 1, dossier 8. 1 En matière de mineurs protégés, les fonctions du juge des tutelles sont exercées par le juge aux affaires familiales (COJ, art. L. 213-3-1). 2 C. pén., art. 434-3. – Et Procès Barbarin, article 434-3 et interprétation stricte de la loi pénale, par Henri deBeauregard, 2019. 3 La commercialisation des produits financiers aux personnes âgées vulnérables : ACPR/AMF, avr. 2021. Et ce, d’autant que le sujet est sensible pour les autorités de contrôle. Qui sont les personnes visées ? 4. - La référence est l’article 434-3 du Code pénal. Ce dernier définit un majeur vulnérable comme étant « une personne qui n'est pas en mesure de se protéger en raison de son âge, d'une maladie, d'une infirmité, d'une déficience physique ou psychique ou d'un état de grossesse »2. L’article 425 du Code civil définit pour sa part les majeurs protégés comme « toute personne dans l'impossibilité de pourvoir seule à ses intérêts en raison d'une altération, médicalement constatée, soit de ses facultés mentales, soit de ses facultés corporelles de nature à empêcher l'expression de sa volonté » et qui fait l’objet d’une mesure de protection. À la lecture de ces deux définitions, il ressort que les majeurs protégés sont donc une catégorie sous-jacente de majeurs vulnérables. Or, la vulnérabilité peut être temporaire ou insoupçonnable et sujette à des abus de malveillance ; c’est la raison pour laquelle les placements sur les contrats d’assurance-vie nécessitent une vigilance particulière (C. assur., art. L. 132 4-1). 5. - Dans le cadre d’une enquête réalisée conjointement par l’ACPR et l’AMF, le pôle commun a publié ses travaux menés avec des professionnels de la gestion de patrimoine. Ce rapport pointe avec précision les enjeux liés la conception et à la conformité des produits. Conscient des défis d’aujourd’hui et de demain, le pôle commun présente des recommandations sur les stratégies de distribution et de digitalisation en présence d’une population dite « vulnérable », le plus souvent sujette à l’isolement et qui a difficilement accès aux outils numériques3. 6. - On sait très bien en qualité de professionnels de la gestion de patrimoine que ces recommandations seront suivies d’effet et donc faisons nôtre cette maxime pour illustrer notre article : ne pas prévoir c’est déjà gémir (Léonard de Vinci). La transmission du patrimoine protégé Laurent GAYET, directeur général adjoint AXA Wealth Europe Arnaud MASSOT, ingénieur patrimonial AXA Wealth Europe © Droits réservés © Droits réservés
10 ASSURANCE-VIE 7. - Ainsi, après avoir analysé la summa divisio des actes (actes de disposition/actes d’administration) qui conditionne le chemin d’appréciation de l’assureur dans ses analyses, nous verrons quelles conséquences en découlent en fonction des différents régimes de protection. Nous analyserons ensuite les précautions à prendre en termes d’investissement, l’actualité de la thématique du majeur protégé à travers trois évolutions paradigmatiques, avant de conclure par le tropisme de la clause bénéficiaire confronté à la problématique du conflit d’intérêts. 1. La summa divisio : distinction actes de disposition/actes d’administration 8. - La qualification entraîne l’application du régime adéquat de faisabilité. Ainsi l’étude du régime des actes de disposition et d’administration nécessite de s’appesantir sur leurs différences pour ensuite s’atteler aux capacités à faire du majeur. 9. - En matière de majeur protégé, l’assureur se réfère à l’alinéa 3 de l’article 496 du Code civil qui renvoie au décret n° 2008-1484 du 22 décembre 2008 relatif aux actes de gestion du patrimoine des personnes placées en curatelle ou en tutelle. Une véritable bible d’enseignements avec des annexes bienvenues qui encadre la question clef : dans quelle mesure un majeur faisant l’opération d’une mesure de protection pourra réaliser tel ou tel acte ? Les annexes 1 et 2 de ce décret se présentent sous forme de tableaux qui détaillent les actes considérés comme des actes d’administration ou de disposition. Le décret susmentionné définit les actes d’administration comme « des actes d’exploitation ou de mise en valeur du patrimoine de la personne protégée dénués de risque anormal. » Selon ce même décret, les actes de disposition sont des « actes qui engagent le patrimoine de la personne protégée, pour le présent ou l'avenir, par une modification importante de son contenu, une dépréciation significative de sa valeur en capital ou une altération durable des prérogatives de son titulaire ». En ce qui concerne la classification des actes réalisables en matière d’assurance-vie et/ou de capitalisation, le décret est assez limpide. Quasiment toutes les opérations sont considérées comme des actes de disposition. Seule l’acceptation d’une clause bénéficiaire dénuée de toute charge est classée en tant qu’acte d’administration. Toutes les autres opérations : souscription, rachat, versement complémentaire, désignation bénéficiaire, demande d’avance, mise en garantie… sont donc des actes de disposition. 