Actes pratiques et strategie patrimoniale

Mais sa mission, « précise et ponctuelle »63, de surcroît relativement brève puisqu’elle ne peut excéder 2 ans après l’ouverture du testament sauf prorogation du juge(C. civ., art. 1032), ne paraît pas de nature à donner beaucoup d’indications déterminantes quant aux missions, par essence et à l’inverse très larges, générales et durables, qui sont celles du tiers-protecteur dans le cadre de la fiducie-gestion. 3° Le mandat à effet posthume 37 - Régi par les dispositions des articles 812 et suivants du Code civil, le mandat à effet posthume, destiné à« donner à une ou plusieurs autres personnes [...] mandat d’administrer ou de gérer sous réserve des pouvoirs donnés à l’exécuteur testamentaire, tout ou partie de sa succession pour le compte et dans l’intérêt d’un ou de plusieurs héritiers identifiés », s’accompagne de la possibilité, là encore, pour « tout intéressé », de solliciter la révocation du mandat en justice (C. civ., art. 812-7), sans prévoir la création légale d’un tiers-protecteur. C’est, là encore, le pouvoir d’alerte que le législateur identifie comme étant au cœur du tiers-intéressé protecteur. Un regard vers les missions confiées aux organes de contrôle enmatière demajeurs protégés semble ouvrir une piste plus fructueuse. D. - Des missions assimilables à celles des organes de protection dans le droit des tutelles ? 38 - Si l’examen des dispositifs ci-dessus existant en droit civil permet d’appréhender les missions possibles du tiers-protecteur, celui des organes légaux existant en droit des tutelles est de nature à fournir nombre d’inspirations possibles. 1° Une distinction préalable « tutelle à la personne » / « tutelle aux biens » indispensable à opérer 39 - Assurément, la distinction entre« tutelle à la personne » et « tutelle aux biens »expressément consacrée par les dispositions de l’article 425 du Code civil 64 conduit à ne s’attacher, pour l’examen des pouvoirs qui sont ceux du tiers-protecteur dans le cadre de la fiducie n’est donc pas transposable. Plutôt et autrement dit, seule la comparaison avec le régime de la« tutelle aux biens »le sera. Seule la« tutelle aux biens »est susceptible de constituer une référence utile. L’on voit mal, en effet, comment le tiersprotecteur de la fiducie serait à même, et a fortiori aurait pour mission, de pourvoir aux besoins de la personne du constituant, ces besoins pouvant se décliner autour de deux axes : l’aménagement du cadre de vie et les soins 65, même si, assurément, le tuteur, qu’il soit personne physique, en général membre de la famille du majeur protégé, association tutélaire, ou mandataire judiciaire à la protection des majeurs protégés (MJPM), peut ne pas en personne exercer ces missions d’organisation du cadre de vie et de délivrance de soins, recourant notamment aux professionnels de santé, pourvu que ces objectifs soient garantis. Mais, sans équivoque possible, c’est bien de la préservation des intérêts patrimoniaux du constituant que l’article 2017 du Code civil charge le tiers-protecteur. Et de la préservation de ses intérêts à l’occasion de l’exécution du contrat de fiducie par le fiduciaire. Le texte le prévoit expressément : « [...] le constituant peut à tout moment, désigner un tiers chargé de s’assurer de la préservation de ses intérêts dans le cadre de l’exécution du contrat [...] ». Le tiers-protecteur est donc le garant de la conformité de l’exécution du contrat aux intérêts patrimoniaux du constituant, le contrat de fiducie ayant pour seul objet et pour seul effet d’opérer le transfert de biens, de droits ou de sûretés (C. civ., art. 2011). Pourrait-on néanmoins envisager la constitution d’une fiducie associée à l’équivalent d’un bail à nourriture66, lequel impliquerait la prise en charge des intérêts de la personne du constituant ? La question est audacieuse, mais ne paraît pas dépourvue