Actes Pratiques et Stratégie Patrimoniales

l’usufruit s’éteindra avec son propre décès et non avec le décès du donataire32. L'usufruit viager qui serait alors éventuellement donné s'éteindra par le décès de l'usufruitier donateur ; il ne s'agira pas de la constitution d'un nouvel usufruit mais seulement de la donation d'un droit qui reste fonction de la durée de vie de l'usufruitier originaire. Pour constituer ou se réserver un usufruit viager, qu'il soit actuel ou successif, il faut disposer d'une vocation à la pleine propriété comme en bénéficie le nu-propriétaire donataire33. 1° La donation-partage en nue-propriété 19 - Une méthode liquidative incertaine. – S'il est acquis depuis longtemps que la donation simple en nue-propriété doit être réunie pour la pleine propriété34, il en va différemment de la donation-partage en nue-propriété ; un débat doctrinal perdure en la matière. En raisonnant par analogie avec les donations ordinaires, l'usufruit du donateur étant éteint, la pleine propriété serait à réunir au titre de la donation-partage car reconstituée sur la tête du gratifié au jour du décès 35. En l'absence de dispositions légales impératives fixant les modalités d'évaluation à ce sujet, il y aurait alors lieu d'en revenir au droit commun. Si ce raisonnement s'entend d'un point de vue juridique, puisque la Cour de cassation se base sur les droits que le gratifié possède sur le bien au jour où naît le droit à la réserve héréditaire36 ; il n'en va pas forcément de même au regard de l'équité. Comme vu précédemment, l'atout principal de la donation-partage réside dans la fixité des valeurs au jour de l'acte. Pour une partie de la doctrine, ce gel des valeurs s'étendrait également à la nature du droit donné ; la nue-propriété ayant été transmise au jour de la donation-partage, les gratifiés n'ont pas à réunir la pleine propriété au jour du décès. Cette solution apparaît d'autant plus justifiée lorsque certains enfants ont été gratifiés en nue-propriété alors que d'autres auraient bénéficié de la pleine propriété d'un lot. La réunion en pleine propriété imposée à tous serait génératrice d'une inégalité au jour du règlement de la succession alors même que l'objectif poursuivi par le disposant est bien souvent d'éviter tout conflit familial. 20 - Les conséquences d'un traitement liquidatif homogène. – La donation-partage n'étant par nature pas rapportable, il n'en sera donc pas tenu compte au titre du partage entre les héritiers gratifiés 37. Ainsi, le donataire ayant reçu uniquement de la nue-propriété ne bénéficiera d'aucune contrepartie par rapport à celui ayant pu jouir des biens donnés 38, il ne sera pas « compensé »dans ses droits. Cependant, même si un traitement distinct était opéré entre les gratifiés allotis différemment, le résultat serait identique ; la donation-partage n'étant pas rapportable, l'application d'un autre mécanisme liquidatif ne permettrait pas pour autant de purger l'inégalité au moment du partage. En revanche, il en va différemment au stade de la réunion fictive puisque la donation-partage sera cette fois-ci concernée. Si une distinction était opérée entre les gratifiés, la possibilité offerte à l'enfant ayant reçu de la nue-propriété serait d'exercer une éventuelle action en réduction, si l'inégalité est telle (entre la pleine propriété et la nue-propriété), qu'il en résulterait une atteinte à sa réserve héréditaire. À l'inverse, la réunion opérée uniquement pour la pleine propriété, sans distinction entre les donataires, ne permettrait pas de faire émerger une quelconque atteinte à la réserve sur la seule base de la nature du droit donné. 21 - Contractualisation ?. –En raison des spécificités induites par la donation-partage, certains auteurs considèrent que la réunion fictive devrait intervenir sur la base de la valeur en nue-propriété, pour le donataire n'ayant pas pu bénéficier des fruits jusqu'à extinction de l'usufruit 39. Afin d'anticiper d'éventuels conflits au jour du règlement de la succession et en l'absence de disposition d'ordre public précisant la méthode d'évaluation à retenir à ce sujet, il pourrait être envisagé d'arrêter directement dans l'acte, les modalités de réunion fictive entre les parties. Le notaire devra veiller à les informer de l'état actuel de la jurisprudence et des risques éventuellement encourus selon le schéma envisagé. À défaut de stipulation, il sera toujours possible pour les héritiers, au jour du règlement de la succession, de déduire de la pleine propriété la valeur capitalisée de l'usufruit au stade de la réunion fictive, un consensus devant toutefois être obtenu. 