pour le marché intérieur, la Commission européenne s’est saisie de cette question par la proposition de directive ATAD 3 du 22 décembre 2021. La Commission y voit un objectif de préservation d’une concurrence fiscale entre les entreprises opérant dans l’Union. La Commission expose que ce nouveau texte complétera la proposition de directive du 22 décembre 2021 relative à la mise en place d’un niveau d’imposition minimum mondial pour les groupes multinationaux dans l’Union européenne6. La proposition relative aux sociétés fictives a un champ d’application plus large, dans la mesure où elle vise les entités écrans résidentes d’un État membre, sans condition de seuil de chiffre d’affaires ; la proposition relative à l’imposition minimale ne concerne que les groupes de sociétés dont le chiffre d’affaires consolidé dépasse 750 M€. La Commission souligne ainsi la complémentarité des mesures en termes d’égalité de traitement : l’imposition minimale pourrait décourager la création d’entités fictives par des groupes multinationaux et l’adoption de règles générales contre ces sociétés fictives contribuerait à protéger l’assiette fiscale des groupes de taille plus réduite qui n’atteignent pas le seuil de 750 M€. Harmonisation. – L’efficacité de la proposition de directive sur les sociétés écrans nécessite l’adoption de règles au niveau européen : certains États membres ont adopté des règles spécifiques pour lutter contre les sociétés fictives, mais la plupart s’appuient sur des règles anti-abus générales appliquées au cas par cas. Les règles envisagées auront nécessairement une dimension transfrontière induite par l’érosion de la base d’imposition d’un État membre autre que celui dans lequel est établie l’entité fictive. La législation relative à la fiscalité directe relève de l’article 115 du Traité sur le fonctionnement de l’UE7 qui impose le recours à une directive adoptée à l’unanimité. La proposition n’aboutira donc pas à une harmonisation complète, mais seulement à une protection minimale contre les sociétés fictives. Dans une certaine mesure, les règles nationales continueront de s’appliquer. En effet, le considérant n° 3 de la proposition de directive précise que « Lorsqu’il est constaté qu’une entreprise présente une substance suffisante en vertu de la présente directive, cela ne devrait pas empêcher les États membres de continuer à appliquer des règles de lutte contre l’évasion et la fraude fiscales, pour autant que celles-ci soient compatibles avec le droit de l’Union ». Leur application devrait même être facilitée par les nouveaux critères de définition d’une société fictive, les États membres ayant accès à de nouvelles informations sur ces structures. La Commission cherche à éviter des réponses désordonnées à la problématique des sociétés écrans au sein de l’UE en prescrivant une harmonisation minimale des critères de qualification et des effets attachés à cette qualification. B. - Les critères de qualification d’une« entité écran » Applications diverses de la notion de « substance économique ». – À ce jour, la substance économique d’une société s’apprécie, au cas par cas, au regard d’éléments factuels. Par exemple, une société étrangère créée pour acquérir les titres d’une société française peut avoir suffisamment de moyens humains et matériels si elle dispose d’un local assez grand, de salariés qualifiés pour exercer l’activité, mais aussi si le recours à la sous-traitance pour des fonctions considérées comme essentielles n’est pas excessif, ou encore si les décisions sont prises localement par des dirigeants résidents de cet État qui ont un réel pouvoir d’engagement de la société. Sans prétendre à l’exhaustivité, l’administration fiscale, sous le contrôle du juge administratif ou judiciaire, apprécie la substance économique des sociétés à travers différents fondements : ‰les établissements stables en matière d’impôt sur les bénéfices (sur le fondement des conventions fiscales internationales) ou en matière de TVA (sur le fondement de la directive TVA 2006/112/CE du 28 novembre 2006) sont caractérisés, dès lors qu’il existe des moyens matériels et humains suffisants à l’exercice de l’activité. À l’inverse, les entreprises peuvent avoir tendance à minimiser la consistance des établissements stables pour échapper à une imposition au sein de l’État d’établissement 8 ; ‰sur le fondement de l’article L. 16 B du LPF, le juge des libertés et de la détention peut autoriser l’Administration à effectuer