4 Afférent aux retraits sur les comptes bancaires : Cass. 2e civ., 5 juin 2008, n° 07-14.077. 5 Michel Leroy, Appréciation de la classification des actes en droit de l’assurance vie, Dr & patr., nov. 2016, dossier, n° 263, p. 64. 6 Ces mesures de protection ont des durées variées, que l’assureur devra vérifier avant tout acte impliquant un contrat d’assurance-vie et/ou de capitalisation. 2. Quid des arbitrages qui ne sont pas expressément visés au sein d’un contrat ? 10. - D’aucuns considèrent que les principes afférents à la gestion d’un portefeuille titres sont transposables à la gestion d’un contrat d’assurance-vie mais la spécificité du contrat d’assurance empêche cette assimilation qui n’est d’ailleurs pas corroborée par la jurisprudence4. Est-ce que le législateur a souhaité englober les opérations d’arbitrage dans les actes liés aux instruments financiers ? Dans une hypothèse affirmative, une opération d’arbitrage serait à qualifier en tant qu’acte d’administration. Le décret y inclut en effet les « actes de gestion d'un portefeuille, y compris les cessions de titres à condition qu'elles soient suivies de leur remplacement . » 11. - Toutefois, le décret prévoit expressément qu’il fait référence aux instruments financiers au sens de l’article L. 211-1 du Code monétaire et financier. Aucun renvoi n’est effectué vers le Code des assurances qui définit ce droit d’arbitrage et régit les contrats d’assurance-vie et de capitalisation. L’idée d’associer une opération d’arbitrage à un acte de gestion d’un portefeuille telle que précédemment mentionné ne peut donc être confirmée sans risque de contestation. 12. - En pratique, les compagnies d’assurances ont tendance à considérer qu’un arbitrage du fonds en euros (fonds à capital garanti) vers un support en unité de compte est un acte de disposition. À l’inverse un arbitrage d’un support en unité de compte vers le fonds en euros serait un acte d’administration. Ce dernier acte serait un acte « dénué de risque anormal » au sens du décret. Le débat est posé sur la qualification du terme de risque anormal. 13. - Certains auteurs avancent un principe de cohérence qui assimilerait l’arbitrage à un acte de disposition, même en cas d’arbitrage vers le fonds en euros5. Ces auteurs précisent avec pertinence que la souscription d’un contrat d’assurance-vie mono-support en euros est un acte de disposition. Dans ce cadre, le principe de cohérence assimilant le principal et l’accessoire exigerait une seule et même qualification. Les pratiques des compagnies ne sont donc pas uniformes sur cette question et nous conseillons vivement de documenter la position. 14. - Comme nous l’avons précédemment mentionné, cette distinction entre un acte d’administration et de disposition emporte des conséquences qui varieront en fonction des degrés de protection6 . 3. Impact de la summa divisio avec la gradation des mesures : de la plus légère à la plus lourde A. - La sauvegarde de justice 15. - La sauvegarde de justice est une mesure peu contraignante, sauf si un mandataire spécial a été désigné afin de réaliser des actes déterminés. La personne sous sauvegarde de justice conserve l’exercice de ses droits (C. civ., art. 435). Ainsi, la personne ayant été placée sous sauvegarde pourra souscrire librement un contrat d’assurance-vie et effectuer les opérations de
11 son choix sur ce contrat (sauf à ce qu’un mandataire spécial ait été mandaté à cet effet). L’assureur gardera toutefois à l’esprit que les actes passés par la personne sous sauvegarde de justice pourront être déclarés nuls, être rescindés pour simple lésion ou réduits. L’article 435 du Code civil précise que « l’action en nullité, en rescision ou en réduction n’appartient qu’à la personne protégée, et, après sa mort, à ses héritiers ». Cette formulation entraîne une vigilance de la part de l’assureur qui pourra s’assurer (en lien avec le conseiller du client) de la consistance du patrimoine engagé par la personne protégée dans l’opération de souscription et/ ou d’arbitrage. Les investissements au sein d’un contrat d’assurance-vie et/ ou de capitalisation étant des investissements de long terme, il conviendra de s’assurer, en lien avec le conseiller du souscripteur, que la personne protégée dispose notamment de liquidités suffisantes pour faire face à d’éventuelles dépenses futures qui pourraient grever sa capacité d’épargne7. B. - La curatelle 16. - « La personne en curatelle ne peut, sans l’assistance du curateur, faire