Actes pratiques et strategie patrimoniale

10 La fiducie-libéralité Claude BRENNER, professeur à l’université Paris 2 Panthéon-Assas 1. - DE LA PROHIBITION... A. - Principe et raison d’être de la prohibition B. - Portée de la prohibition 1° La cession à titre gratuit du contrat de fiducie 2° La libéralité à charge de constituer une fiducie 3° Le recours aux techniques sociétaires 2. - ... À LA CONSÉCRATION ? A. - Les alternatives B. - Les implications Actuellement prohibée, la fiducie-libéralité devrait-elle être consacrée par la loi ainsi que des voix de plus en insistantes le demandent ? La question invite naturellement à se demander quels bénéfices pourraient en résulter par rapport aux alternatives et substituts qui ont actuellement cours ou dont l’usage est suggéré. Mais pas simplement. Elle commande aussi de s’interroger sur la compatibilité de l’institution avec l’organisation technique et politique du droit successoral français. 1 - Polyvalence de la fiducie et distinction de ses fonctions. – « Opération par laquelle un ou plusieurs constituants transfèrent des biens, des droits ou des sûretés, ou un ensemble de biens, de droits ou de sûretés, présents ou futurs, à un ou plusieurs fiduciaires qui, les tenant séparés de leur patrimoine propre, agissent dans un but déterminé au profit d’un ou plusieurs bénéficiaires » (C. civ., art. 2011), la fiducie, à raison de sa plasticité, est susceptible de poursuivre en pratique des fins très diverses que la doctrine s’est employée à regrouper autour de deux ou trois grandes fonctions. Cette polyvalence naturelle de l’institution, qui en fait tout l’intérêt, explique que la loi française l’ait d’abord organisée de manière globale par l’édiction d’un corps de règles générales l’encadrant de façon indifférenciée. Dans l’organisation civile reçue de la loi du 19 février 2017, la fiducie pourrait ainsi déployer ses utilités, espérait-on, dans les deux grandes directions que la systématisation doctrinale avait fait apparaître, dans le souvenir de la distinction romaine de lafiducia cum amicoet lafiducia cum creditore : la constitution d’un patrimoine fiduciaire à fin de gestion ou bien de sûreté1. Sans préjudice, éventuellement, de la superposition des fonctions assignées à l’opération2. Ce silence gardé par la loi sur les fonctions, non pas concrètes, mais génériques de la fiducie est cependant apparu regrettable. D’une part, parce que la loi y perdait en lisibilité. D’autre part et surtout, parce qu’elle laissait dans l’ombre les adaptations nécessaires de l’institution à ses différents emplois, ce qui était tout particulièrement vrai, à raison de la technicité inhérente à cet usage, lorsque la fiducie est utilisée pour garantir le paiement de dettes 3. C’est pourquoi des réformes sont rapidement intervenues afin de coordonner fiducie et procédures collectives et édicter aux articles 2372-1 et suivants et 2488-1 et suivants du Code civil des règles spécifiques à la fiducie-sûreté4. Quoi qu’il en soit, cette dernière a une fonction nettement identifiée, qui consiste, pour le constituant, à transférer un bien ou un ensemble de biens au fiduciaire, lequel peut être le créancier ou un tiers (il y a alors entiercement), afin de garantir le paiement d’une ou plusieurs dettes, tandis que la fiducie-gestion poursuit un but plus ouvert : l’aliénation fiduciaire peut avoir pour fonction de développer une gestion dynamique et spéculative ou bien protectrice et conservatoire des avoirs qui en sont l’objet, dans l’intérêt du constituant ou d’un tiers, elle peut être motivée par une incapacité, un manque de goût, de temps ou de compétence de son bénéficiaire pour l’Administration, une discussion en cours ou une évolution possible dans l’appropriation des biens placés en fiducie. En somme, elle est susceptible de répondre à toutes sortes de préoccupations et d’objectifs. 2 - Prohibition de la fiducie-libéralité. –Parmi ces objectifs, il en est un que la fiducie ne peut cependant remplir, en l’état Ndlr : La rédaction souhaite informer ses lecteurs que des opinions contraires à celles développées dans cette étude ont pu être défendues dans les colonnes de cette revue(P. Berger, La fiducie-gestion : Actes prat. strat. patrimoniale 2011, n° 1, dossier 4, n° 26 et s. ; B. Robin et R. Lantourne, Osons la fiducie-gestion : Actes prat. strat. patrimoniale 2018, n° 1, dossier 2). 1. V. spéc. Cl. Witz, La fiducie en droit privé français, préf. D. Schmidt : Economica, 1980, passim. 2. Pour des exemples : JCl. Notarial Répertoire, V° Fiducie, fasc. 10 : Introduction et constitution, 2012, n° 25, par Cl. Witz. 3. V. P. Crocq, Lacunes et limites de la loi au regard du droit des sûretés : D. 2007, p. 1354. 4. Ord. n° 2008-1345, 18 déc. 2008, portant réforme du droit des entreprises en difficulté : JO 19 déc. 2008, texte n° 29 ; JCP N 2008, n° 52, act. 818. – Et Ord. n° 2009-112, 30 janv. 2009, portant diverses mesures relatives à la fiducie : JO 31 janv. 2009, texte n° 45 ; JCP N 2009, n° 7, act. 187, obs. G. Notté. – Adde, L. n° 2009-526, 12 mai 2009, de simplification et de clarification du droit et d’allègement des procédures : JO13 mai 2009, texte n° 1, ayant soustrait la fiducie-sûreté à l’extinction de droit par l’effet du décès du constituant personne physique. 36 ©LEXISNEXISSA - ACTESPRATIQUES&STRATÉGIE PATRIMONIALE - N° 2 - AVRIL-MAI-JUIN 2022 Dossier

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