2° Les donations d'usufruit 22 - La donation-partage en nue-propriété s'accompagne généralement de la stipulation d'une réserve d'usufruit, d'une réversion voire d'usufruits successifs. Plus rarement, l'usufruit peut être concédé à titre temporaire, voire donner lieu à une renonciation de la part du disposant. Le traitement de l'usufruit et de ses déclinaisons, s'avère être un exercice complexe lors de la liquidation et pose certaines interrogations à l'aune d'une imputation en assiette des libéralités. 23 - La réversion d'usufruit. – Une telle stipulation rend le conjoint (ou toute autre personne) bénéficiaire de la réversion d'usufruit dès la date de signature de la donation portant sur la nue-propriété ; ce n'est que l'exercice effectif de l'usufruit qui est différé au décès du premier usufruitier (cela peut concerner un bien commun ou indivis aux époux, ou encore un bien propre à l'un d'eux). Constitutive d'une donation de biens présents à terme40, la réversion d'usufruit consentie au profit du conjoint survivant aura vocation à s'imputer sur la quotité disponible spéciale entre époux. Ce type de libéralité peut également se retrouver en présence d'une donation-partage transgénérationnelle : les grands-parents se réservant l'usufruit leur vie durant, prévoient non seulement une réversion d'usufruit au profit du survivant des donateurs, mais également au profit de la génération intermédiaire ; les petits-enfants ne verront la reconstitution de la toute propriété qu'au décès du dernier des usufruitiers successifs convenus. Fiscalement, les droits de mutation par décès à raison de l'ouverture de l'usufruit successif sont liquidés selon le lien de parenté entre le constituant de l'usufruit et le bénéficiaire de l'usufruit successif, à la date du décès 41. 24 - En cas de multiples libéralités consenties au conjoint survivant mais également au profit de tiers ; la liquidation mettra en exergue un concours de quotités disponibles, résolu conformément aux règles dégagées par l'arrêt « Dreuil » précité. S'agissant précisément de la réversion d'usufruit, celle-ci étant constitutive d'une libéralité, elle s'imputera sur l'usufruit de la réserve héréditaire pour la valeur en pleine propriété du bien donné, une 32. Cass. 1re civ., 5 janv. 2023, n° 21-13.966 : JurisData n° 2023-000019. 33. D. Épailly, Les liquidations successorales, après la loi du 23 juin 2006 : Brochure Cridon BordeauxToulouse, janv. 2010, n° 72. – V. Cass. 1re civ., 25 oct. 1978 : Bull. civ. I, n° 324. 34. Cass. civ., 11 févr. 1901 : DP 1901, I, p. 349. – Cass. 1re civ., 14 oct. 1981 : Bull. civ. I, n° 296 ; RTD civ. 1982, p. 641, obs. J. Patarin. 35. Rép. civ. Dalloz, v° Réserve héréditaire. Réduction des libéralités. Recherche des atteintes portées à la réserve, n° 49. – Cass. civ., 14 mars 1866 : DP 1866, 1, p. 173. – Cass. civ., 11 févr. 1901 : DP 1901, 1, p. 349. 36. Cass. 1re civ., 14 oct. 1981 : Bull. civ. I, n° 296. 37. V. supra L'hétérogénéité des méthodes liquidatives : Actes prat. strat. patrimoniale 2023, n° 3, dossier 23. 38. Cela reste toutefois en accord avec les décisions retenant que le prêt à usage ne constitue pas une donation, même si ce dernier ne confère que l'usage et non la jouissance du bien donné. 39. G. Soudey, Réunion fictive d’une donation-partage consentie, pour partie, en nue-propriété : JCP N 2013, act. 406. 40. Cass. ch. mixte, 8 juin 2007, n° 05-10.727. 41. BOI-ENR-DMTG-10-20-50-40, 12 sept. 2012, § 1 et 10. – Ainsi que BOI-ENR-DG-70-40, 12 sept. 2012, §1. 41 ACTES PRATIQUES & STRATÉGIE PATRIMONIALE - N° 3 - JUILLET-AOÛT-SEPTEMBRE 2023 - © LEXISNEXISSA Dossier

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