aucun acte qui, en cas de tutelle requerrait une autorisation du juge ou du conseil de famille »8. Cette règle édictée à l’article 467 du Code civil oblige la personne en curatelle à être assistée de son curateur pour tous les actes de disposition. Le Code des assurances confirme cette interprétation. Ainsi, le majeur sous curatelle pourra, accepter le bénéfice des capitaux d’un contrat dénoué (sans que la clause n’ait prévu de charges à son égard) ou effectuer un arbitrage vers le support fonds en euros à capital garanti. Concernant les autres actes, et notamment la désignation bénéficiaire, l’intervention du curateur sera nécessaire. C. - La tutelle 17. - L’article précité du Code des assurances applicable également à la tutelle en termes de conflit d’intérêts fixe également les règles en présence d’un souscripteur majeur sous tutelle. : « La souscription ou le rachat d'un contrat d'assurance sur la vie ainsi que la désignation ou la substitution du bénéficiaire ne peuvent être accomplis qu'avec l'autorisation du juge des tutelles ou du conseil de famille s'il a été constitué ». La Cour de cassation a eu l’occasion de rappeler récemment que le tuteur ne pouvait verser des primes sur un contrat d’assurance-vie sans autorisation du juge9. Ainsi l’accord du juge ou du conseil de famille sera nécessaire pour tous les actes de disposition. Les actes d’administration pourront être réalisés avec la seule signature du tuteur. En matière de tutelle et de curatelle, l’article L. 132-4-1 du Code des assurances alerte sur une situation de conflit d’intérêts si le curateur ou le tuteur 7 V. le chapitre « épargne de précaution ou précaution d’épargne ». 8 Conseil de famille composé de personnes nommées par le juge des tutelles et ayant la mission de défendre les intérêts du majeur protégé. 9 Cass. 1re civ., 18 déc. 2020, n° 20-70.003. 10 Se référer à la partie traitant du « tropisme de la clause bénéficiaire ». est désigné bénéficiaire du contrat. Nous aurons l’occasion de développer ce point supra lors de l’étude du tropisme de la clause bénéficiaire. D. - L’habilitation familiale (générale ou spéciale) 18. - Le juge peut désigner le conjoint en tant que personne habilitée : on parlera dans ce cas d’habilitation entre époux. 1° L’habilitation limitée à un ou plusieurs actes (C. civ., art. 494-6) 19. - Dans cette hypothèse, il faudra se référer à la décision du juge afin de déterminer si la personne habilitée peut effectuer des actes en lien avec un produit d’assurance, et si oui, dans quelle mesure ? 2° L’habilitation générale 20. - Si le juge l’estime nécessaire et dans l’intérêt de la personne protégée, il peut délivrer une habilitation générale. Dans ce cas de figure, la personne habilitée sera en mesure de souscrire un contrat d’assurance-vie au nom du majeur protégé, effectuer des rachats, des versements complémentaires, des arbitrages, ou encore demander une avance sur le contrat. Néanmoins, sauf accord du juge, la personne habilitée ne pourra accomplir un acte qui la placerait dans une situation de conflit d’intérêts avec la personne protégée. En matière de contrat d’assurance-vie, on se référera à l’article L. 132-4-1 du Code des assurances et on présumera une telle situation si la personne habilitée est désignée bénéficiaire du contrat. Il faudra alors demander une autorisation exceptionnelle au juge qui sera le seul à pouvoir valider une telle opération dans l’intérêt du majeur protégé10. Les pouvoirs de la personne habilitée sont également limités par l’article 4946 du Code civil qui prévoit l’impossibilité pour celui-ci d’effectuer des actes de disposition à titre gratuit, sauf à obtenir une autorisation du juge. Le débat porte sur la qualification à donner à la désignation et la substitution du bénéficiaire à travers la clause d’un contrat d’assurance-vie. Si la qualification est claire en présence d’une clause bénéficiaire à titre onéreux, la question n’est pas totalement tranchée par la doctrine et les praticiens sur le caractère gratuit d’une clause bénéficiaire classique. La prudence recommande donc de faire valider la rédaction de la clause bénéficiaire par le juge avant de présenter celle-ci à l’assureur. 10 3° La réserve posée à l’article 494-9 du Code civil 21. - Que l’habilitation familiale soit générale ou limitée à certains actes, l’assureur devra particulièrement être vigilant sur la nature des actes que peut réaliser la personne protégée. Tout acte passé par le majeur faisant l’objet d’une telle mesure de protection sera nul de plein droit si ces actes relevaient de la personne habilitée. Le majeur protégé se trouve donc privé de réaliser les actes entrants, par décision du juge, dans le champ de la mission de la personne habilitée (C. civ., art. 494-6).
