4 - D'ailleurs, si certains aménagements peuvent être apportés à la donation ordinaire, elle ne pourra jamais produire les mêmes effets qu'une donation-partage. Aucune clause ne pourrait faire obstacle à la réévaluation des biens donnés 2. La seule possibilité étant de prévoir au sein de la donation ordinaire, que la plusvalue éventuellement créée ne viendra pas en déduction des droits du gratifié, mais lui sera acquise à titre d'avantage personnel : il s'agit de la clause dite de « rapport forfaitaire ». Une réévaluation du bien restera cependant nécessaire et l'avantage « complémentaire »reçu par le donataire ne s'imputera jamais sur sa réserve, alors même qu'elle aurait pu suffire à l'accueillir. Conformément au dernier alinéa de l'article 860 du Code civil, cet avantage est acquis hors part successorale et s'imputera ainsi sur la quotité disponible ; le risque de réduction restera donc prégnant dès lors que la plus-value prise par le bien ne sera pas négligeable. 5 - Conditions relatives à la fixité des valeurs. – Aux fins de bénéficier de ce gel des valeurs, les parties à l'acte doivent respecter certaines conditions formulées au sein de l'article 1078 du Code civil. 6 - En premier lieu, tous les enfants vivants ou représentés au décès du disposant doivent avoir reçu un lot dans le partage anticipé. Cela signifie que l'absence d'allotissement d'un héritier réservataire fera obstacle au gel des valeurs ; que celui-ci ait été délibérément omis, qu'il n'ait pas accepté la donation ou encore qu'il n'ait tout simplement pas été conçu au jour de l'acte. Dans de telles circonstances, il reste toutefois possible de régulariser la situation. La donation-partage ayant omis un des enfants pourra faire l'objet d'une incorporation au sein d'une donationpartage unique, allotissant cette fois-ci l'intégralité des héritiers réservataires ; qu'il s'agisse de redistribuer d'anciennes donations ou d'intégrer des biens nouvellement donnés. De même, les dons manuels qui auraient été consentis au profit de certains héritiers pourront être intégrés dans une même donation-partage allotissant l'ensemble des enfants et figeant une fois pour toutes les valeurs 3. À défaut de régularisation, on en revient aux règles liquidatives ordinaires telles que prévues par l'article 922 du Codecivil 4 ; à savoir une réévaluation des biens donnés au jour du décès. Ces principes ont également vocation à s'appliquer en présence d'une donation-partage transgénérationnelle ; toutefois le raisonnement doit alors être mené en deux temps, à l'instar de la liquidation5. Dans une telle configuration, il faut veiller à ce que chacune des souches ait été allotie et qu'au sein de celles-ci, chacun des petits-enfants ait reçu au moins un lot dans la donation-partage transgénérationnelle. 7 - Par ailleurs, la fixité des valeurs nécessite« qu’il n’ait pas été prévu de réserve d’usufruit portant sur une somme d’argent ». En réalité, ce qui bloque le gel des valeurs, c'est la constitution d'un quasi-usufruit 6. Le nu-propriétaire n'étant qu'un créancier à terme, il ne peut espérer aucune plus-value sur les biens donnés. Le défaut de fixité des valeurs lui permet alors tout simplement de prétendre à la plus-value qui serait créée par les autres attributaires. Légalement, dès lors qu'un usufruit porte sur des choses consomptibles 7, telles que des sommes d'argent, il dégénère automatiquement en quasi-usufruit (C. civ., art. 587). Ainsi la donation-partage de somme d'argent avec réserve d'usufruit au profit du donateur, ne pourra bénéficier d'un gel des valeurs, le donateur bénéficiant de facto d'un quasi-usufruit. Néanmoins, il serait envisageable d'y déroger en prévoyant le maintien d'un usufruit ordinaire au profit du donateur 8. En conséquence, la donation-partage bénéficiera d'un atout fiscal immédiat : la réduction des droits de donation via le démembrement, sans perdre l'avantage civil principal que constitue le gel des valeurs. Conseil pratique : Il convient de veiller à exclure le jeu du quasi-usufruit issu du droit commun, tout en prévoyant à l'acte l'emploi des sommes par l'usufruitier avec l'accord du nu-propriétaire ; ce dernier conserve la maîtrise des placements alors que l'usufruitier ne perçoit que les revenus de ceux-ci. Il est ainsi dérogé au principe même du quasi-usufruit, ce dernier se caractérisant par le pouvoir de disposition bénéficiant au quasi-usufruitier. 