À la différence de la fiducie, le mineur reste pleinement propriétaire de ses actifs, et non titulaire d’une créance comme en matière de fiducie1. Le parallèle est parfois fait alors avec l’assurance-vie2. 5 - Esprit du texte : l’intérêt dumineur. –L’article 384 du Code civil « est destiné à favoriser des libéralités adressées aux enfants dans les hypothèses où les donateurs ou les testateurs auraient quelque raison de se méfier de la cupidité ou de l’incurie des parents »3. Plus généralement, le texte vise à« éviter le caractère éventuellement dissuasif de l’administration légale pour l’auteur d’une libéralité, et ce dans l’intérêt dumineur gratifié »4. C’est bien de la liberté contractuelle et de l’intérêt de l’incapable que ce texte, issu d’une évolution rédactionnelle du début du XXe siècle, tire sa source. 6 - Pratique : une utilité évidente. – Consacrée à plusieurs reprises dans la revue, l’application de l’article 384 du Code civil offre un vaste champ d’action. Nous en avons vu l’intérêt dans les donations avant cession pour permettre à un tiers de vendre les valeurs mobilières données au mineur 5. Pour les parents divorcés, il s’agit d’extraire le patrimoine dévolu au mineur de l’Administration et la jouissance légale de l’ex-conjoint. 7 - Validation doctrinale. – La doctrine la plus autorisée s’accorde à reconnaître son applicabilité à la fiduciarisation du patrimoine du mineur par un tiers administrateur. « L’article 384 étant ainsi compris, il n’y a rien d’insolite à ce que le disposant charge l’administrateur qu’il désigne de confier les biens donnés ou légués à la gestion d’un fiduciaire. D’une part, il n’est pas contradictoire de demander à celui auquel on confère les pouvoirs d’administration les plus étendus de recourir aux services d’un professionnel tel qu’un fiduciaire. La loi elle-même prévoit ce recours à un tiers spécialisé lorsqu’elle précise que le tuteur, autorisé par le conseil de famille ou le juge des tutelles, peut « conclure un contrat pour la gestion des valeurs mobilières et instruments financiers de la personne protégée » [C. civ., art. 500, al. 3]. D’autre part, la clause considérée ne réduit nullement le tiers administrateur à un rôle de figurant ou d’homme de paille. Certes, la gestion directe des biens donnés ou légués est assurée par le fiduciaire. Mais elle l’est sous le contrôle du tiers administrateur qui a conclu le contrat de fiducie pour le compte de l’enfant gratifié : ce tiers exerce les droits de l’enfant et pourrait d’ailleurs se voir confier le rôle de protecteur de la fiducie »6. 8 - Bienveillance jurisprudentielle. –Si la jurisprudence n’a pas eu le temps de consacrer la validité de la liberté offerte par le Code civil en la matière, elle a déjà tué dans l’œuf la question de son périmètre qui pouvait être son talon d’Achille. En effet, par un arrêt du 26 juin 2013, la première chambre civile de la Cour de cassation admet que l’article 384 du Code civil puisse porter sur les biens composant la réserve de l’enfant 7. Une restriction de son champ à la quotité disponible aurait été l’élément de fragilité. B. - L’incapable majeur 1° La fin des curatelles pour prodigalité ou intempérance... 9 - Rappel du droit antérieur. –L’article 425 du Code civil définit les conditions et la finalité de la protection juridique des majeurs. Aussi, depuis son entrée en vigueur le 1er janvier 20098 : « Toute personne dans l’impossibilité de pourvoir seule à ses intérêts en raison d’une altération, médicalement constatée, soit de ses facultés mentales, soit de ses facultés corporelles de nature à empêcher l’expression de sa volonté peut bénéficier d’unemesure de protection juridique prévue au présent chapitre. S’il n’en est disposé autrement, la mesure est destinée à la protection tant de la personne que des intérêts patrimoniaux de celleci. Elle peut toutefois être limitée expressément à l’une de ces deux missions. »Auparavant, une seconde cause d’ouverture des mesures de protection existait, en présence d’une personne qui « par sa prodigalité, son intempérance ou son oisiveté, s’expose à tomber dans le besoin ou compromet l’exécution de ses obligations familiales ». 