12 ASSURANCE-VIE E. - Le cas particulier du mandat de protection future 22. - Seules les spécificités du mandat pour soi-même seront développées ici. Ce mandat permet d’anticiper sa propre dépendance en précisant dans quelle mesure le mandataire pourra représenter le mandant quand celui-ci ne sera plus en mesure de pourvoir seul à ses intérêts (C. civ., art. 477). L’essence de ce mandat repose sur la liberté rédactionnelle. Néanmoins, ce dernier devra être suffisamment précis lors de sa rédaction. Le rédacteur gardera ainsi à l’esprit l’importance d’utiliser un vocabulaire spécifique aux opérations d’assurance de personne et de capitalisation. Le contrat d’assurance n’est pas un compte et l’utilisation de termes non appropriés risque d’entraîner une perte d’effet du mandat sur ces opérations. L’assureur se référera ainsi au mandat afin de déterminer le champ de compétence du mandataire. Si ledit mandat se révèle ambigu ou approximatif, le mandataire devra alors solliciter l’accord du juge (C. civ., art. 493). En présence d’un mandat réalisé sous seing privé, le mandataire verra ses prérogatives limitées aux actes d’administration. Ses compétences seront donc limitées en matière d’assurance-vie et de capitalisation11. Le mandant souhaitant donner un champ d’aptitude élargie au mandataire optera ainsi pour un mandat notarié. Sous réserve de la bonne rédaction du mandat, le mandataire pourra alors réaliser les actes patrimoniaux que le tuteur peut accomplir seul ou avec une autorisation (C. civ., art. 490). 23. - Toutefois, une limite est posée à l’article 490 du Code civil : le mandataire ne peut accomplir un acte de disposition à titre gratuit qu’avec l’autorisation du juge. Sans revenir sur le débat de cette qualification vis-à-vis de la désignation ou de la substitution bénéficiaire, une solution alternative consisterait à prévoir une clause bénéficiaire dans le mandat. La volonté du mandant devrait alors primer et en cas de souscription d’un contrat d’assurance-vie dans l’intérêt du mandant, le mandataire pourrait se référer à cette clause bénéficiaire. Une clause rédigée par le mandant lorsque celui-ci était pleinement capable. REMARQUE En matière de majeurs protégés, la forme ne prime pas sur le fond. C’est ce qu’il ressort de l’article 466 du Code civil. La Haute Juridiction a eu l’occasion de le rappeler dans un arrêt du 15 janvier 2020. En l’espèce, une personne sous curatelle et son curateur avaient procédé à une modification de la clause bénéficiaire d’un contrat d’assurance-vie. Au décès de l’assuré, sa veuve a demandé la nullité de cette modification. La Cour de cassation a donné raison à sa demande en énonçant que « le respect des dispositions relatives à la régularité des actes accomplis par une personne placée sous le régime de curatelle ne fait pas obstacle à l'action en nullité pour insanité d'esprit ». 11 Se référer à la partie « La summa divisio pour l’assureur ». 12 Cass. 1re civ., 18 déc. 2020, n° 20-70.003. 13 D. Noguero, Revue de la Recherche Juridique, 2018-1. 14 CA Bordeaux, 8 juin 2016, n° 15/06749. 4. Les investissements au sein du contrat : épargne de précaution ou précaution de l’épargne ? A. - Le terme « prudence » et la notion de « risque » dans l’allocation des contrats du majeur protégé 24. - Une mesure de protection juridique liée au majeur est destinée à protéger la personne en tant que telle mais également les intérêts patrimoniaux de celle-ci (C. civ., art. 425). Le législateur ne définit pas ce que la notion des « intérêts patrimoniaux » du majeur protégé englobe. Il est toutefois prévu qu’en présence d’une personne sous tutelle, le tuteur doit apporter des soins prudents, diligents et avisés, et ce, dans le seul intérêt de la personne protégée. Une formule générique qui, selon nous, doit s’appliquera tous les majeurs protégés, quelle que soit la mesure de protection (C. civ., art. 496). 25. - Dès lors, le professionnel de la gestion de patrimoine doit s’interroger sur ce qu’on entend derrière la formulation de « soins prudents » lorsqu’il doit décider de l’architecture financière d’un contrat d’assurance-vie. La Cour de cassation a d’ailleurs rappelé qu’un contrat d’assurance-vie n’est pas un compte mais un placement pouvant comporter des « risques financiers, notamment lorsqu’il est libellé en unités de compte »12. 26. - En l’absence de définition claire des « intérêts patrimoniaux » du majeur protégé ainsi que des « soins prudents » qui doivent guider le tuteur dans le cadre de sa mission, il convient d’effectuer une analyse au cas par cas. 27. - Comme nous l’avons vu précédemment, le tuteur devra obtenir l’accord du juge ou du conseil de famille (s’il a été constitué) pour toute opération de souscription, de versement ou de réorientation d’épargne (visant à investir sur des supports en unité de compte). Le tuteur s’en remet ainsi à l’appréciation du juge. Mais qu’en est-il pour les autres mesures de protection ? Comment un curateur ou une personne habilitée doit-il appréhender ces notions de « risques » et de « soins prudents » ? 28. - En principe, la jurisprudence tend à favoriser des supports offrant une garantie en capital tel que le support sécurisé en euros13. Un arrêt de la cour d’appel de Bordeaux est assez révélateur de cette situation14. En l’espèce le sujet ne concernait pas un majeur protégé mais un mineur. Dans cette affaire, les juges devaient choisir entre deux placements. La première option consistait à investir sur un support ayant affiché un rendement supérieur à 10 % sur les 2 dernières années. Cet investissement ne présentait pas de frais d’entrée. La deuxième option représentait un investissement réparti en intégralité sur le support du fonds en euros à capital garanti. Cette option présentait l’application de frais d’entrée. Les juges retinrent la deuxième option au motif que l’investissement devait être sécurisé et comporter « une garantie en capital à l’abri des turbulences boursières ».
