La question de la validité d'une donation-partage consentie au moyen de plusieurs dons manuels assortis d'un pacte adjoint a fait couler beaucoup d'encre. Des cabinets d'avocats de renom ont développé ces dernières années une pratique habituelle de transmission d'entreprises en recourant à cette technique. S'agit-il pour autant d'une donation-partage assortie de ses effets liquidatifs spécifiques (absence de rapport et fixité des valeurs) : la réponse est négative. Les dons manuels, mêmes s'ils ne répondent pas aux exigences de l'article 931 du Code civil, sont valables. Ils peuvent être assortis d'un pacte adjoint contenant diverses conditions particulières voulues par les parties (réserve d'usufruit, dispense de rapport ...). La licéité de ces pactes n’est plus contestée, mais par une série de trois arrêts rendus le 3 janvier 20065 et le 6 février 20076 la Cour de cassation exige la forme authentique pour assurer à la donation-partage sa pleine efficacité juridique : « la donation-partage doit être passée devant notaire, à peine de nullité »(et non résulter comme dans cette espèce d'un accord sous signature privée). L'arrêt du 6 février 2007 précise que « la donation-partage qui réalise la volonté répartitrice de toutes les parties ne peut résulter, sous réserve de l'alinéa 2 de l'article 1076 du Code civil, que d'un acte authentique prenant en compte la totalité des biens donnés »(et non de plusieurs donations successives comme dans l'espèce soumise à la Cour) 7. 15 - L'état estimatif des meubles. –L'acte de donation-partage qui porte sur des biens meubles corporels, doit comporter, à peine de nullité, un état estimatif signé du donateur et du donataire, ou de ceux qui acceptent pour lui (C. civ., art. 948). 2° Les causes de révocation 16 - Sans être affectée de nullité, la donation-partage peut parfois être remise en cause dans certaines situations ou circonstances. 17 - La révocation pour inexécution des charges. –Il s'agit ici de sanctionner le donataire qui ne respecte pas les conditions imposées par le donateur dans son intérêt ou celui d'un tiers : nous citerons à titre d'exemple le refus de respecter la réserve d'usufruit (le donataire empêche le donateur de jouir des biens), d'exécuter une obligation de soins, ou une obligation d'emploi des sommes données. Attention : La constatation de l'inexécution d'une charge et le prononcé de la révocation nécessitent une action judiciaire. Conseil pratique : L'efficacité des clauses d'emploi des sommes données est souvent difficile à garantir, a fortiori une fois que les fonds sont remis au donataire. Lorsque la clause impose l'emploi dans une acquisition immobilière, il convient par précaution de régulariser la donation concomitamment à l'acte d'acquisition puisque les fonds demeureront alors en la comptabilité, le notaire étant garant du respect de l'obligation d'emploi. 18 - La révocation pour ingratitude. –Prévue à l'article 955 du Code civil, l'ingratitude se caractérise par le fait pour le donataire d'attenter à la vie du donateur, ou de se rendre coupable envers lui de sévices, délits ou injures graves, ou enfin de lui refuser des aliments. Cette cause de révocation ne saurait être appliquée de plein droit et doit nécessairement être prononcée en justice(C. civ., art. 960). 