Actes Pratiques et Stratégie Patrimoniales

1. Le principe de consolidation des plus-values par la donation-partage 1 - Dans la quête de l'habilité fiscale chère à Maurice Cozian2, le schéma classique de la donation-cession mérite d'être succinctement rappelé. Le propriétaire d'un bien, immeuble ou meuble (corporel ou incorporel) envisage de le céder. Son projet s'accompagne en outre de la volonté de gratifier ses enfants au moyen d'une partie, voire de la totalité du prix de vente. Ce contribuable est face à un dilemme bien connu : vendre puis donner ou donner puis vendre ? La réponse à cette question n'est pas neutre fiscalement et la réponse des praticiens est établie avec conviction. En effet, lorsqu'un court délai sépare la donation de la cession, le prix d'acquisition du bien muté est identique à son prix de cession puisque sa valeur n'a pu évoluer en si peu de temps. Ce mécanisme permet d'effacer la plus-value latente du bien avant sa cession à titre onéreux, les plus-values sont alors réputées consolidées. 2 - L'optimisation fiscale est d'autant plus réelle qu'un patrimoine à forte plus-value est donné avant sa cession à titre onéreux. L'ensemble de la stratégie repose alors sur un arbitrage entre les droits de mutation à titre gratuit et l'impôt sur la plusvalue. Il est donc pertinent chaque fois que le deuxième est plus élevé que le premier, c’est-à-dire chaque fois que la valeur actuelle du bien cédé, déduction faite du prix de revient, multipliée par le taux de l'impôt de plus-value, est supérieure au produit de la valeur actuelle multipliée par le taux moyen des droits de mutation à titre gratuit. Ainsi la donation portera sur la pleine propriété du bien ou l'un de ses démembrements, usufruit ou nue-propriété, sachant que la consolidation joue en principe à concurrence de la valeur du droit réel muté. Les stratégies patrimoniales actuelles concernent en majorité les transmissions de titres sociaux sous le prisme du démembrement de propriété, et principalement celui du quasi-usufruit. Ses vertus fiscales font parfois craindre l'abus de droit (A) et chahutent le régime des plus-values sur cession de droits sociaux (B). A. - Le quasi-usufruit à l'épreuve de l'abus de droit 3 - L'instruction 5 C-1-01 du 13 juin 2000 (entrée en vigueur le 3 juillet 2001, et désormais référencée sous au BOFIP sous le numéro BOI-RPPM-PVBMI-20-10-20-60) a décrit les nouvelles règles d'imposition des plus-values de cession à titre onéreux de valeurs mobilières et de droits sociaux réalisées par les particuliers. Cette dernière fait référence dans cette matière technique, pour laquelle perdurent quelques zones d'ombre. 4 - Le sort du prix de cession des droits sociaux démembrés détermine le régime fiscal de la plus-value. Trois hypothèses sont ainsi à distinguer : ‰ en cas de répartition entre l’usufruitier et le nu-propriétaire, chacun est redevable de l’impôt sur la plus-value à hauteur de sa quote-part dans le prix de cession ; ‰ en cas de remploi dans l’acquisition d’autres titres démembrés3, seul le nu-propriétaire est redevable de l’impôt sur la plusvalue (quand bien même il n'appréhende pas le prix de cession...) ; ‰ en cas de quasi-usufruit, le redevable de l’impôt sur la plusvalue est le quasi-usufruitier 4. 5 - La préférence des donateurs s'exprime souvent en faveur de la troisième voie. Le Conseil d'État 5 a levé le doute sur la validité fiscale d'une clause de quasi-usufruit même non assortie de garantie insérée dans un acte de« donation-cession »departs sociales. Il semble désormais acquis que la donation de la nue-propriété de droits sociaux, précédant une cession, n'est pas constitutive d'un abus de droit, quand bien même l'usufruitier appréhende le prix de cession au titre d'un quasi-usufruit. Certes l'appropriation du produit de cession des titres en pleine propriété présumerait l'absence d'intention libérale. Toutefois la naissance d'une dette de restitution certaine dans son principe mais dont l'exigibilité est reportée au décès du donateur caractérise un dépouillement à terme, respectueux de l'article 894 du Code civil, qui se traduira de surcroît par un passif déductible de l'actif brut successoral du quasi-usufruitier. 