13 29. - Cette décision s’inscrit néanmoins dans une situation qui depuis a évolué. Un placement motivé uniquement par une volonté de protection du capital sans tenir compte du rendement et des frais est un placement pouvant être synonyme d’appauvrissement. Les rendements générés par les supports garantis peinent à protéger de l’inflation (notamment dans le contexte actuel) et les taux de rendement réels se trouvent ainsi négatifs. L’essence même d’une solution assurantielle repose sur une durée d’investissement à long terme dont on voit que l’horizon s’allonge avec l’espérance de vie. Pourquoi privilégier un support offrant de moins en moins de rendement avec des frais qui viennent amputer la garantie en capital au détriment de supports certes plus risqués mais plus rémunérateurs sur un horizon d’investissement à moyenlong terme ? Le discernement doit jouer ici pour faire sauter le totem des 100 pourcents fonds euro dès lors que le majeur est protégé. Les notions de « risques » et de « prudence » doivent donc faire l’objet d’une analyse individualisée et ne peuvent en aucun cas être généralisées à toutes les situations. 30. - Dans son dernier rapport sur les majeurs vulnérables15, l’AMF et l’ACPR alertent sur les risques de commercialisation inadaptée aux besoins des majeurs. L’assureur sera ainsi principalement vigilant sur le patrimoine global du majeur protégé et sur sa capacité à faire face à des besoins de liquidité soudain. En conséquence, l’analyse sera différente entre un majeur détenant un million d’euros de liquidités sur un compte bancaire et un majeur souhaitant placer l’intégralité de son patrimoine financier au sein d’un contrat d’assurance-vie investi à 100 % sur des supports en unité de compte. Une analyse sera donc menée par l’assureur en collaboration avec le conseiller du client qui dispose, lui, de la connaissance client. Si le placement sur un capital garanti a tendance à rassurer les non-initiés aux investissements financiers, il est désormais loin d’être la seule solution de placement appropriée, surtout en période inflationniste. B. - L’assureur confronté à l’approche holistique du client 31. - En raison des règles encadrant les actes de gestion liés aux majeurs protégés, l’assureur doit se montrer vigilant et s’assurer que le formalisme est respecté, au risque de voir l’acte déclarer nul de plein droit. Ce qui implique un personnel formé et à même de maîtriser les enjeux réglementaires de la gestion de patrimoine des majeurs protégés. 32. - Au-delà de ces aspects formels, l’assureur doit également vérifier la cohérence de l’acte avec la situation du majeur. Ce contrôle sera effectué par les différentes instances de contrôle de la compagnie mais également dans le cadre d’une collaboration avec le conseiller du client. Ce dernier doit pouvoir justifier de la bonne cohérence de l’opération envisagée au vu de la situation patrimoniale et personnelle du majeur. Cette opération de contrôle est parti15 20210408_communication_professionnels_commercialisation_produits_financiers_seniors_vulnerables.pdf (banque – france.fr). 16 L. Gayet, les nouveaux paradigmes de la gestion de patrimoine : Actes prat. strat. patrimoniale 2021, n° 3. 17 www.insee.fr/fr/statistiques/2122401. 18 https://www.economie.gouv.fr/ 19 ACPR Banque de France, n° 140-2022, Analyses et synthèses. 20 I’ARGUS de l’assurance, Rendements assurance vie : le palmarès 2022 des fonds euros. 21 Rendement et risque des placements en actions | AMF (amf-france.org). culièrement délicate pour l’assureur qui ne dispose pas de la connaissance client. Seul le conseiller du client a une vision du patrimoine global du souscripteur. Un investissement au sein d’un contrat réalisé à 100 % en unités de compte pourrait être motivé par le fait que le majeur détient d’autres contrats investis sur des supports en capital garanti au sein d’une autre compagnie. 33. - Ce dernier point n’est d’ailleurs pas un sujet facile pour l’assureur intermédié car il n’est pas conseil du client dans ce cas : pourra-t-il alors accepter un contrat 60 pourcent UC au motif que le conseiller du majeur lui indique que le majeur a 100 pourcents de fonds euro chez un concurrent ? Certes, plus l’horizon d’investissement sera long, plus la possibilité d’investir sur des actifs n’offrant pas une garantie en capital sera importante. Mais il conviendra alors de mettre des garde-fous : par exemple demander au conseiller du majeur (avec un écrit) de prévenir l’assureur de toute évolution (arbitrage…) qui remettrait en cause l’allocation initiale sur des actifs risqués si le patrimoine global venait à évoluer défavorablement. C. - La notion de « préservation » du patrimoine 