une visite domiciliaire lorsqu’il existe des présomptions qu’un contribuable se soustrait à l’établissement ou au paiement de l’impôt sur les bénéfices ou de la TVA, pour rechercher la preuve de ces agissements. À ce titre, l’Administration peut rassembler des éléments factuels laissant présumer l’absence de moyens matériels et humains d’une société étrangère9 ; ‰sur le fondement de l’article 1741 du CGI, incriminant le délit de fraude fiscale, il est possible de sanctionner pénalement des contribuables (résidents français) ayant recours à une domiciliation fictive à l’étranger, comme lors de la dissimulation des gains provenant de la cession d’actions au sein d’une société écran luxembourgeoise10 ; 6. Le 8 octobre 2021, 136 des 140 juridictions membres du cadre inclusif OCDE/ G20 sur le projet « BEPS » ont adopté une déclaration sur une solution reposant sur deux piliers pour résoudre les défis fiscaux soulevés par la numérisation de l’économie (pilier I : octroi aux « juridictions de marché » d’un droit d’imposer certains profits nés sur leur territoire par des entreprises non résidentes sans établissement stable ; pilier II : mécanisme d’imposition minimale des groupes de sociétés). 7. L’article 115 du TFUE prévoit l’adoption par le Conseil, à l’unanimité, de dispositions pour le rapprochement des législations des États membres sur la fiscalité ayant une incidence directe sur le fonctionnement du marché intérieur. 8. Par ex., récemment, CE, 11 déc. 2020, n° 420174, Conversant International Ltd : JurisData n° 2020-020358 ; Dr. fisc. 2022, n° 7-8, comm. 120, note S. Dorin. Le Conseil d’État a reconnu l’existence d’un établissement stable en matière d’impôt sur les sociétés (sur le fondement de la convention fiscale franco-irlandaise) et en matière de TVA (not. sur le fondement de la directive TVA et de la jurisprudence communautaire). Cette décision remarquée adopte une approche économique et une interprétation extensive de la notion d’établissement stable pour tenir compte du contexte de numérisation de l’économie. 9. Par ex. : « Et attendu, en second lieu, que, par motifs propres et adoptés, l’ordonnance relève que les destinataires des œuvres expédiées par la société Galerie X... sont majoritairement situés hors du territoire national, telles les sociétés britanniques Dickens Corporation Ltd et Hule Ltd qui sont installées à une adresse de domiciliation et n’ont déclaré, depuis leur création jusqu’au 30 novembre pour la première et 31 décembre 2013 pour la seconde, ni chiffre d’affaires ni charge salariale aux termes de la consultation de banques de données internationales ; qu’elle ajoute que la comparaison du livre de police de la société Galerie X... et du fichier informatisé de traitement de la taxe sur la valeur ajoutée intra-communautaire de la direction générale des douanes et des droits indirects révèle des discordances entre 2012 et 2014, de nombreuses œuvres d’art en provenance de ces sociétés britanniques figurant sur le livre de police, cependant que le fichier ne fait état d’aucune vente et d’un seul achat avec elles, et que les courriers échangés avec la société Galerie X..., justifiés par des factures, confirment l’existence de multiples ventes et achats ; que le premier président a pu déduire de ces constatations et appréciations l’existence de présomptions selon lesquelles les sociétés Dickens Corporation Ltd et Hule Ltd s’interposaient sans justification entre la société Galerie X... et ses partenaires commerciaux afin de majorer ses charges et/ou minorer ses recettes, diminuant ainsi ses bases taxables à l’impôt sur les sociétés, sans que celle-ci procède à la passation régulière de ses écritures comptables » (Cass. com., 27 sept. 2017, n° 16-23.086). 10. « Attendu qu’en l’état de ces énonciations, qui établissent l’existence d’un montage juridique et financier, élaboré pour se soustraire à l’établissement et au paiement total de l’impôt sur le revenu dont est passible la cession de valeurs mobilières, la cour d’appel, qui a, sans insuffisance ni contradiction, répondu aux chefs péremptoires des conclusions dont elle était saisie et caractérisé en tous ses éléments, tant matériels qu’intentionnel, le délit de fraude fiscale poursuivi, a justifié sa décision » (Cass. crim., 18 mai 2011, n° 10-87.011 : JurisData n° 2011-012375). ©LEXISNEXISSA - ACTESPRATIQUES&STRATÉGIE PATRIMONIALE - N° 2 - AVRIL-MAI-JUIN 2022 44 Le point sur
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