8 - Enfin, le gel des valeurs au jour de l'acte de donationpartage ne pourra perdurer qu'à défaut de « convention contraire » ; les parties pouvant tout à fait déroger à l'évaluation prescrite par l'article 1078 du Code civil, celui-ci n'étant pas d'ordre public. B. - L'absence de rapport à une masse à partager entre les héritiers 9 - Principe d'un partage anticipé. – Aux fins de répartir le patrimoine du défunt entre ses ayants droit, une masse à partager doit être établie ; celle-ci se distingue de la masse de calcul précédemment évoquée. Si les donations ordinaires sont comptabilisées pour le calcul de la masse à partager (sauf dispense de rapport), la donation-partage, même inégalitaire, n’est pas soumise par essence au rapport des libéralités prévu à l’article 843 du Code civil 9. Comme son appellation l'indique, elle porte en soi le gage d'un partage. La doctrine s'accorde à mettre en exergue le caractère répartiteur de la donation-partage, se distinguant des donations ordinaires, par la fonction distributive de l'acte10. L'objet de la donation ayant déjà été réparti entre les donataires copartageants, aucune autre répartition ne pourrait s'y substituer. Le partage effectué, bien qu'anticipé, l'est à titre définitif et justifie donc simplement son exclusion de la masse à partager. Pour autant, si l'on s'en tient aux caractéristiques générales de l'acte, la donation-partage est généralement consentie en avance de part, sans être toutefois rapportable. Néanmoins, le caractère hors part ou en avance de part successorale de la donation-partage ne renvoie qu'à ses modalités d'imputation pour la détermination de la réserve héréditaire du gratifié ; bien qu'elle soit en avance de part, la donation-partage ne sera pas rapportée à la masse à partager. 10 - Conséquences d'une absence de rapport. –Fiscalement, les biens ayant été partagés, le droit de partage ne sera donc pas perçu, contrairement aux donations simples qui auraient pu intégrer la masse à partager. Civilement, l'impact n'est pas négligeable non plus. À titre illustratif, l'enfant qui reçoit par donation serait inégalitaire peut porter atteinte à la réserve héréditaire des héritiers lésés. 2. Une réévaluation au jour du décès devra s'opérer suivant l'alinéa 2 de l'article 922 du Code civil ; ces dispositions, en ce qu'elles participent de la protection de la réserve héréditaire, sont d'ordre public, comme la réserve elle-même (Cass. 1re civ., 25 juin 1974, n° 73-10.226). 3. La donation-partage peut également avoir pour objet de révéler des dons manuels non déclarés. 4. Par renvoi de l'article 1077-2, alinéa 1 du Code civil. 5. V. n° 20 et s. 6. M. Grimaldi, Droit patrimonial de la famille : Dalloz Action 2021, n° 413.62. 7. Un bien consomptible se consomme par un usage unique, ce sont « des choses qui ne sont pas susceptibles d'une autre utilisation que l'aliénation » : P. Jaubert, Deux notions du droit des biens, la consomptibilité et la fongibilité : RTD civ. 194, p. 81. 8. M. Grimaldi, Droit patrimonial de la famille : Dalloz Action 2021, n° 413.62. – Contra : P. Catala, La réforme des liquidations successorales : Defrénois, 3e éd., 1982. 9. Cass. 1re civ., 20 mars 2013, n° 11-21.368. 10. M. Nicod, La fonction de partage de la libéralité-partage : Defrénois 15 avr. 2014, n° 115, p. 348. 32 © LEXISNEXISSA - ACTES PRATIQUES & STRATÉGIE PATRIMONIALE - N° 3 - JUILLET-AOÛT-SEPTEMBRE 2023 Dossier
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