ce constat soient nombreux, l'hypothèse de l'incorporation d'un portefeuille de valeurs mobilières l'illustre tout particulièrement. Il est de principe que ce dernier constitue, en tant que tel, un objet d'appropriation particulier : autrement dit, l'ensemble qu'il forme est constitutif d'une entité dont les changements de composition interne n'affectent ni l'existence ni même l'identité. De la même façon que le changement des têtes d'un troupeau par l'effet du croît et de la disparition de bêtes en modifie la valeur sans altérer sa substance, l'aliénation de valeurs mobilières suivie du remploi de leur prix dans l'acquisition de nouveaux titres laisse subsister à l'identique le portefeuille de valeurs mobilières parce que le bien dont il s'agit est constitutif d'une universalité de fait au sein de laquelle fonctionne naturellement la subrogation réelle, les différentes valeurs étant conçues comme interchangeables par l'effet d'une fongibilité volontaire. La solution qui a été initiée par la jurisprudence, en matière de legsderesiduo16, puis d'usufruit 17, a reçu consécration légale avec la réforme des successions du 23 juin 2006 qui l'a inscrite, en matière de libéralités graduelles et résiduelles, à l'article 1049, alinéa 2, du Code civil 18. La doctrine en tire régulièrement les conséquences, ainsi que le font, par exemple, les professeurs François Terré et Philippe Simler, en matière d'usufruit 19. 14 - Cette notion de portefeuille est applicable lorsque les valeurs mobilières précédemment données, depuis conservées ou, au contraire, remplacées entre les mains des donataires par de nouvelles valeurs mobilières, ont été transmises au donataire originaire à titre de placements financiers, en considération de leur valeur économique, et non à titre d'instruments de pouvoir au sein des sociétés concernées par attribution des droits de vote correspondants. Il s'ensuit que l'absence d'une exacte identité individuelle des valeurs précédemment transmises et de celles qu'il est question d'incorporer dans la nouvelle donation-partage ne saurait alors faire obstacle, dans le principe, à l'incorporation projetée. En effet, comme il a été expliqué, les aliénations de valeurs mobilières intervenues au sein des portefeuilles considérés avec remploi de leur produit dans l'acquisition de nouveaux titres n'ont affecté que la composition matérielle des biens donnés sans altérer leur substance juridique. Par conséquent, du moment que les chaînes de subrogations peuvent être retracées, il est possible de procéder à l'incorporation en nature de tout ou partie des dispositions à titre gratuit de valeurs mobilières précédemment consenties. Pour la même raison et sous la même condition que la chaîne des subrogations puisse être établie, le placement de valeurs mobilières en instruments financiers servant de supports à des contrats d'assurance-vie ou de capitalisation ne saurait pas davantage faire obstacle à l'incorporation, s'agissant de produits d'épargne ou d'investissement dans lesquels la subrogation peut naturellement se réaliser. 15 - Incorporation et quasi-usufruit. –Le principe de l'incorporation devient parfois plus abscons lorsque le droit réel, objet de la libéralité primaire, mue en droit personnel, à la faveur de la cession du bien originairement donné, sans emploi ultérieur. Ainsi la donation qui portait sur la pleine propriété d'un bien, cédé depuis sans autre investissement, sera incorporée pour le montant nominal du produit de cession, les règles du rapport successoral (en l'occurrence celle de l'article 860-2) étant applicables par raisonnement apari. En revanche, lorsque la donation instaurait un démembrement de propriété sur le bien dont elle est l'objet, le report de l'usufruit sur le prix disqualifie le droit réel du donataire en droit personnel, que l'article 587 du Code civil protège en tant que créance de restitution. Cette dernière est l'expression d'une obligation, laquelle scelle un rapport de droit entre un débiteur (le donateur) et un créancier (le donataire originaire). Rien ne semble interdire à ces derniers d'incorporer ce lien de droit dans une donation-partage nouvelle, pour conférer à l'attributaire choisi le bénéfice de cette créance atermoyée. Ainsi cette donation constatera l'incorporation puis l'attribution de cette créance de restitution. Si son bénéficiaire n'est pas le donataire incorporant, l'acte authentique permettra de conférer date certaine à ce transfert de créance, à supposer que les dispositions de l'article 1323 du Code civil, dédiées aux cessions de créances, puissent être transposées aumutuus dissensusdégradé de l'incorporation. 