23 - Alter ego du constituant. –De même, le fait que le tiersprotecteur « peut » disposer des pouvoirs que la loi (C. civ., art. 2017, al. 1) accorde au constituant est susceptible de deux interprétations : ‰dans le sens de : « le tiers-protecteur dispose des exacts mêmes pouvoirs que ceux du constituant et peut donc en user en totalité », ce, sans qu’il soit besoin de rappeler la nature et l’étendue de ces pouvoirs au contrat ; ‰inversement, dans le sens de : « le tiers-protecteur dispose des pouvoirs qui sont ceux dont le constituant dispose, mais de ceux-là seulement sur lesquels les parties se sont accordées pour lui reconnaître la faculté de pouvoir les exercer ». Dès lors : suffisance des dispositions légales ou nécessité de leur déclinaison contractuelle ? Lors des travaux préparatoires à l’adoption de la loi du 19 février 2007, le renvoi à la liberté contractuelle a expressément été opéré : si « la désignation par le constituant d’une telle personne [le tiers-protecteur] » a été clairement décrite comme« relev[ant] de [la] seule volonté [du constituant] », l’exercice de ce pouvoir unilatéral a été évoqué comme devant manifestement s’accompagner, dans l’esprit du législateur, de l’obligation pour « les parties de préciser les prérogatives de ce protecteur »36. 24 - Une obligation de fait de définir les pouvoirs du tiers-protecteur. –Ainsi, et alors même que les dispositions générales de la loi fixant pour objectif au tiers-protecteur de« s’assurer de la préservation des intérêts du constituant dans le cadre de l’exécution du contrat »paraîtraient pouvoir suffire à délimiter (en affirmant implicitement l’absence de limites quant aux moyens utilisés) les pouvoirs du tiers-protecteur, la volonté du législateur semble bien avoir été au contraire celle de donner compétence aux parties pour délimiter les exacts contours des pouvoirs du tiers-protecteur. Ainsi, dans l’incertitude de la lettre du texte, mais en présence de la volonté du législateur clairement exprimée lors des travaux préparatoires à la loi du 19 février 2007 compte tenu du renvoi alors expressément opéré à la liberté contractuelle37, est-il raisonnable de considérer qu’il y a bien lieu de préciser au contrat les modalités précises sur lesquelles les parties (constituant et fiduciaire) s’accorderont s’agissant des pouvoirs reconnus au tiers-protecteur ? Cette lecture conduit, en définitive, à faire de l’intervention au contrat du tiers-protecteur ainsi que de la définition audit contrat de ses exactes prérogatives un impératif majeur, ce, nonobstant la qualité de tiers au contrat du protecteur et nonobstant le pouvoir de désignation unilatérale qui demeure celui du constituant en la matière. 25 - Une obligation constatée par la pratique fiduciaire. – Impératif d’autant plus catégorique que le seul et unique pouvoir en réalité expressément reconnu au tiers-protecteur par la loi elle-même sans nécessiter aucune déclinaison conventionnelle, est celui mentionné à l’article 2027 du Code civil en vertu duquel, lorsque le contrat ne prévoit pas de modalités spécifiques de remplacement du fiduciaire et que celui-ci « manque à ses devoirs ou met en péril les intérêts qui lui sont confiés », le tiers-protecteur « peut demander en justice la nomination d’un fiduciaire provisoire ou solliciter le remplacement du fiduciaire » et ce, au même titre que le constituant ou le bénéficiaire. En résumé : ‰ la désignation du tiers-protecteur peut s’effectuer dans le cadre d’une décision unilatérale du constituant concomitamment ou postérieurement à la signature du contrat de fiducie régulièrement notifiée au fiduciaire, au bénéficiaire et au tiers-protecteur lui-même ; ‰ afin d’éviter tout risque contentieux, la raison commande néanmoins de faire intervenir le tiersprotecteur à l’acte lors de la signature du contrat de fiducie, le tiers-protecteur ne possédant cependant pas la qualité de partie au contrat mais demeurant bien tiers à celui-ci ; ‰ si la lettre de l’article 2017, alinéa 1 du Code civil autorise plusieurs interprétations possibles s’agissant de la nécessité ou non pour le constituant et le fiduciaire de définir le périmètre des pouvoirs du tiers-protecteur, la prudence et la pratique commandent également de fixer au contrat le périmètre et le contenu des pouvoirs du tiers-protecteur ; ‰ le tiers-protecteur tire directement de la loi (C. civ., art. 2027), et ce en l’absence même de toute mention au contrat en ce sens, le pouvoir, à l’instar du constituant et du bénéficiaire, et lorsque le contrat ne prévoit pas de modalités spécifiques de remplacement du fiduciaire et que celui-ci manque à ses devoirs ou met en péril les intérêts qui lui sont confiés, de demander en justice la nomination d’un fiduciaire provisoire ou de solliciter le remplacement du fiduciaire ; ‰ ce pouvoir représentant l’arme majeure aux mains du tiers-protecteur en cas de manquement du fiduciaire à ses obligations contractuelles, un rappel au contrat des dispositions intégrales de cet article 2027 du Code civil est impératif. 2. Définition des pouvoirs du tiersprotecteur 26 - Pratique rédactionnelle. – Sans trame ni clausier, le professionnel est le plus souvent démuni dans la rédaction de ce type de contrat. Plus encore, c’est l’ensemble du dispositif, intégrant la donation elle-même au corpus de la fiducie, qui doit s’écrire en cohérence. La pratique est alors souvent confrontée à la détermination des pouvoirs et contre-pouvoirs de chacun au titre du tout. A. - Une indispensable autonomie de gestion du fiduciaire à ménager afin de garantir l’efficience du dispositif 27 - Fiduciaire = propriétaire. –Ainsi que la doctrine l’a souligné, il convient d’éviter « une trop grande restriction des pouvoirs du fiduciaire qui est incompatible avec la fiducie, en particulier la fiducie-gestion, et devrait emporter la requalification de l’opération en simple mandat [...] le fiduciaire étant privé de toute indépendance dans la gestion de ses biens »38. En d’autres termes, l’institution du tiers-protecteur n’a ni pour objet ni pour effet de redonner au constituant, viace tiers-protecteur, les pouvoirs sur son patrimoine que celui-ci a volontairement abandonnés au profit du fiduciaire. Il en va de la sécurité juridique. L’on ferait sans doute erreur en concevant le tiersprotecteur comme continuant à œuvrer en sous-main auprès du fiduciaire pour prolonger indirectement la maîtrise du constituant sur son patrimoine, le contrat de fiducie, rappelons-le, 36. Rapp. de la commission des lois du Sénat, n° 11, 11 oct. 2006. 37. Ainsi qu’il vient d’être dit ci-avant, « la désignation par le constituant d’une telle personne [le tiers-protecteur] relev[ant] de [la] seule volonté [du constituant] »s’accompagnant manifestement, dans l’esprit du législateur, de la nécessité pour « les parties de préciser les prérogatives de ce protecteur ». 38. P. Puig, La fiducie et les contrats nommés. Le contrat de fiducie et l’opération fiduciaire après la loi du 19 février 2007 : Dr. & patr. 2008, n° 171. – Cité in M. Clermon et H. Brothier, Le tiers protecteur : Actes prat. strat. patimoniale 2018, n° 1, dossier 7, p. 39. 27 ACTESPRATIQUES&STRATÉGIE PATRIMONIALE - N° 2 - AVRIL-MAI-JUIN 2022 - ©LEXISNEXISSA Dossier
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