Actes Pratiques et Stratégie Patrimoniales

PARTIE 2 : LE MÉCANISME DE L'INCORPORATION 21 Donation-partage : la nature de l'incorporation Julien LAUTER, notaire associé - Rochelois Paris, chargé d'enseignements auprès des universités Jean Moulin Lyon 3 et Paris 1 Panthéon-Sorbonne et Flore BERNARD, notaire salarié - Rochelois Paris 1. - L'IDENTIFICATION : OPÉRATION DE PARTAGE ET MUTUUS DISSENSUSDÉGRADÉ 2. - L'OBJET DE L'INCORPORATION A. - Propos relatifs aux « donations antérieures incorporées » B. - Propos relatifs aux « biens antérieurement donnés et incorporés » L'incorporation, mécanisme juridique sui generis principalement régi par les articles 1078-1 à 1078-3 du Code civil, ouvre les voies de l'ingénierie patrimoniale, dans un écosystème juridique de droit de la famille empreint de règles impératives. Elle favorise en effet une pratique inventive qui contemple le passé des libéralités consenties au sein du cercle familial afin de modeler une construction juridique familiale sécurisée. La compréhension de la nature de l'incorporation par la présente étude précédera la déclinaison des intérêts multiples que représente ce mécanisme1. De la qualification d'un mécanisme juridique dépend son régime, tant au regard du droit civil que du droit fiscal. L'incorporation ne déroge pas à ce principe. L'identification et la compréhension de son objet témoignent de la richesse de l'incorporation. 1. L'identification : opération de partageet mutuus dissensusdégradé 1 - La possibilité d'incorporer dans les donations-partages ordinaires et transgénérationnelles des donations antérieurement consenties par le disposant est organisée aux articles 1078-1 à 1078-3 et 1078-7 du Code civil. Du premier de ces textes, il résulte que« le lot de certains gratifiés pourra être formé, en totalité ou en partie des donations, soit rapportables soit faites hors part déjà reçues par eux du disposant, eu égard éventuellement aux emplois et remplois qu'ils auront pu faire dans l'intervalle » ; du dernier que« les donations-partages faites à des descendants de degrés différents », qu'il est d'usage de qualifier de donationspartages transgénérationnelles, « peuvent comporter les conventions prévues par les articles 1078-1 à 1078-3 ». 2 - Il a été d'abord proposé de voir dans la technique de l'incorporation l'expression d'un rapport en nature2. Mais il a été justement objecté qu'elle peut concerner des dispositions faites hors part et que le rapport, en tant que tel, n'est jamais dû qu'à une succession tandis que l'analyse de la donation-partage en une pré-succession est désormais exclue3. Aussi a-t-il été soutenu, dans une seconde opinion, que l'incorporation réaliserait une novation par changement de cause de la donation incorporée à la donation-partage4. Mais cette qualification assimile abusivement la donation à une obligation alors que, par hypothèse, celle-ci a déjà été exécutée par l'effet de la délivrance. C'est pourquoi l'on y voit aujourd'hui plus souvent une espèce de mutuus dissensus 5, autrement dit une révocation conventionnelle des dispositions à titre gratuit qui en sont l'objet. Toutefois cemutuus dissensusserait «dégradé »en ce sens que l'incorporation ne consiste pas en une révocation pure et simple des dispositions à titre gratuit qui en sont l'objet, celles-ci étant corrélativement intégrées à la donation-partage« incorporative » : il y a révocation conventionnelle de la donation ou des donations Ndlr : L'auteur remercie le professeur Claude Brenner pour leurs échanges sur le sujet qui ont nourri les propos qui suivent. 1. Actes prat. strat. patrimoniale 2023, n° 3, dossier 22. 2. V. avec d'importantes nuances : P. Catala, La réforme des liquidations successorale : éd. Defrénois, 3e éd., 1984, n° 127, p. 298-299. – Adde, F. Terré, Lequette et Gaudemet, Les successions. Les libéralités : Dalloz, coll. Précis, 4e éd., 2014, n° 1262. 3. M. Grimaldi, Libéralités. Partages d'ascendants : Litec, 2000, n° 1776 ; La nature juridique et les enjeux de l'incorporation : Defrénois, 2016, p. 991, n° 7. 4. B. Vareille, Volonté, rapport et réduction : Pulim, 1988, n° 333. – V. dans l'hypothèse où l'incorporation ne s'accompagne pas d'un changement d'attributaire : M. Grimaldi, préc., n° 1776. 5. V. J. Patarin, Rép. civ. Dalloz, v° Partage d'ascendant, 1975, n° 93, cité par F. Terré, Y. Lequette et S. Gaudemet, préc. – Adde, retenant la qualification de mutuus dissensus dans l'hypothèse d'un changement d'attributaire des biens précédemment donnés et incorporés à la donation-partage, ce qui correspond à l'hypothèse présente : M. Grimaldi, Libéralités. Partages d'ascendants, préc., n° 1776, et art. préc., n° 8-9. – S. Gaudemet et T. Semere, L'incorporation des donations antérieures : Defrénois, 2014, 366, n° 13. 23 ACTES PRATIQUES & STRATÉGIE PATRIMONIALE - N° 3 - JUILLET-AOÛT-SEPTEMBRE 2023 - © LEXISNEXISSA Dossier

RkJQdWJsaXNoZXIy MTQxNjY=