le donataire accepte d'incorporer son bien, pour l'abandonner par la suite. La solution inverse conférerait à l'incorporation une fonction punitive peu propice à l'œuvre de redistribution familiale qu'elle postule. Lemutuus dissensus dégradé et la révocation qu'il implique ne font pas davantage perdre au donataire incorporant le bénéfice des fruits acquis par lui depuis la donation initiale. En effet, à supposer que le bien incorporé ne soit pas réattribué, même partiellement, au donataire originaire, ce dernier se trouvera dans la situation du possesseur de bonne foi auquel l'article 549 du Code civil reconnaît la conservation des fruits. 18 - Les accroissements du bien donné. – Le raisonnement proposé au titre des fruits s'applique-t-il aux accroissements de la chose donnée21 ? Les dispositions de l'article 860 du Code civil inspirent également à ce sujet les modalités de l'incorporation. Il sera ainsi conseillé de prendre en compte l’état du bien à l’époque de la donation initiale et distinguer, parmi les circonstances ayant contribué à modifier sa valeur entre cette dernière et l'incorporation, celles qui sont extérieures au donataire de celles qui peuvent se rattacher à sa personne. Le donataire bénéficiaire de l'incorporation profitera alors de toute augmentation objective de la valeur du bien, attachée à ses seules caractéristiques, la plus-value apportée par le donataire incorporant étant par principe extraite de cette dette de valeur. 19 - À ce compte, la pratique révèle que l'exercice d'incorporation préempte le débat parfois délicat du rapport successoral, car certains donataires auront judicieusement tiré bénéfice du don reçu alors que d'autres, plus prodigues, ne rapporteraient que peau de chagrin. Mais il est fort à parier que si le sujet fâche déjà au stade de l'incorporation, il aurait certainement connu un retentissement post-mortem de plus grande ampleur, sans médiation possible du parent donateur. Le juriste rappellera alors aux parties la finalité et la philosophie de la donation-partage qui est, en principe, d'allotir les gratifiés à titre d'avance sur leurs droits successoraux et non de fustiger la différence d'évaluation des allotissements revenant aux différentes souches. Si telle est la volonté des parties, la donation-partage nouvelle pourra ainsi prévoir que les différents lots constitués s'imputeront à hauteur du plus faible sur la part de réserve revenant à chaque donataire/ souche et, pour le surplus seulement, sur la quotité disponible. L'opération sera ainsi considérée, par-delà les évaluations, comme fondamentalement égalitaire par les disposants. Elle sera enfin combinée en tant que de besoin avec des renonciations anticipées à agir en réduction. Là encore s'exprimera le consensus primordial des parties pour établir un pacte familial aux termes duquel seront façonnées les modalités de l'incorporation des donations antérieures.ê Focus La pratique des incorporations consenties au profit de mineurs dans les donations-partages transgénérationnelles Bien que l'application des règles du droit des incapacités ne relève pas de l'apanage exclusif des donations-partages transgénérationnelles, cette libéralité qui réunit a minima trois générations fournit un terreau favorable aux problématiques issues de l'articulation de la technique de l'incorporation et du droit des incapacités. Les raisonnements ainsi proposés peuvent être transposés à une donation-partage « simple », dès lors que l'un des donataires et/ou bénéficiaires de l'attribution d'une incorporation est concerné par une mesure de protection. Pour faciliter l'exposé de nos propos, il est précisé que dans les développements suivants, G1 désignera la première génération des grands-parents, G2 celle des enfants et enfin G3 celle des petits-enfants. Afin d'exposer les problèmes juridiques rencontrés, sera évoqué un cas concret récemment traité dans notre étude, au titre de transmissions familiales de sociétés. G1 envisage de proposer à ses enfants et petits-enfants une donation-partage transgénérationnelle avec principalement pour objet : ‰ l'incorporation en nature de la nue-propriété d'actions reçue par G2 aux termes d'un don manuel de 1989 avec pacte adjoint ; ‰ l'attribution à G2, par confusion sur leur tête, d'une partie de la nue-propriété des actions incorporées par eux ; ‰ l'attribution du surplus incorporé à G3. Cette donation-partage nourrit les desseins de favoriser : ‰ d'une part, la fixité de valeur des actions dans les successions de G1 ; ‰ d'autre part, la transmission à G3 de partie de la nue-propriété des titres, avec application du droit de partage de 2,5 %. Ce projet a notamment soulevé la question des modalités d'application des règles du droit des incapacités dans une donation-partage transgénérationnelle consentie au profit de petits-enfants mineurs et ayant pour objet l'incorporation de donations passées. 21. La différence entre fruits et accroissements de la chose est parfois tenue. Par exemple, la Cour de cassation a appliqué les dispositions de l'article 856 du Code civil à des actions reçues dans le cadre d’une attribution gratuite, ainsi qualifiées de fruits (Cass. 1re civ., 5 avr. 2005 : JurisData n° 2005027911 ; Bull. civ. I, n° 175 ; RTD civ. 2005, p. 441, obs. M. Grimaldi ; AJF 2005, n° 7-8, p. 281, obs. F. Bicheron. – Cass. 1re civ., 14 mars 2006 : JurisData n° 2006-032651 ; Bull. civ. I, n° 163 ; RTD civ. 2006, p. 809, obs. M. Grimaldi). 29 ACTES PRATIQUES & STRATÉGIE PATRIMONIALE - N° 3 - JUILLET-AOÛT-SEPTEMBRE 2023 - © LEXISNEXISSA Dossier
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