de toute pertinence : puisque transfert de propriété il y a au profit du fiduciaire, spécialement lorsque le constituant transfère la totalité de son patrimoine67, ne peut-on envisager que le constituant mette également à la charge du fiduciaire une obligation de soins à son profit et, plus largement, de prise en charge de sa personne et des soins requis par son état de future éventuelle « dépendance »au sens sanitaire et social ? Cette mission, susceptible d’être confiée au fiduciaire, pourrait revenir avec davantage de logique encore au bénéficiaire (puisque c’est lui qui, en définitive, sera l’ultime bénéficiaire des biens du constituant), mais le bénéficiaire étant dans bien des cas encore mineur, une telle obligation ne saurait lui être imposée à la date de la signature du contrat fiduciaire. 2° Des organes de protection soumis à des exigences communes susceptibles de constituer des exigences transposables au tiers-protecteur a) Une obligation générale qui s’attache à la mission de protection en elle-même 40 - L’article 496 du Code civil prescrit l’adoption par le tuteur de« soins prudents, diligents et avisés 68dans le seul intérêt de la personne protégée », qualificatifs que la doctrine étend de façon plus générale à tout « protecteur »69, quel que soit le régime juridique applicable. Ces exigences de prudence, diligence, ainsi que de compétence et de formation (« soins avisés ») peuvent ainsi d’emblée être identifiées comme constituant tant les critères de désignation du tiers-protecteur que les conditions de son action. En vertu de cette obligation de prudence et de diligence, le tuteur se doit ainsi de rendre compte de sa gestion, à défaut de quoi il peut être déchargé de ses fonctions 70. Cette exigence pesant sur le tuteur présuppose, c’est en tout cas l’esprit de la réforme de la loi portant réforme de la protection juridique des majeurs 71 : ‰la délivrance au tuteur d’une information sur ses obligations ; ‰un droit à la formation ; 63. M. Clermon et H. Brothier, Le tiers protecteur : Actes prat. strat. patimoniale 2018, n° 1, dossier 7, p. 37. 64. C. civ., art. 425 : « Toute personne dans l’impossibilité de pourvoir seule à ses intérêts en raison d’une altérationmédicalement constatée, soit des facultés mentales, soit de ses facultés corporelles de nature à empêcher l’expression de sa volonté peut bénéficier d’une mesure de protection juridique prévue au présent chapitre. S’il n’en est disposé autrement, la mesure est destinée à la protection tant de la personne que des intérêts patrimoniaux de celle-ci. Elle peut toutefois être limitée expressément à l’une de ces deux missions. » 65. Entretien avec Mme Nathalie Proix, mandataire judiciaire à la protection des majeurs, 8 janv. 2002. 66. Sur le bail à nourriture, V. not. Cass. 1re civ., 20 févr. 2008, n° 06-19.977 : JurisData n° 2008-042819 ; Contrats, conc. consom. 2008, comm. 150, note L. Leveneur. 67. Ce que l’article 2011 du Code civil autorise. 68. Ce que le droit positif qualifiait antérieurement de soins apportés « en bon père de famille ». 69. Il est intéressant de relever que le qualificatif de « protecteur » est utilisé de façon générique pour désigner indifféremment l’organe de contrôle adapté à chaque régime de protection (curatelle, tutelle, gérance de tutelle, habilitation familiale) : G. Amable, Gestion des biens des majeurs protégés : un décret pour y voir clair : Village de la Justice, 5 sept. 2018. 70. Cass. 1re civ., 30 janv. 2013, n° 11-26.085 et 11-26.086 : JCP N 2013, n° 8, act. 290. 71. Sénat, prop. de loi n° 406, 15 juin 2006, visant à garantir le respect de la personne et de ses droits lorsqu’elle est placée sous tutelle ou sous curatelle, présentée par M. Nicolas About, ann. au PV de séance, Exposé des motifs. 31 ACTESPRATIQUES&STRATÉGIE PATRIMONIALE - N° 2 - AVRIL-MAI-JUIN 2022 - ©LEXISNEXISSA Dossier

RkJQdWJsaXNoZXIy MTQxNjY=