Actes pratiques et strategie patrimoniale

long de leur durée, mais également sur le point de savoir quels sont les moyens dont dispose le donateur en cas de non-respect ou d’inexécution de la charge. Au-delà du respect de la volonté du donateur, il s’agit également de sécuriser les droits du gratifié en second ou du bénéficiaire d’une créance de restitution. La fiducie est définie à l’article 2011 du Code civil comme « l’opération par laquelle un ou plusieurs constituants transfèrent des biens, des droits ou des sûretés, ou un ensemble de biens, de droits ou de sûretés, présents ou futurs, à un ou plusieurs fiduciaires qui, les tenant séparés de leur patrimoine propre, agissent dans un but déterminé au profit d’un ou plusieurs bénéficiaires ». Il existerait alors autant de fiducies possibles que de missions confiées au fiduciaire, dans la limite de l’intention libérale. En matière patrimoniale, la fiducie peut s’entendre tant dans une optique de gestion des droits ou biens transférés dans le patrimoine fiduciaire que de sûreté pour les garantir. Aux praticiens de se saisir de la fiducie-sûreté pour en faire une utilisation innovante et prometteuse pour assurer l’exécution des libéralités consenties avec charges. La nécessité de sécuriser l’exécution des libéralités consenties avec charges justifie un recours innovant à la fiducie, laquelle permet d’assurer l’exécution de la charge attachée au bien ou au droit transmis. 1. La nécessité de sécurisation de l’exécution des libéralités consenties avec charges 2 - Le besoin de garantir l’exécution des libéralités consenties avec charges provient, d’une part, des risques inhérents à la nature même de ces opérations et, d’autre part, de la limite des sanctions de droit commun en la matière, aboutissant à une absence de transmission initialement souhaitée par le donateur. A. - Le risque d’inexécution de la charge incombant au gratifié de la libéralité 3 - Le risque d’inexécution de la charge de telles libéralités présente une particulière importance, en ce que celles-ci interviennent dans des contextes familiaux où la confiance apparente justifie souvent d’exclure le contrôle. En présence d’un enfant souffrant de handicap, la libéralité résiduelle offre au parent la possibilité d’assurer à ce descendant les moyens dont il aura besoin sa vie durant, tout en anticipant la transmission aux autres enfants à un coût réduit au décès de celui-ci. De même, la libéralité graduelle sera envisagée dans les fratries où l’un des enfants n’a pas de descendant ou dans les familles recomposées pour garantir l’autonomie du conjoint tout en assurant une dévolution à terme en ligne directe. Mais le risque d’inexécution de la charge incombant au gratifié peut se révéler préoccupant pour le donateur, justifiant d’identifier un mécanisme permettant d’en assurer la protection. 1° Les difficultés liées à l’exécution d’une obligation de conserver, de tracer ou d’adhérer 4 - Les difficultés de conservation des biens dans le cadre d’une liberté graduelle. –Anciennement dénommée« substitution fidéicommissaire », la donation graduelle est une libéralité par laquelle le donateur impose, à un premier gratifié, la double charge de conserver sa vie durant les biens donnés et de les transmettre, à son décès, à un second gratifié désigné (C. civ., art. 1048). Il s’agit donc de deux libéralités successives, la première prenant effet immédiatement, la seconde intervenant au décès du premier donataire. Si le périmètre des biens à transmettre est large (la donation peut porter sur tous types de biens tels que les immeubles, valeurs mobilières, titres sociaux), la donation graduelle ne peut, par essence, porter sur des biens consomptibles, dans la mesure où ils doivent se retrouver en nature dans le patrimoine du premier gratifié au jour de son décès. Ce dernier n’est par conséquent pas autorisé à disposer des biens reçus 5, ni entre vifs ni à cause de mort, le donateur pouvant également y adjoindre une interdiction d’aliéner, à l’exception des valeurs mobilières pour lesquelles le deuxième alinéa de l’article 1049 du Code civil prévoit expressément la subrogation. La doctrine s’est interrogée sur le caractère d’ordre public de l’obligation de conservation des biens ou sur la possibilité de prévoir conventionnellement la subrogation pour les autres biens. En majorité, la doctrine6 admet que le donateur puisse, aux termes de l’acte, autoriser le donataire premier gratifié à vendre les biens sous condition de remploi, le bien nouvellement acquis étant alors à son tour grevé de l’obligation de conservation et de transmission par le jeu de la subrogation conventionnelle, de telle sorte que l’obligation de conservation est ainsi assurée en valeur. Jusqu’au décès du premier gratifié, le second donataire ne bénéficie que d’un droit éventuel sur les biens ainsi transmis, auxquels il est donc possible de porter atteinte. En pratique, la bonne exécution de la charge dépendra notamment de la nature des biens reçus. S’agissant d’un bien immobilier, l’obligation de conservation pesant sur le donataire de premier rang sera publiée au service de la publicité foncière et l’identité du second gratifié sera inscrite au fichier immobilier. Mais en présence de biens meubles, la garantie de conservation des biens par le premier gratifié est moins certaine. Dans l’hypothèse d’une donation portant sur des actifs bancaires, le notaire ou le donateur notifiera à l’établissement financier détenteur du compte, les conditions de la charge et les modalités de gestion grevant les actifs transmis, en vue d’assurer sa bonne exécution. Demême, lamise à jour de statuts à la suite d’une donation de parts sociales sera éventuellement l’occasion de reporter l’obligation de conservation ; une telle transcription sera plus incertaine en présence d’ordres de mouvement et de registre des associés. Quid en présence d’une donation portant sur une créance ou sur des droits immatériels ?Quidde libéralités portant sur des bijoux ou des tableaux ? L’absence de formalité relative aux meubles est très peu protectrice des droits des tiers démunis d’un juste titre : en cas d’aliénation d’un bien meuble par le premier gratifié, contrairement à son obligation de conservation, la vente serait malgré tout résolue au décès de ce dernier. Mais encore faudrat-il disposer des éléments nécessaires pour y parvenir le moment venu. 5 - Les difficultés de traçabilité des biens meubles dans le cadre d’une liberté résiduelle. –Aux termes de la loi réformant le droit des successions, le législateur a créé les donations résiduelles(C. civ., art. 1057 à 1061)sur la base du régime jurisprudentiel des legsde residuo. Comme pour la libéralité graduelle, la donation de residuo repose sur une double libéralité : la première est réalisée dès la signature de la donation, l’exécution de la seconde est différée au décès du premier gratifié. La donation de residuo permet au donateur de transmettre son patrimoine au profit de deux donataires successifs, mais le périmètre des biens revenant au second gratifié dépendra du premier gratifié : le donataire en second n’a vocation à recevoir que les biens se retrouvant en nature dans le patrimoine du premier gratifié au 5. Sauf les cas particuliers tels que le prédécès ou la renonciation du second gratifié. 6. F. Collard et B. Travely, L’obligation de conservation en valeur au secours de la libéralité graduelle : JCP N 2012, n° 14, 1177. 13 ACTESPRATIQUES&STRATÉGIE PATRIMONIALE - N° 2 - AVRIL-MAI-JUIN 2022 - ©LEXISNEXISSA Dossier

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