10 - Genèse de la mesure. – Initialement instaurée en 1804 pour le prodigue dans le but de protéger les héritiers présomptifs contre les dépenses exagérées de leur auteur et de maintenir l’intégrité du patrimoine familial, la mesure a été étendue par la loi du 3 janvier 1968 à l’intempérance et l’oisiveté. Considérant que les personnes prodigues, intempérantes ou oisives n’étaient pas inaptes mais avaient simplement besoin d’une assistance juridique, il était alors prévu l’ouverture d’un régime de curatelle uniquement sans production d’un certificat médical. L’ouverture de la mesure était subordonnée au risque que le prodigue, l’intempérant ou l’oisif s’expose à tomber dans le besoin ou à compromettre l’exécution de ses obligations familiales. 11 - Abandon progressif. – Au fil du temps, les juges ont délaissé cette mesure9. La curatelle pour prodigalité, intempérance ou oisiveté a ainsi disparu de la pratique judiciaire10 et, depuis 2009, du cadre légal, considérant qu’elle emportait une privation des droits disproportionnée. Ces problèmes sont désormais administrés par une mesure d’accompagnement social 1. « La fiducie emporte transfert pur et simple de la propriété, qu’il s’agisse de fiducie-sûreté, de fiducie-gestion ou [hypothétiquement, puisque cette variété de fiducie est prohibée] de fiducie-libéralité ; pourtant, le fiduciaire n’est pas investi de la plénitude des attributs du propriétaire ; le fiduciant conserve au moins virtuellement une parcelle de la propriété transmise, ainsi que, dans certaines hypothèses, la maîtrise économique des biens et la vocation à en recouvrer la pleine propriété » (F. Terré et Ph. Simler, Droit civil. Les biens : Dalloz, 10e éd., 2018, n° 772, p. 700). 2. « La fiducie prend le relais de l’assurance-vie afin d’assurer une continuité, une cohérence de la gestion des fonds par des professionnels » (S. Lerond et G. Dumont, Quand la fiducie prend le relais de l’assurance-vie : Dr. & patr. mensuel, n° 207, p. 21). 3. G. Cornu, La famille : Montchrestien, 9e éd., 2006, n° 90 in fine. 4. F. Terré et Ph. Simler, Droit civil. Les biens : Dalloz, 10e éd., 2018, n° 448, a. 5. L’article 387-1 du Code civil dispose en effet : « L’administrateur légal ne peut, sans l’autorisation préalable du juge des tutelles : [...] 8° Procéder à la réalisation d’un acte portant sur des valeurs mobilières ou instruments financiers au sens de l’article L. 211-1 du code monétaire et financier, si celui-ci engage le patrimoine du mineur pour le présent ou l’avenir par une modification importante de son contenu, une dépréciation significative de sa valeur en capital ou une altération durable des prérogatives du mineur. » 6. M. Grimaldi, L’article 384 du Code civil permet-il de confier à un fiduciaire la gestion des biens donnés ou légués à un mineur ? : DEF 26 nov. 2020, n° 166e7. 7. Cass. 1re civ., 26 juin 2013, n° 11-25.946 : JurisData n° 2013-013140 ; Dr. famille 2013, comm. 124, note I. Maria. 8. L. n° 2007-308, 5 mars 2007, art. 7, portant réforme de la protection juridique des majeurs : JO 7 mars 2007, texte n° 12, en vigueur le 1er janvier 2009. 9. « La curatelle pour prodigalité, oisiveté ou intempérance a été progressivement abandonnée par les juges des tutelles qui en ont mesuré l’inadaptation. Pourtant, selon les textes encore en vigueur, elle pourrait être ouverte, sans même qu’un certificat médical atteste d’une incapacité mentale. Si les juges des tutelles n’y avaient prêté garde, ce texte aurait pu conduire, pourquoi pas, à placer sous curatelle tous les endettés, les chômeurs, les handicapés, les fumeurs. N’étant pas appliqué par les juges des tutelles, il n’est pas non plus invoqué par les services effectuant les signalements. Il est d’ailleurs fort logique de considérer que la prodigalité ou l’intempérance ne peuvent motiver une mesure de protection que si elles sont la conséquence d’un trouble mental tel qu’il justifie à lui seul la mise en œuvre d’une mesure de curatelle sur des fondements plus classiques. » (M. Bauer, T. Fossier et L. Pécaut-Rivolier, La réforme des tutelles. Ombres et lumières : éd. Dalloz, 2006). 10. Dans leur rapport de 1998, les trois inspections générales des services judiciaires, des finances et des affaires sociales avaient toutefois estimé que 20 % des mesures de protection étaient ouvertes pour des motifs sociaux sans altération des facultés mentales. 20 ©LEXISNEXISSA - ACTESPRATIQUES&STRATÉGIE PATRIMONIALE - N° 2 - AVRIL-MAI-JUIN 2022 Dossier
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