Mais cet argument de texte ne parvient pas à convaincre. On relèvera en effet que la loi valide expressément un cas particulier d'incorporation partielle : celui de l'incorporation d'un lot d'une précédente donation-partage transgénérationnelle dans une nouvelle donation-partage réalisée par l'enfant renonçant (C. civ. art. 1078-10). Rien ne s'oppose en conséquence à ce qu'il soit procédé à l'incorporation d'une partie seulement des lots si telle est la volonté du donateur et des donataires-copartagés 10. Lamasse à partager d'une donation-partage incorporative est en conséquence susceptible d'accueillir les incorporations partielles d'un ou plusieurs biens déterminés constitutifs d'un précédent lot, mais également celles d'une fraction, indivise et/ou démembrée, d'un lot d'une donation antérieure. 8 - L'incorporation partielle d'une quote-part indivise d'une libéralité antérieure pourrait ainsi théoriquement se concevoir, bien qu'inefficace pour assurer la fixité des valeurs au regard du principe désormais acquis de la disqualification de pareille donation-partage en donation simple11. De surcroît, il est délicat d’admettre qu’un donataire puisse incorporer, non pas seulement une fraction matérielle divise de ce qu’il a précédemment reçu (par exemple un nombre déterminé de parts sociales ou d'actions), mais une fraction indivise du ou des biens antérieurement donnés. Une telle incorporation partielle ne restituerait pas juridiquement (même en partie) le droit (la propriété ou nue-propriété) objet de la donation initiale, mais un droit de nature différente (la quote-part indivise) qui n’a jamais appartenu en tant que tel au donateur (et au donataire). Ce raisonnement n'est toutefois pas transposable à l’incorporation en démembrement, car dans ce dernier cas, existent des droits juridiquement différents (nue-propriété et usufruit). 9 - L'incorporation par démembrement d'une libéralité antérieure a été accueillie par la pratique. Bien souvent, le donataire originaire consent à la donation-partage nouvelle tout en exprimant le souhait de conserver le bénéfice d'un usufruit sur les biens qui seraient incorporés à la donation-partage. Pour obtenir ce résultat, il est alors envisagé que ce donataire incorpore en nue-propriété à la donation-partage, les dispositions concernées, reçues précédemment en toute propriété ou sous le seul usufruit réservé par le donateur initial, moyennant la création sur sa tête d'un usufruit constituéper retentionem. Cette possibilité est souvent enseignée en doctrine12. 10 - Du moment que la loi ne l'interdit pas, que la théorie juridique ne s'y oppose apparemment pas et qu'il n'en résulte aucune atteinte aux droits acquis par des tiers, il est donc possible de constituer un usufruit par l'effet d'une limitation volontaire de la réincorporation d'une libéralité reçue en propriété dans une donation-partage. De la sorte, chaque donataire originaire se voit reconnaître la possibilité d'incorporer en nue-propriété à la donation-partage projetée, en s'en réservant l'usufruit sa vie durant, l'objet de dispositions à titre gratuit précédemment reçues de son ascendant, y compris sous son propre usufruit, le cas échéant, puisqu'il est permis de constituer un usufruit successif sur sa propre tête, comme sur celle d'autrui 13. Par analogie, se conçoit la faculté pour le donataire originaire de limiter son incorporation à un usufruit temporaire ou viager 14, et même successif. 11 - Il appert que l'incorporation est ainsi susceptible de bouleverser la planification successorale préétablie. Le juriste s'en inspirera avec mesure et délicatesse, compte tenu des conséquences liquidatives de cette technique15. Ainsi, lorsque la libéralité incorporée est une donation-partage, cette dernière sera réévaluée à la date de la donation nouvelle, perdant le bénéfice primaire du gel des valeurs (sauf clause de report conventionnel prévue par les parties). De surcroît, il sera fait application de l’article 923 du Code civil régissant l'ordre d'imputation des libéralités, de sorte que la donation originelle perdra son antériorité pour prendre rang à la date à laquelle elle a été incorporée. La menace de réduction pourra