Actes Pratiques et Stratégie Patrimoniales

donation-partage en nue-propriété, contenant également la stipulation d'un usufruit réversible au profit du conjoint survivant ; toutes deux constitutives d'une libéralité démembrée24, elles devront être imputées pour leur assiette, sur le secteur de même nature. Cette méthode d'imputation n'était pour autant pas forcément privilégiée par la pratique, préférant bien souvent convertir le droit démembré concerné en une contre-valeur en pleine propriété. Plus intuitive, la technique de la valorisation permettait de comparer deux droits qui n'étaient pas de même nature en recourant à la conversion. Ce raisonnement est en effet impératif en matière fiscale voire au titre de la liquidation civile ; la conversion restant la règle en application des dispositions de l'article 758-6 du Code civil, relatif à l'imputation des libéralités bénéficiant au conjoint survivant 25. La jurisprudence n'avait jamais clairement censuré l'une ou l'autre de ces deux méthodes ; c'est désormais chose faite à travers un arrêt de la Cour de cassation en date du 22 juin 202226. Dorénavant, le notaire qui procéderait au calcul d'une éventuelle atteinte à la réserve héréditaire se doit d'exclure le système de l'imputation après conversion, en présence d'un démembrement de propriété. 15 - La mise en pratique du mécanisme liquidatif. –L'imputation en assiette, comme l'indique sa dénomination, consiste à considérer l'assiette de la libéralité démembrée ; c'est la valeur du bien en pleine propriété qui est prise en considération, même si seul un droit démembré fait l'objet d'une libéralité. L'assiette considérée est ensuite comparée avec le secteur d'imputation correspondant. Le dépassement de la quotité disponible, en nue-propriété ou en usufruit entraînera un risque de réduction ; celui-ci restant dépendant du secteur concerné. Autrement dit, un dépassement de la quotité disponible en nue-propriété, rendra réductible la libéralité concernée en nue-propriété seulement. Après obtention du coefficient de réduction, la valeur excédentaire fera l'objet d'une conversion en pleine propriété ; correspondant à l'indemnité de réduction effectivement due par le gratifié. En présence d'un usufruit ouvert au jour du décès, la conversion de la nue-propriété se fera simplement en fonction de l'âge de l'usufruitier gratifié. Si l'usufruit se trouve éteint ou si la donation a été simplement consentie en pleine propriété, il semble que seul l'âge du gratifié en nue-propriété ou en pleine propriété27pourra être pris en considération aux fins de procéder à la conversion. Ainsi, la méthode de la valorisation est certes exclue au stade de l'imputation mais elle réintègre le raisonnement lorsqu'il s'agit de sanctionner l'atteinte à la réserve. 16 - Champ d'application. –Chaque fois qu'une libéralité ou un secteur d'imputation ne se traduit pas exclusivement en pleine propriété, la méthode de l'imputation en assiette doit être adoptée. À titre illustratif, il s'agit tant du legs en usufruit d'un bien particulier, que d'une libéralité en pleine propriété consentie au bénéfice du conjoint survivant. Dans cette dernière hypothèse, la libéralité consentie va s'imputer sur la quotité disponible spéciale entre époux conformément aux règles jurisprudentielles dégagées par l'arrêt « Dreuil »28, déclenchant nécessairement le mécanisme de l'imputation en assiette. Le raisonnement diffère toutefois pour les partenaires et les concubins, ces derniers ne bénéficiant pas de cette quotité spéciale. Surtout, le secteur d'imputation des libéralités qui leur seraient consenties en usufruit étant bien plus limité, le risque de réduction, voire de remise en cause de la libéralité en application de l'article 917 du Code civil, se retrouve plus élevé, particulièrement en application d'une imputation en assiette. Le praticien pourra à cet effet conseiller au disposant de fermer l'option qui s'offre à ses descendants en application de cet article29, de telle sorte qu'une unique possibilité s'offrira à eux : agir en réduction à l'encontre de la libéralité excessive. Serait-il envisageable de déroger à ces