6 - En contrepartie de cette liberté économique reconnue au quasi-usufruitier, la préservation des droits des nus-propriétaires doit être assurée, afin de limiter les contestations inspirées de la fictivité de l'opération et du nouvel abus de droit de l’article L. 64 AduLPF6 : le quasi-usufruit doit résulter d'une convention préalable à toute cession, cette dernière permettant de régir les droits et obligations des parties (reddition de comptes à la charge de l'usufruitier, indexation de la créance de restitution ou encore souscription d’une sûreté à l'appui du remboursement de la dette de restitution). B. - Le régime des plus-values de titres sociaux soumis à quasi-usufruit 7 - L'introduction d'un quasi-usufruit dans les schémas de transmission de droits sociaux n'est pas sans incidence sur la détermination de l'impôt de plus-value qui résultera de la cession des titres, ainsi qu'en témoignent les trois thématiques qui suivent inspirées de la pratique. 1° La majoration du prix de revient des titres démembrés cédés par le quasi-usufruitier 8 - La vente simultanée de l'usufruit et de la nue-propriété d'un bien emporte dans les termes de l'article 621 du Code civil, une répartition du prix« sauf accord des parties pour reporter l'usufruit sur le prix ». Or, l'identité du redevable de l'impôt de plusvalue dépendra du sort du prix de cession7. Une fois le redevable identifié, il convient de se poser la question du calcul de l'impôt. Lorsque le prix de cession est réparti entre l'usufruitier et le nu-propriétaire, chacun liquidera son impôt en se référant aux règles de détermination des prix de revient et cession posées par la doctrine administrative. 9 - En l'absence de répartition du prix, tantôt le redevable sera le nu-propriétaire en cas de remploi du prix dans l'acquisition d'un bien lui-même démembré, tantôt il s'agira de l'usufruitier en cas de report de ses droits d'usufruit sur le prix de cession. Ainsi, en présence d'un redevable unique, ce dernier peut-il majorer le prix de revient des frais d'acquisition, que ceux-ci 1. Toutefois, les plus-values soumises au régime de l’article 39 duodecies du CGI à l’article 39 quindecies du CGI et réalisées par une personne physique à l’occasion de la transmission à titre gratuit d’une entreprise individuelle peuvent bénéficier des dispositions de l’article 41 du CGI. 2. Maurice Cozian expliquait malicieusement que « l'abus de droit relève de la morale fiscale, c'est le péché des surdoués de la fiscalité un peu trop habiles et qui se gardent bien de pêcher contre la lettre de la loi fiscale mais pèchent allégrement contre son esprit » – Extrait d'une conférence du 25 juin 1990 publiée aux Petites Affiches n° 81, 6 juill. 1990. 3. Lorsque le démembrement a pour objet un portefeuille de valeurs mobilières dépendant d'une succession, il est toutefois admis, sur option expresse et irrévocable formulée conjointement par le nu-propriétaire et l'usufruitier auprès de l'établissement financier teneur du compte, que cette plus-value soit imposable au nom du seul usufruitier. 4. Rép. min. n° 29549 : JOAN 25 mars 1996, p. 1603, Dubernard. 5. CE, 10 févr. 2017, n° 387960 : JurisData n° 2017-002348 ; JCP N 2017, n° 18, 1172, note J.-J. Lubin ; Dr. fisc. 2017, n° 14, comm. 239, note R. Mortier ; RFP 2017, comm. 8, note S. Torricelli-Chrifi. – CAA Nantes, 1re ch., 2 juill. 2020, n° 18NT01415 : JurisData n° 2020-013407. 6. Cet article sanctionne les actes ayant un but principalement (et non plus seulement exclusivement) fiscal. 7. V. supra6. 51 ACTES PRATIQUES & STRATÉGIE PATRIMONIALE - N° 3 - JUILLET-AOÛT-SEPTEMBRE 2023 - © LEXISNEXISSA Dossier

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