34. - En matière de préservation du patrimoine, il faut s’assurer que les rendements de son investissement soient supérieurs aux poussées inflationnistes. La valeur d’un euro hier est différente de celle d’aujourd’hui. Cette érosion monétaire doit être prise en compte. Un placement dont le rendement est inférieur à celui de l’inflation conduira à un appauvrissement du majeur protégé et donc à une non-préservation de son patrimoine. Le fonds en euros propose certes un capital garanti mais n’offre aucune garantie face à l’érosion monétaire. Les professionnels de la gestion de patrimoine garderont cette citation à l’esprit « Appauvris-toi si tu veux et ça au moins c’est garanti »16. En France le taux d’inflation annuel varie entre 2,1 % et 1,6 % depuis 201117. Ces taux apparaissent très bas face à une année 2022 qui s’achève avec une inflation atteignant les 5,2%18. 35. - À l’inverse, le taux de revalorisation moyen des fonds euros des contrats d’assurance-vie et de capitalisation a atteint 1,28 % (avant prélèvements sociaux) en 2021. Ce taux n’a cessé de baisser d’environ 20 points de base chaque année depuis 201219. L’année 2022 est venue mettre un terme à cette période de baisse. Les rendements oscillaient ainsi entre 1,6% et 2,5%, pouvant atteindre 3,75% en fonction du pourcentage d’unités de compte et de certains bonus octroyés par les compagnies d’assurances20.Une performance qui est loin de compenser l’inflation. À l’opposé de cette tendance, il a été démontré que le rendement réel moyen (inflation déduite) des actions du CAC 40 atteignait 6,8 % pour un placement réalisé de 1988 à 202121.
14 ASSURANCE-VIE Actuellement le rendement réel des fonds en euros est donc négatif en tenant compte de surcroît des frais et des prélèvements sociaux au fil de l’eau qui viennent obérer la rentabilité. Les investisseurs l’ont bien compris et ont procédé à un changement dans leur choix d’investissement, privilégiant les unités de compte au fonds en euros22. Le professionnel de la gestion de patrimoine et l’assureur doivent garder ce point en tête lors du choix des actifs sous-jacents au contrat d’assurance du majeur protégé. D’autres actifs que le support garanti doivent être étudiés afin de garantir une « préservation » du patrimoine du majeur protégé. Certains produits structurés proposent ainsi une garantie partielle ou totale en capital en contrepartie d’une durée d’investissement connue à l’avance. Les différents scénarios de performance étant également connus, la gestion du risque est facilitée. Le conseiller pourrait également s’orienter vers une solution créée en 2014 et remise au goût du jour par la loi PACTE : l’eurocroissance nouvelle génération. D. - L’eurocroissance : une solution alternative ? 36. - L’eurocroissance est un support offrant une garantie totale en capital au terme d’une durée d’investissement d’au moins 8 ans. En contrepartie de cet horizon d’investissement, ce support offre un rendement supérieur à celui offert par le fonds en euros dit « classique ». Une garantie à terme et un rendement supérieur au fonds euros sont les maîtres mots qui plaident en faveur de l’eurocroissance y compris pour des majeurs protégés. Le juge acceptera-t-il de faire rimer la garantie à terme avec l’horizon à long terme du placement ? La jurisprudence sera utile sur cette thématique d’actualité qui n’est pas la seule. 5. Les trois évolutions paradigmatiques A. - Le risque réputationnel de la compagnie avant le risque juridique 37. - « Il est plus facile de garder intacte sa réputation que de la blanchir quand elle est ternie » (Thomas Paine) Au-delà du risque juridique, qui lorsqu’il se réalise entraîne souvent des conséquences financières, le principal enjeu est de nature réputationnel. La terminologie « majeur protégé » est souvent accompagnée de la formule « abus de faiblesse ». L’assureur qui manque à ses opérations de contrôle renforcé et qui accepte une opération incohérente avec la situation du majeur risque sa réputation. Si cette opération inadaptée aux intérêts de la personne protégée entraîne de surcroît une perte financière, une assignation de l’assureur pour demander le remboursement de cette perte n’est pas à exclure. Peu importe que l’assureur soit de bonne ou de mauvaise foi, qu’il ait fait confiance au conseiller en charge du majeur protégé, cela ne fera guère de différence aux yeux de l’opinion publique. Cette dernière assimilera rapidement le nom de la compagnie d’assurances à une compagnie pratiquant l’abus de faiblesse sur ses assurés les plus vulnérables. 22 France Assureurs, l’assurance vie en 2020, étude. 