Actes pratiques et strategie patrimoniale

Par son effet rétroactif, la révocation pour inexécution de la charge oblige le donataire à rendre au donateur les biens, libres de toutes charges et hypothèques de son chef, ainsi que les fruits éventuels (sous réserve de la bonne foi). Cette révocation peut parfois s’accompagner de dommages et intérêts accordés par le juge pour réparer le préjudice subi par le donateur du fait de l’inexécution de la charge. Au-delà, si la révocation sanctionne bien le donataire pour son inexécution et permet au donateur de retrouver les biens initialement donnés : c’est donc un moindre mal pour lui. Mais, pour autant, l’objectif initial de transmission de son patrimoine dans un cadre déterminé n’est pas atteint en raison de l’anéantissement de la donation, d’autant que la confiance dans la famille sera inéluctablement brisée... Les mécanismes de droit commun se révèlent ainsi insuffisants pour pallier les difficultés, pourtant bien réelles, liées à la transmission et au risque d’inexécution des charges y afférentes. Dans l’ensemble des cas étudiés précédemment, il ne serait que trop utile de recommander au disposant d’assortir la libéralité d’une obligation de garantie, pour assurer l’effectivité de l’exécution de la charge, conférant ainsi au donateur la qualité de créancier de l’exécution de la charge par le donataire. 2. L’utilisation innovante de la fiducie dans la sécurisation de l’exécution des libéralités consenties avec charge 14 - Une fois l’intérêt du recours à la fiducie-sûreté pour garantir l’exécution des charges démontré, il reste à voir quelles pratiques peuvent en avoir les praticiens du droit. A. - L’intérêt du recours à la fiducie-sûreté pour garantir l’exécution d’une charge 15 - Passée la première condition tenant à la charge de transférer les biens ou droits reçus en fiducie, les intérêts de cet instrument sont certains. 16 - Difficultés d’articulation entre la fiducie-sûreté et les donations assorties de charges. – Préalable indispensable sur lequel repose la sécurité de la transmission souhaitée, la constitution de la fiducie relève de la seule initiative du donataire. Le refus de celui-ci de constituer la fiducie porterait nécessairement atteinte à l’efficacité de l’ensemble du mécanisme. La libéralité doit ainsi être conditionnée à une double obligation : celle de transférer les biens en fiducie, et celle de maintenir la fiducie jusqu’à son terme, toutes deux sanctionnées par l’action révocatoire18. Par ailleurs, si l’article 1052 du Code civil autorise le donateur à prescrire des garanties et des sûretés pour la bonne exécution de la charge, il est possible de s’interroger sur la compatibilité même de la fiducie avec l’obligation de conservation imposée par le législateur dans la donation graduelle. Mais s’agissant d’une affectation de propriété temporaire, excluant toute aliénation définitive, nous ne le pensons pas. Quelle que soit la nature de la charge, le recours à la fiduciesûreté afin de sécuriser l’exécution desdites charges présente un intérêt certain. 17 - Intérêts du recours à la fiducie-sûreté. –Comme évoqué en introduction, le recours à la fiducie-sûreté enmatière de sécurisation de l’exécution des libéralités consenties avec charges a de quoi surprendre. En effet, l’usage de ce mécanisme en la matière relève du paradoxe, compte tenu de l’interdiction existant en droit positif de recourir à la fiducie-libéralité (C. civ., art. 2013). La fiducie-sûreté se révèle pourtant constituer un outil intéressant et prometteur en la matière, car celle-ci permet de contourner les difficultés identifiées précédemment, tout en constituant une sûreté particulièrement efficace, résistant, qui plus est, au décès du constituant. Rien ne s’oppose textuellement à une telle opération, les textes invitant, au contraire, le donateur d’une libéralité graduelle à« prescrire des garanties et des sûretés pour la bonne exécution de la charge » (C. civ., art. 1052). L’intérêt du contrat de fiducie-sûreté repose en l’espèce sur le transfert par le constituant de la propriété des biens reçus vers le patrimoine fiduciaire, patrimoine d’affectation, et en vue d’en assurer la protection le temps de l’exécution du contrat fiduciaire, au profit du bénéficiaire. Le patrimoine d’affectation est étanche au regard du patrimoine propre du fiduciaire ou de ses autres patrimoines fiduciaires. Ce faisant, le constituant consent à perdre en tout ou partie ses pouvoirs de disposition et/ou d’administration, afin de sécuriser une parfaite exécution des charges évoquées. Il s’agira ainsi de garantir l’exécution de celles-ci et de lutter contre les risques évoqués précédemment. Il est alors légitime de s’interroger sur l’intérêt de constituer une fiducie, au regard des autres sûretés classiques ? Plusieurs explications justifient ce choix. Tout d’abord sa simplicité de formation ou d’exécution : la fiducie n’est pas soumise au lourd formalisme de réalisation des autres sûretés réelles, notamment celui des saisies, puisque la propriété aura déjà été transmise. Par ailleurs, la fiducie constitue aujourd’hui le seul outil juridique garantissant de manière absolue l’intégrité du patrimoine affecté, à l’abri de toute aliénation par les constituants 19 ou, et c’est l’essentiel, par ou du fait des tiers (créanciers, partenaires...). De plus, le contrat de fiducie admet une souplesse de rédaction, permettant de répondre à chaque situation particulière. Enfin, le recours à la fiducie présente un intérêt de« paix des familles », dont l’explication relève du pléonasme. En effet, le terme fiducie est issu du mot latin « fiducia », signifiant « confiance » : ce dernier permet ainsi au donateur d’imposer la constitution d’une sûreté, sans pour autant paraître douter de la fiabilité du donataire, à l’inverse des sûretés plus classiques comme l’hypothèque. Dans un contexte familial où la confiance règne, la fiducie arbore ainsi un net avantage sur le plan de la réputation. Une fois l’intérêt du recours à la fiducie-sûreté démontré en matière de sécurisation des libéralités consenties avec charges, il convient d’examiner quelques applications pratiques en matière de transmission de patrimoine. B. - Quelles applications pratiques de la fiduciesûreté pour sécuriser l’exécution des charges ? 18 - Les intérêts du mécanisme s’illustrent différemment selon la nature de la charge à exécuter. La fiducie-sûreté permet en effet de garantir l’exécution de différentes charges, qu’elles stipulent une obligation de faire, de ne pas faire ou de payer. 1° Fiducie et obligation de faire ou de ne pas faire 19 - Le recours à la fiducie permet de pallier les difficultés d’exécution liées aux obligations de faire ou de ne pas faire, qu’il s’agisse de conserver, de tracer ou d’adhérer à un pacte d’actionnaires. 20 - Garantir une obligation de conservation ou de restitution : la fiducie au service des libéralités graduelles et rési18. H. Brothier et M. Clermon, Fiducie-gestion : outil d’accompagnement : Actes prat. strat. patrimoniale 2022, n° 2, dossier 8. 19. Sauf en cas de droit de suite ou de fraude. 16 ©LEXISNEXISSA - ACTESPRATIQUES&STRATÉGIE PATRIMONIALE - N° 2 - AVRIL-MAI-JUIN 2022 Dossier

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