4 - L'incorporation corrige les éventuelles fragilités juridiques de donations antérieurement consenties. Les quelques exemples qui suivent, inspirés de la pratique, en témoignent : ‰ l'incorporation permet d'allotir a posteriori un enfant qui n'était pas conçu au moment où son ascendant consentait ses premières libéralités ; ‰ les dons manuels de somme d'argent ou signés avec pacte adjoint sous seing-privé, lesquels sont légion en matière de transmissions de titres sociaux, deviennent éligibles au principe de fixité des valeurs de l'article 1078 du Code civil lorsqu'ils sont incorporés 5 ; ‰ il est conseillé d'incorporer des dons non révélés pour éteindre les risques tant civils d'une revendication future sur le fondement du recel successoral que fiscaux d'une mutation à titre gratuit non déclarée à l'administration fiscale (CGI, art. 784) ; ‰les libéralités en avancement de parts incorporées dans une donation-partage cessent par le fait même d'être rapportables à la succession du disposant ; ‰ la Cour de cassation a requalifié les « donations-partages » ayant pour objet des biens indivis en donations simples : l'incorporation de cette libéralité disqualifiée permet alors la réunion des quotes-parts indivises sur la tête d'un seul donataire, favorisant ainsi la sortie de l'indivision moyennant soulte et assurant enfin le gel des valeurs des divers lots 6 ; ‰l'incorporation répond aux objectifs de l'héritier sans descendance qui souhaite que la donation qu'il a préalablement reçue soit grevée d'une charge résiduelle au profit de ses collatéraux privilégiés qui pourront le cas échéant bénéficier du régime d'imputation des droits de mutation à titre gratuit de l'article 784 CduCGI ; ‰inversement, l'incorporation peut porter sur des dispositions résiduelles et les transformer en attributions pures et simples. Car la donation résiduelle consiste en une variété de libéralité avec charge au profit d'un tiers(en l'occurrence, le gratifié de second rang, C. civ., art. 1058). Son incorporation à une donationpartage est donc susceptible de s'accompagner de l'anéantissement de cette charge par l'effet de la révocation volontaire qu'elle implique, la disposition incorporée subsistant pour le surplus par l'effet de la réattribution de son objet dans le cadre de la donation-partage incorporative ; ‰le mécanisme de l'incorporation s'apprécie en considération du régime matrimonial du donateur. Il en est ainsi lorsqu'a été consentie une donation antérieure de biens personnels par une personne mariée sous un régime matrimonial séparatiste, lequel a changé dans l'intervalle de régime à la faveur d'une communauté universelle. L'ouverture de sa succession rendra la libéralité réductible, faute de biens existants. L'incorporation, qualifiéedemutuus dissensus dégradé, réalisant une révocation de la donation originaire, il s'ensuit que celle-ci transite« un instant deraison»par le patrimoine du disposant désormais marié sous un régime de communauté universelle. La donation-partage nouvelle pourra donc être conjonctive et déclarée imputable dans la succession du survivant des époux, limitant la réduction de la libéralité d'origine. 5 - Lorsque le gratifié originaire y consent, le changement de bénéficiaire est l'une des vertus majeures de l'incorporation, laquelle favorise la redistribution des biens donnés, horizontale (par donation-partage classique, au profit d'héritiers de même degré que le premier gratifié), verticale (par donation-partage transgénérationnelle, au profit de descendants de la souche du donataire originaire) ou collatérale (par donation-partage transgénérationnelle au profit d'autres souches). Cette possibilité doit être tenue pour impliquée dans les donations-partages transgénérationnelles par le renvoi que l'article 1078-7 fait à l'article 1078-1 du Code civil. Certes, ce texte vise seulement les donations que les gratifiés eux-mêmes ont pu recevoir du disposant. Mais la logique de la donationpartage transgénérationnelle conduit à admettre que, du consentement de toutes les parties, l'incorporation puisse porter sur des donations faites à celui qui s'efface au profit de ses enfants. Car toute l'économie de cette libéralité-partage consiste à considérer la souche dont le copartagé est issu plutôt que sa personne (C. civ., art. 1078-6 et 1078-8.). Par conséquent, il entre dans sa logique que les donations précédemment faites à un enfant puissent y être incorporées au bénéfice de ses propres descendants ou de certains d'entre eux afin de constituer leur allotissement. Aussi bien, la solution est acquise sur le terrain fiscal (CGI, art. 776 A)et elle est regardée comme solution de droit positif sur le terrain civil par une doctrine unanime7, ce qui fait d'ailleurs l'un des principaux intérêts du mécanisme8. Partant, on doit admettre que l'incorporation dans une donation-partage transgénérationnelle peut s'accompagner aussi de la réattribution de tout ou partie de son objet à une autre souche que celle initialement gratifiée. En effet, dans la mesure où, dans une donation-partage ordinaire, le bien antérieurement reçu par un copartagé peut être attribué à un autre copartagé à la faveur de son incorporation, il doit être admis par identité de raison que, dans une donation-partage transgénérationnelle, l'incorporation de la disposition à titre gratuit précédemment reçue par un enfant ou descendant du disposant peut s'accompagner pareillement de sa retransmission à un bénéficiaire choisi dans une autre souche9. Cette liberté de répartition retrouvée par le donateur originaire, favorable à l'attribution de donations passées à d'autres souches, est toutefois encadrée par un droit fiscal strict qui réserve le régime de faveur aux incorporations bénéficiant au « descendant du premier donataire » (CGI, art. 776 A, al. 2 et 3). 2. Le périmètre de l'incorporation 6 - La pertinence du mécanisme de l'incorporation s'apprécie également à la mesure de ses effets juridiques. Sa fonction répartitrice s'exprimera avec nuances, selon le champ d'application que les parties lui conféreront. Loin de porter systématiquement sur l'intégralité des biens antérieurement donnés, l'incorporation partielle (A) est ainsi une figure admise des donations-partages incorporatives. Le périmètre de l'incorporation est en outre modelé par les évolutions matérielles ou juridiques dont le bien antérieurement donné a le cas échéant fait l'objet (B). A. - Les incorporations partielles 7 - La lecture littérale de l'article 1078-1 du Code civil porte à croire que l'incorporation ne peut concerner que l'entière donation antérieure, et notamment l'intégralité des lots d'une précédente donation-partage. 5. Est alors retenue la valeur des biens fixée au jour du nouvel acte (C. civ., art. 1078-1). 6. Cass. 1re civ., 6 mars 2013, n° 11-21.892 : JurisData n° 2013-003727. –Cass. 1re civ., 20 nov. 2013, n° 12-25.681 : JurisData n° 2013-026113. 7. Par ex. Terré, Lequette et Gaudemet, préc., n° 1262. – M. Grimaldi, Droit patrimonial de la famille, n° 411.187. – Malaurie et Brenner, préc., n° 832. 8. R. Gentilhomme, Vive la réincorporation à la masse d'une donation-partage transgénérationnelle : Defrénois, 2011, p. 153. – M. Grimaldi et R. Gentilhomme, Rendre transgénérationnelle une donation-partage antérieure, Defrénois, 2011, p. 1344. – A. Bouquemont, De l'utilité des réincorporations transgénérationnelles : JCP N 2014, 1214. 9. Par ex. M. Grimaldi et R. Gentilhomme, art. préc., n° 3. – S. Gaudemet et T. Semere, art. préc., n° 16. 26 © LEXISNEXISSA - ACTES PRATIQUES & STRATÉGIE PATRIMONIALE - N° 3 - JUILLET-AOÛT-SEPTEMBRE 2023 Dossier
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