23 La commercialisation de produits financiers aux personnes âgées vulnérables, avr. 2021. Les réseaux sociaux pouvant s’approprier le sujet, l’assureur n’aurait alors pas besoin d’un procès judiciaire pour perdre le procès de l’opinion publique. Les conséquences d’une « compagnie bashing » se traduiront par des effets plus importants que le simple versement de dommages et intérêts. B. - Digitalisation : un impact particulier ? 38. - La principale difficulté d’aujourd’hui et de demain est d’adapter les outils digitaux au formalisme requis des actes traitant de la gestion de patrimoine des majeurs protégés. Comment s’assurer, lors de l’utilisation de canaux digitaux et de la signature électronique, que la personne en charge du majeur (curateur, tuteur, mandataire, personne habilitée…) ait bien signé les documents nécessaires à l’opération ? Comment concilier au mieux les bienfaits de la digitalisation (délai de traitement des opérations réduit, accès à la situation des contrats en temps réel, absence de déplacement pour des personnes en situation de mobilité réduite…) et les intérêts des majeurs protégés ? Comment prévenir et détecter le risque d’abus ? Est-ce que le formalisme imposé par le Code des assurances et le Code civil exclut d’ores et déjà cette population qui devra alors effectuer ces demandes d’opération selon l’ancien schéma (signature de documents manuscrits en présence du conseiller en gestion de patrimoine qui transmettra ces documents à l’assureur). Les assureurs doivent se saisir de ces sujets et trouver des solutions qui devront toujours être prises dans l’intérêt du majeur protégé. Le Pôle commun de l’ACPR et de l’AMF a eu l’occasion de rappeler les enjeux et les risques de la digitalisation en présence d’une clientèle vulnérable. Une des solutions mise en avant par ce rapport23 consiste en une approche complémentaire des différents canaux de distribution (rendez-vous en agence, entretien téléphonique et internet). L’assureur pourrait ainsi confirmer par un contre-appel téléphonique une opération réalisée par le majeur via internet et s’assurer de la bonne cohérence de celle-ci en contactant le conseiller. Les compagnies d’assurances luxembourgeoises exerçant en libre prestation de services sont d’autant plus impactées par cette thématique en raison du caractère transfrontalier de leurs activités qui exacerbe le risque de l’utilisation des outils internet avec un self care digital priorisé. Par ailleurs, la « vente à distance » de produits financiers nous paraît devoir être particulièrement encadrée pour cette population très exposée parce que vulnérable. C. - Récupération des aides sociales : un contentieux méconnu mais de plus en plus abondant 39. - Une disposition du Code de l’action sociale et des familles peut créer de mauvaises surprises pour des bénéficiaires d’un contrat d’assurance-vie. Il est en effet prévu que l’État ou le département puisse effectuer des recours contre le(s) bénéficiaire(s) d’un contrat d’assurance-vie alimenté par des primes versées après les 70 ans de l’assuré. Ce recours vise à récupérer les aides sociales qu’aurait perçues l’assuré (CASF, art. L. 132-8). Cette opération
15 a pour finalité de diminuer le montant de la prestation d’assurance auquel peuvent prétendre les bénéficiaires désignés. 40. - La Cour de cassation a d’ailleurs eu l’occasion de se positionner dans un arrêt du 7 février 2018. En l’espèce, un juge des tutelles avait autorisé la souscription d’un contrat d’assurance-vie au nom d’un majeur en tutelle. À son décès, les quatre enfants (désignés bénéficiaires) du majeur ont chacun perçu leur quote-part au titre de la prestation d’assurance. Un organisme demanda à obtenir le remboursement des prestations servies au tutélaire et agit contre les héritiers. Le tutélaire avait bénéficié de l’Association de solidarité aux personnes âgées. L’organisme demanda ainsi la réintégration à l’actif successoral du montant des primes versées après le 70e anniversaire sur le contrat d’assurance-vie ouvert par le majeur protégé avec l’accord du juge des tutelles. Un enfant contesta cette demande. 41. - Parmi les rejets de l’argumentation de l’enfant contestataire, la Cour de cassation a précisé que « l'autorisation donnée par le juge des tutelles à un tuteur de placer, sur un contrat d'assurance sur la vie, des capitaux revenant à un majeur protégé, ne prive pas les créanciers du droit […] de revendiquer la réintégration, à l’actif de la succession, des primes versées par le souscripteur qui sont manifestement excessives au regard de ses facultés ». Il est assez clair qu’un placement au sein d’une police d’assurance, même validé par le juge, ne permet pas de contourner l’article L. 132-8 du Code de l’action sociale et des familles. En conclusion il est désormais indispensable dans le cadre du devoir de conseil de répertorier les aides récupérables pour anticiper ces contentieux. 