toutefois être conjurée, si le contexte familial l'autorise, par recours aux dispositions des articles 929 et suivants du Code civil régissant la renonciation anticipée à agir en réduction. Aussi, dans la succession du donateur originaire, l'incorporation d'une donation-partage passée par une libéralité nouvelle ne rétroagira pas à la date à laquelle elle a été initialement consentie. Il s'en déduit qu'une incorporation partielle d'une donation antérieure ouvrira le champ d'un double exercice liquidatif, aux termes duquel seront distinguées la fraction non incorporée et celle qui l'aura été. B. - L'incorporation à l'épreuve de l'évolution du bien originairement donné 12 - La concrétisation de l'incorporation se heurte parfois à des considérations pratiques inhérentes au bien donné. Tantôt ce dernier ne figurera plus dans le patrimoine du donataire, tantôt il appartiendra toujours au donataire originaire mais aura connu depuis des évolutions matérielles, juridiques, économiques susceptibles d'affecter le périmètre de l'incorporation. 13 - Incorporation et subrogation de valeurs mobilières. –La mise en œuvre de l'incorporation requiert parfois un exercice préalable de reconstitution des emplois et remplois dont le bien originairement donné a fait l'objet. Ce travail est délicat lorsque les maillons de la chaîne des subrogations se sont effacés avec le temps, tout comme la mémoire des opérations qui sont menées par les gratifiés. L'acte authentique et sa force probante présenteront un atout indéniable pour archiver les pièces justificatives des diverses subrogations intervenues. Ce constat s'impose d'autant plus lorsque des meubles incorporels, souvent fongibles, intègrent cette chaîne. Bien que les exemples étayant 10. En ce sens : Comité de consultation du CRIDON de Paris du 24 mai 1994. – V. également D. Épailly, préc., p. 239, n° 484. – M. Grimaldi et R. Gentilhomme, Rendre transgénérationnelle une donation-partage antérieure : Defrénois, 2011, spéc. n° 5. 11. Cass. 1re civ., 6 mars 2013, n° 11-21.892 : JurisData n° 2013-003727. –Cass. 1re civ., 20 nov. 2013, n° 12-25.681 : JurisData n° 2013-026113. 12. M. Grimaldi, Droit patrimonial de la famille, 2021-2022, n° 411.187. – Fr. Sauvage, La donation-partage transgénérationnelle dans tous ses états : Bull. Cridon Paris, 1-15 déc. 2011, p. 248. – E. Naudin et M. Iwanesko, La donation transgénérationnelle : une alternative à la donation par le nu-propriétaire de la nue-propriété : JCP N 2012, 1390. – S. Gaudemet et T. Semere, art. préc., n° 17 ; R. Gentilhomme, Donation-partage transgénérationnelle et usufruit successif, Defrénois 2015, p. 496. – Fr. Fruleux, Régime fiscal des réincorporations transgénérationnelles. Des commentaires administratifs contrastés : JCP N 2012, 1151. – C. Delory, Donation-partage transgénérationnelle. Réincorporation en nue-propriété des biens donnés à la génération intermédiaire... : Rev. cridon Nord-Est, 14 avr. 2015. – D. Epaily (dir.), préc., n° 459. 13. Sur la question : S. Durand, L'usufruit successif, préf. R. Cabrillac : Defrénois, 2006. 14. Sur quelle tête le caractère de l'usufruit viager s'apprécierait-il en pareille hypothèse ? Sur celle du donataire incorporant ou celle du bénéficiaire de l'incorporation ? La qualification de mutuus dissensus dégradé appliquée à l'incorporation en nature de ce droit réel éphémère ne semble pas devoir contrevenir au principe de l'extinction de l'usufruit au décès du donataire incorporant. En effet, bien que ce dernier n'ait pas la qualité de donateur à l'égard du bénéficiaire de l'incorporation, devrait alors être appliquée par analogie la jurisprudence récente de la Cour de cassation (Cass. 1re civ., 5 janv. 2023, n° 21-13.966, FS-B) rappelant que l'usufruit s'éteint en par la mort de celui sur la tête de qui il a été constitué et non au décès de celui auquel il a été transféré. 15. Les incidences liquidatives de l'incorporation sont plus amplement étudiées ultérieurement V. infra partie 3 : Le traitement liquidatif des donationspartages. 27 ACTES PRATIQUES & STRATÉGIE PATRIMONIALE - N° 3 - JUILLET-AOÛT-SEPTEMBRE 2023 - © LEXISNEXISSA Dossier
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