19 - La clause de droit de retour conventionnel. –Ledroitde retour conventionnel envisage l'hypothèse où l'ordre naturel des décès n'est pas respecté, le donataire disparaissant avant le donateur. Le donateur peut souhaiter que les biens qu'il a donnés ne soient pas transmis aux héritiers ou légataires du donataire, a fortiori si lesdits biens sont d'origine familiale. La clause de retour peut être rédigée de manière plus ou moins stricte en fonction de la volonté du donateur : déclenchement en cas du seul décès du donataire ou uniquement si le donataire décède sans laisser de descendant (soit qu'il n'en ait pas, soit que ceux-ci soient décédés avec lui), limitation aux seuls biens donnés ou extension aux biens subrogés... Conseil pratique : Lorsque le droit de retour est motivé par la volonté d'éviter que des héritiers éloignés ou étrangers à la famille profitent des biens donnés en cas de prédécès du donataire (car ce dernier n'a pas encore d'enfant par exemple), il est possible que le droit de retour soit optionnel, le donateur se réservant alors la faculté de l'exercer ou non. Dans ce cas, et pour éviter toute situation de blocage ou d'incertitude, il est recommandé d'encadrer l'exercice de ce choix en prévoyant les modalités selon lesquelles le donateur devra faire connaître sa décision, en imposant un délai et en prévoyant un choix par défaut. 20 - Cas des clauses pouvant contenir un pacte sur succession future.–La donation-partage est un pacte sur succession future autorisé. Pour autant, la dérogation à ce principe fondateur de l'ordre public familial français ne saurait s'étendre à l'ensemble des clauses de l'acte de donation. Les exemples qui suivent étayent les limites que les praticiens se doivent de respecter à ce titre. 21 - La clause pénale. –La clause pénale est celle aux termes de laquelle une partie s'engage en cas d'inexécution de son obligation principale, à verser à l'autre, à titre de dommages et intérêts, une somme forfaitaire. Appliquée à la donation-partage, quand bien même elle ne révoque pas la libéralité originelle, la clause pénale peut limiter l'émolument du donataire. Le donateur déclare en effet (i) réduire les droits du donataire qui contesterait l'acte à sa réserve héréditaire et (ii) faire donation hors part successorale aux autres donataires de la part dont il est ainsi privé. Le donateur veut ici assurer la stabilité de l'acte et garantir la répartition des biens qu'il a organisée. Pour être valide, cette clause expresse doit : ‰respecter l'ordre public successoral et notamment la réserve héréditaire. Il n'est pas possible d'interdire à un donataire de se prévaloir de sa réserve si elle ne lui a pas été servie8; ‰ prévoir une sanction délimitée et proportionnelle au préjudice subi par le donataire ayant demandé l'application de la clause9 ; ‰ne pas porter une atteinte manifestement excessive à un droit fondamental, par exemple en privant un héritier de son droit (à valeur constitutionnelle) de demander le partage judiciaire 5. Cass.1re civ., 3 janv. 2006, n° 02-17.656 : Bull. civ. I, n° 3 ; JCP G 2006, IV, 1188 et 2008, I, 108, n° 9, 1er arrêt, obs. R. Le Guidec ; Dr. famille 2006, comm. 38, obs. B. Beignier ; D. 2006, p. 2073, obs. M. Nicod ; RTD civ. 2007, p. 610, obs. M. Grimaldi ; RJPF 2006-4/46. 6. Cass. 1re civ., 6 févr. 2007, n° 04-20.029 : Bull. civ. I, n° 51 ; JCP G 2007, IV, 1514 et 2008, I, 108, n° 9, 2e arrêt, obs. R. Le Guidec ; JCP N 2007, act. 233 ; D. 2007, p. 662, obs. C. Delaporte-Carré ; D. 2007, p. 2135, obs. M. Nicod ; RTD civ. 2007, p. 611, obs. M. Grimaldi ; AJ fam. 2007, p. 142, obs. F. Bicheron ; DEF 2007, art. 38651, obs. B. Gelot ; RJPF 2007-5/36, obs. J.Casey. 7. Actes prat. strat. patrimoniale 2012, n° 4, précédemment consacré au don manuel. 8. Cass. 1re civ., 10 mars 1970 : D. 1970, p. 584, note A. B. – CA Poitiers, 20 févr. 1861 : DP 1861, 2, p. 93. – Cass. 1re civ., 10 mai 1989, n° 8712.576 : JurisData n° 1989-002001 ; Bull. civ. I, n° 194 ; RTD civ. 1992, p. 807, obs. J. Patarin. – TGI Laval, 25 mai 1965 : JCP G 1966, II, 14650, note P. Voirin. 9. Cass. 1re civ., 31 mars 2021, n° 19-24.407. 16 © LEXISNEXISSA - ACTES PRATIQUES & STRATÉGIE PATRIMONIALE - N° 3 - JUILLET-AOÛT-SEPTEMBRE 2023 Dossier
RkJQdWJsaXNoZXIy MTQxNjY=