6. Le tropisme de la clause bénéficiaire et du « conflit d’intérêts du protecteur » A. - Formalisme/substitution/testament 42. - La désignation ou la substitution d’un bénéficiaire peut être réalisée dans la police, par voie d’avenant au contrat, par testament ou dans le respect des formalités précisées à l’article 1690 du Code civil (C. assur., art. L. 132-8). La Cour de cassation a récemment eu l’occasion de rappeler ce formalisme24. La Haute Juridiction a également précisé dans un arrêt du 10 mars 2022 que « la désignation ou la substitution du bénéficiaire d’un contrat d’assurance n’a pas lieu, pour sa validité, d’être portée à la connaissance de l’assureur »25. Dans le cadre de la curatelle, nous avons déjà détaillé que toute modification/substitution d’un bénéficiaire doit être réalisée par la personne protégée assistée de son curateur. Dans un arrêt du 23 février 2022, la Cour de cassation a déclaré que « ne commet pas de faute en transmettant pour simple information au juge des tutelles une lettre du majeur protégé indiquant vouloir changer le bénéficiaire de son assurance-vie, dès lors qu’il n’a pas été sollicité par le majeur pour l’assister dans sa démarche »26. 24 Cass. 2e civ., 13 juin 2019, n° 18-14.954. 25 Cass. 2e civ., 10 mars 2022, n° 20-19.655. – M. Thomas-Marotel, Assurance-vie : substitution du bénéficiaire par testament et information de l’assureur : DEF 12 mai 2022, n° 19. 26 Cass. 1re civ., 23 mars 2022, n° 20-22.136, F-D : BPAT 3/22, Éditions Francis Lefebvre. 27 Ccass, Chambre civile 1, 4 novembre 2010 n° 07-21.303. Au-delà de ces problématiques de forme, l’un des risques en matière de désignation bénéficiaire est une situation de conflit d’intérêts entre le majeur protégé et son protecteur. B. - Conflit d’intérêts 43. - « Lorsque le bénéficiaire du contrat d’assurance sur la vie est le curateur ou le tuteur, il est réputé être en opposition d’intérêts avec la personne protégée » (C. assur., art. L. 132-4-1). En pratique, le curateur, le tuteur ou encore la personne habilitée sont des personnes proches du majeur protégé. Il peut s’agir du conjoint de ce dernier ou de l’un de ses enfants. Dès lors, la personne désignée pour assister le majeur a toute légitimité pour être bénéficiaire d’un contrat d’assurance-vie détenue par le majeur dont il défend les intérêts. 44. - Le législateur a anticipé cette situation et a prévu qu’un curateur/tuteur ad hoc puisse être nommé par le juge ou par le conseil de famille s’il a été constitué (C. civ., art. 455). Lorsque la personne protégée souhaite désigner le curateur/tuteur en qualité de bénéficiaire d’un contrat d’assurance-vie, ce dernier devra demander au juge d’effectuer cette nomination (la compagnie d’assurances n’acceptera la clause qu’à ces conditions). La modification de la clause bénéficiaire au profit du curateur/tuteur sera ainsi réalisée avec le majeur protégé assisté par le curateur/tuteur ad hoc. 45. - En matière de conflit d’intérêts, il convient également de vérifier la profession du bénéficiaire. Il s’agit notamment ici des professionnels de la santé qui auraient pris en charge le majeur protégé. Le Code civil prévoit d’ailleurs ce cas de figure en disposant que « Les docteurs en médecine ou en chirurgie, les officiers de santé et les pharmaciens qui auront traité une personne pendant la maladie dont elle meurt, ne pourront profiter des dispositions entre vifs ou testamentaires qu'elle aurait faites en leur faveur pendant le cours de cette maladie. » (C. civ., art. 909). La Haute Juridiction s’est d’ailleurs prononcée sur cette règle et l’a confirmé en matière de désignation bénéficiaire dans un arrêt du 4 novembre 201027. C. - L’habilitation familiale à l’épreuve du conflit d’intérêts 46. - Ce type de mesure est prononcé dans un cadre familial. Il n’est pas surprenant que la personne habilitée soit également une héritière de la personne protégée. Dès lors, doit-on présumer une situation de conflit d’intérêts en présence d’une clause bénéficiaire qui désignerait les héritiers de la personne habilitée ? La référence aux règles de droit commun devrait tempérer cette présomption. La personne habilitée se retrouve bénéficiaire du fait de sa qualité d’héritière et non nominativement. Cette qualité peut évoluer et in fine, la personne habilitée pourrait perdre sa qualité d’héritière en fonction de l’évolution de la situation familiale de la personne protégée. De même, dans le cadre de sa mission de protection du majeur protégé, la personne habilitée
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