dispositions directement au sein de la donation prévoyant la réversion d'usufruit au profit du partenaire pacsé ? Il semble que seul le testament puisse être approprié. Il faut par ailleurs préciser que cet article est applicable uniquement dans la mesure où il n'existe pas d'autres libéralités que celle en usufruit. Quoi qu'il en soit, dans l'hypothèse où le disposant fermerait l'option à ses descendants, ces derniers auraient toutefois la possibilité d'agir en réduction. Si le souhait est d'exclure également ce risque de réduction, la régularisation d'une renonciation à agir en réduction au profit du concubin ou du partenaire pour une libéralité spécifique, consentie par exemple en usufruit, pourra apparaître appropriée. 17 - Une protection renforcée de la réserve héréditaire. –In fine, censurer la méthode de la conversion était un préalable nécessaire à la protection de la réserve héréditaire par la Cour de cassation. La réserve héréditaire des héritiers ainsi que la quotité disponible se définissent par la nature des droits qui les composent et ne sont pas uniquement des valeurs. La méthode de la valorisation s'est révélée inadaptée pour protéger la nature de ces droits. Cette position a été rappelée par la cour d'appel de Colmar à propos de l'imputation d'un legs en usufruit : la réserve héréditaire n'est pas une simple créance mais une part en nature de la succession, c'est-à-dire que l'héritier réservataire a le droit de jouir et de disposer des biens compris dans sa réserve30. À défaut de procéder à une liquidation en assiette, en présence d'un démembrement, le risque est la communication d'une information erronée à l'égard des héritiers. L'imputation en assiette permet en effet de détecter parfois, une atteinte à la réserve que ne révélerait pas la valorisation. En imposant une imputation en assiette des libéralités, la Haute Cour s'inscrit dans un mouvement toujours plus important, visant à protéger ce principe réservataire, d'ordre public français, aux côtés du législateur. Ce dernier ayant d'ailleurs récemment rappelé l'obligation d'information incombant au notaire en cette matière (C. civ., art. 921)et réintroduit le système du droit de prélèvement dans notrecode(C. civ., art. 913, al. 3) 31. B. - Les particularités liquidatives de la donationpartage démembrée 18 - Si l'hypothèse la plus fréquente est celle d'une transmission en nue-propriété, le donateur peut tout à fait choisir de transmettre uniquement l'usufruit d'un bien. Ce dernier n'en aura d'ailleurs plus l'opportunité dès lors qu'il aura transféré la nue-propriété du bien au profit de certains gratifiés. Plus précisément, une fois la nue-propriété transmise, la constitution d'un usufruit viager par le donateur usufruitier ne sera plus envisageable. Il n'est pas possible de donner plus que ce que l'on possède et partant, le donateur ne peut modifier le fait que 24. V. n° 23. 25. Les dispositions de l'article 758-6 du Code civil nécessaires au calcul des droits du conjoint survivant ne doivent pas être confondues avec l'imputation en assiette ayant pour unique objet de vérifier l'absence d'atteinte à la réserve. 26. Cass. 1re civ., 22 juin 2022, n° 20-23.215. 27. Même consentie en pleine propriété, la libéralité devra suivre le mécanisme de l'imputation en assiette dès lors que le défunt a pu consentir une libéralité démembrée ou qu'un secteur d'imputation se trouve lui-même démembré. 28. Cass. 1re civ., 26 avr. 1984, n° 83-11.839 : Bull. civ. I, n° 140. 29. Les descendants ont le choix de laisser la libéralité s'exécuter ou d'abandonner la totalité de la quotité disponible ordinaire en pleine propriété. Dans le premier cas le démembrement perdure, dans le second, il y a création d'une indivision. 30. CA Colmar, sect. A, 24 févr. 2017, n° 15/02059. 31. Bien que l'efficacité de ce dernier dispositif laisse à désirer ; V. N. Joubert, Droit de prélèvement, réserve héréditaire, protection des héritiers contre les discriminations, quelle méthode ? : Rev. crit. DIP 2021, p. 322. 40 © LEXISNEXISSA - ACTES PRATIQUES & STRATÉGIE PATRIMONIALE - N° 3 - JUILLET-AOÛT-SEPTEMBRE 2023 Dossier

RkJQdWJsaXNoZXIy MTQxNjY=