Focus 7. - Plus délicate est l'hypothèse dans laquelle les effets de l'incorporation traduisent un changement d'attributaire. Le transfert de droits réels (pleine propriété, usufruit ou nue-propriété) au bénéfice d'un nouveau donataire (descendant ou collatéral du donataire originaire, ou éventuellement une tierce personne, conformément à l'article 1075-2 du Code civil) serait assimilé à une mutation qui contreviendrait en première lecture à l'engagement de conservation. Toutefois, lemutuus dissensus dégradé démontre que le nouvel attributaire tient ses droits du donateur et non du donataire originaire incorporant. L'article 1078-3 du Code civil affirme sans ambiguïté que les incorporations « ne sont pas regardées comme des libéralités entre les héritiers présomptifs, mais comme un partage fait par le disposant ». Cette approche milite pour une subrogation personnelle pure et simple entre donataire originaire et bénéficiaire de l'incorporation. Sous réserve du report sur la tête de ce dernier de l'engagement de conservation en cours, l'acquit du droit de partage le titrerait sans remise en cause de l'exonération partielle dont a bénéficié le donataire originaire. 8. - Cette assertion doit toutefois être confrontée aux dispositions de la doctrine administrative : ‰ lorsqu'un engagement collectif ou unilatéral de conservation est en vigueur, cette dernière considère que « la cession ou la donation » par l’un des bénéficiaires d'une exonération partielle en cours d’engagement entraîne en principe la remise en cause de cette exonération, l'engagement collectif ou unilatéral étant considéré comme rompu. À cette doctrine qui concède ses propres exceptions pour restreindre les effets de la déchéance à concurrence des seuls titres cédés ou donnés, l'on opposera que l'incorporation n'est ni cession, ni donation ; ‰ lorsque l'engagement individuel du donataire originaire est en cours, le i de l’article 787 B du CGI permet par dérogation certaines donations de titres placés sous engagement individuel au sein du cercle familial restreint. Ce dispositif est précisément commenté par l'Administration et favorise une seconde donation au profit de nouveaux donataires, pour autant qu'ils soient les descendants du donateur et poursuivent l'engagement individuel à son terme. Par raisonnement similaire, l'incorporation ne saurait être regardée comme une libéralité entre héritiers présomptifs, de sorte que son attributaire serait dispensé de se prévaloir de cette doctrine, tout en étant subrogé dans l'obligation de conservation à mener jusqu'à son terme initial. 9. - À supposer enfin que l'incorporation entre dans le champ des droits de mutation à titre gratuit (notamment à l'aune d'une donation-partage transgénérationnelle avec (i) incorporation d'une donation de moins de 15 ans attribuée en ligne descendante ou (ii) incorporation d'une donation, indépendamment de son antériorité, suivie de son attribution aux descendants d'une autre souche), l'analogie est plus délicate. En effet, le mécanisme d'imputation des droits acquittés ab initio, reconnu par l'article 776 A, alinéa 3 du CGI, porte à considérer, sous le prisme fiscal, qu'une donation nouvelle est consentie au bénéficiaire de l'incorporation, de sorte que des engagements distincts de conservation devraient être souscrits, à raison de la perte du bénéfice de l'antériorité des pactes Dutreil liant le donataire originaire incorporant. Si l'incorporation entraîne la déchéance de l'exonération partielle accordée à la donation incorporée, alors l'imputation autorisée des droits initialement acquittés devrait logiquement inclure dans son assiette le complément de droits devenus exigibles, assurant ainsi à l'incorporation une neutralité fiscale, pour autant que le montant des droits nouvellement dus surpasse cette assiette. Pareille acrobatie mathématique n'inspire pas le recours à une donation-partage transgénérationnelle dédiée à l'incorporation de titres placés sous l'égide de l'article 787 B. 10. - L'esprit du dispositif Dutreil est de favoriser les transmissions familiales d'entreprises. Il est donc logique de ne pas ériger en cause de déchéance de ce régime la technique de l'incorporation, propice à la redistribution de droits sociaux dans le cercle familial. Aucune conséquence fiscale particulière ne devrait donc en être tirée. La prudence reste toutefois de mise (avec éventuel dépôt de rescrit) lorsque la donation incorporée bénéficie à un nouvel attributaire. 56 © LEXISNEXISSA - ACTES PRATIQUES & STRATÉGIE PATRIMONIALE - N° 3 - JUILLET-AOÛT-SEPTEMBRE 2023 Dossier
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