16 - Incorporation et accessoires de la chose donnée. – La subrogation ne constitue pas le seul motif de complexification de l'incorporation. Si l'article 1078-1 du Code civil vise expressément l'incorporation des emplois et remplois de biens donnés puis aliénés, il ne fait pas cas de la situation dans laquelle le bien originaire appartient toujours au donataire au jour de l'incorporation. Dans quelle mesure les modifications matérielles, juridiques ou économiques affectant les biens depuis la donation initiale doivent-elles être considérées au titre de l'incorporation ? La diversité des hypothèses invite le juriste à une appréciation in concreto, inspirée du régime juridique du rapport successoral. L'article 860, alinéa 1er du Code civil enseigne que « Le rapport est dû de la valeur du bien donné à l’époque du partage, d’après son état à l’époque de la donation ». La règle ainsi posée assure le respect du principe de l’égalité du partage. Le rapport figurant dans la masse à partager et représentatif de la valeur, à l’époque du partage, du bien donné, produit économiquement le même effet que si c’était le bien lui-même qui se trouvait inclus dans ladite masse, par le biais de l’autre modalité du rapport qu’est le rapport en nature, ou encore, que s’il n’avait pas été donné20. Le rapport repose sur le mécanisme de la dette de valeur. L'application de ces principes à l'incorporation appelle principalement deux observations. 17 - Les fruits du bien donné. –L'article 856, alinéa 2 du Code civil enseigne que« Les fruits des choses sujettes à rapport sont dus à compter du jour de l’ouverture de la succession ». Le recours par analogie à cet article dispense le donataire incorporant du rapport de ses fruits. En effet, le décès du donateur n'étant pas intervenu, le donataire ne doit pas les fruits des choses sujettes à incorporation. Ce constat s'impose avec force lorsque 16. Cass.1re civ., 2 juin 1993, n° 91-16.370, Baylet, B. : D. 1993, p. 613, note D. R. Martin ; JCP G 1994, II, 22206, note J.-P. Couturier ; RTD civ. 1994, p. 147, obs. J. Patarin ; Dr. sociétés 1994, n° 17, obs. H. Hovasse. – V. encore : Cass. 1re civ., 7 juin 2006, n° 04-10.616, B. 17. Cass. 1re civ., 12 nov. 1998, n° 96-18.041, B. : D. 1999, p. 167, note L. Aynès, et 633, note D. Fiorina ; JCP G 1999, II, 10027, note S. Piedelièvre ; JCP E 1999, p. 426, note F. Rouxel ; JCP N 1999, p. 351, note H. Hovasse ; RTD civ. 1999, p. 422, obs. F. Zénati, et 674, obs. J. Patarin. – Cass. 1re civ., 3 déc. 2002, n° 00-17.870 : JCP G 2003, II, 10158, note S. Piedelièvre ; RTD civ. 2003, p. 118, obs. T. Revet. – Cass. 1re civ., 16 juin 2011, n° 10-17.898 : JCP G 2012, chron. 505, n° 1, obs. F. Deboissy et G. Wicker ; RTD civ. 2011, p. 571, obs. T. Revet. 18. Suivant ce texte, la libéralité graduelle qui soumet le donataire ou légataire de premier rang à la charge de « conserver les biens ou droits qui en sont l'objet et de les transmettre, à son décès, à un second gratifié, désigné dans l'acte » (C. civ., art. 1048), « lorsqu'elle porte sur des valeurs mobilières... produit également son effet, en cas d'aliénation, sur les valeurs mobilières qui y ont été subrogées ». 19. Ces derniers exposent que : « L'usufruit d'un tel portefeuille s'apparente à certains égards à un quasi-usufruit : à défaut d'être consomptibles, ce que l'arrêt prend soin de relever, les valeurs mobilières qui y sont inscrites deviennent fongibles. Il s'en distingue de manière significative par l'obligation, clairement rappelée par la haute juridiction de conservation de la substance, ce qui interdit à l'usufruitier l'aliénation ou la liquidation du portefeuille et lui impose positivement une obligation de remploi. Les actes d'aliénation permis à l'usufruitier ne le sont, en d'autres termes, que s'ils participent d'une gestion normale du portefeuille, celui-ci devant être restitué comme tel à l'expiration de l'usufruit » – Terré et Simler, Les biens : Dalloz, coll. Précis, 10e éd., 2018, n° 813. 20. M. Grimaldi, Droit des successions : LexisNexis, 8e éd., 2020, n° 756. 28 © LEXISNEXISSA - ACTES PRATIQUES & STRATÉGIE PATRIMONIALE - N° 3 - JUILLET-AOÛT-SEPTEMBRE 2023 Dossier
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