ww Les revues JurisClasseur COMITÉ SCIENTIFIQUE : Claude BRENNER, Marceau CLERMON, Jean-François DESBUQUOIS, François FRULEUX, Laurent GAYET, Stéphane JACQUIN, Jean PRIEUR, Serge ANOUCHIAN ACTES PRATIQUES STRATÉGIE PATRIMONIALE ET Droit et fiscalité du patrimoine privé et professionnel TRIMESTRIEL N° 3 JUILLET-AOÛT-SEPTEMBRE 2023 ISSN : 1956-3477 RÉDACTEUR EN CHEF : Anaïs Schouflikir-Gabriel Idée nouvelle Parts de SCI françaises et résidents fiscaux suisses : gare à l’imposition à l’impôt sur la fortune suisse ! Pauline RADOVITCH (p. 1) Le point sur ATAD 3 : résolution législative du Parlement européen sur le projet de directive contre l’utilisation abusive d’entités écrans à des fins fiscales dans l’Union européenne Pierre d’AZEMAR de FABRÈGUES et Nicolas NEZONDET (p. 57) DOSSIER La donation-partage La donation-partage est une formidable technique de planification successorale, un véritable écrin du droit de la famille qui réunit plusieurs générations à la faveur d’un acte de générosité et de protection. Elle appelle donc une réflexion sur le passé, le présent et le futur, un exercice délicat de prospection psychologique, juridique, économique et fiscale, dont le notaire a l’honneur d’être en principe le chef d’orchestre. Sous la coordination de : Julien LAUTER, notaire associé - Rochelois Paris, chargé d’enseignements auprès des universités Jean Moulin Lyon 3 et Paris 1 Panthéon-Sorbonne et Claude BRENNER, professeur à l’université de Paris 2 - Assas Avec la participation de : Frédérique ARTUS-ZEDINI, notaire salarié - Rochelois Paris Flore BERNARD, notaire salarié - Rochelois Paris Grégory DELORME, notaire salarié - Rochelois Paris Ilyasse HANSALI, notaire stagiaire - Rochelois Paris Hortense MOISDON, notaire assistant - Rochelois Paris Sophie POUGALAN-LASSAILLY, notaire salarié - Rochelois Paris Emilie PROUTEAU, notaire assistant - Rochelois Paris Caroline SIMON, notaire associé - Rochelois Paris Charlotte SIMON, notaire salarié - Rochelois Paris
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N° 2/2011 : R etraites : régimes obligatoires et épargne facultative, où en est-on ? 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N° 2/2017 : Le prélèvement à la source de l’impôt sur le revenu N° 3/2017 : Le renouveau de la gestion du patrimoine du mineur : Quels pouvoirs, quelles contraintes pour l’administrateur légal ? 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N° 2/2022 : Fiducie et libéralités N° 3/2022 : Le Trust N° 4/2022 : La rémunération du dirigeant N° 1/2023 : La gestion du patrimoine du majeur protégé N° 2/2023 : La présomption de propriété de l’article 751 du CGI
3 Parts de SCI françaises et résidents fiscaux suisses : gare à l'imposition à l'impôt sur la fortune suisse ! Pauline Radovitch, Senior Tax consultant, Mazars SA (Suisse) Dans une décision du 13 décembre 2022 (Tribunal fédéral suisse, 13 déc. 2022, arrêt 2C_365/2021), le Tribunal fédéral, la plus haute juridiction du système judiciaire suisse, a fragilisé un peu plus la situation des résidents fiscaux suisses détenant des biens immobiliers par l'intermédiaire d'une société civile immobilière (SCI) de droit français, en décidant que les parts de SCI françaises sont des valeurs mobilières susceptibles d'être soumises à l'impôt sur la fortune suisse (IF). La nature translucide de la SCI, forme juridique inconnue du droit suisse, est à l'origine de ce contentieux où les juges suisses ont dû se positionner pour qualifier les parts de SCI, soit de bien immobilier au sens de la convention de double imposition signée entre la France et la Suisse (CDI FR-CH) en regardant le bien immobilier par transparence, soit de valeur mobilière du fait de la personnalité juridique des SCI distincte de celle de ses associés. L'enjeu de la qualification était, dans l'hypothèse de la vision des SCI par transparence, de la prise en compte de la valeur des immeubles uniquement pour déterminer le taux d'imposition des autres actifs imposables à l'impôt sur la fortune suisse, soit de la prise en compte des parts de la SCI pour leur valeur vénale, dans la fortune mobilière du contribuable imposable en Suisse. En effet, selon le droit interne suisse (art. 2, al. 1 let. a et 13, al. 1 de la Loi fédérale sur l'harmonisation des impôts directs des cantons et des communes, ci-après LHID, et articles 1 let. a et 50 de la loi vaudoise du 4 juillet 2000 sur les impôts directs cantonaux, ci-après LI/VD), l'ensemble de la fortune nette des contribuables assujettis d'une manière illimitée en Suisse est soumis à l'impôt sur la fortune, à l'exception des entreprises, établissements stables et immeubles situés en dehors du canton, et a fortiori, à l'étranger (art. 6 LI/VD). Dans cette affaire, la contribuable, résidente du canton de Vaud, détenait 99 % des parts d'une SCI française, soumise à l'impôt sur le revenu, et propriétaire de deux immeubles situés en France, qui étaient évaluées à environ 1 million de francs suisses, et soutenait que l'article 6 LI/VD, qui exclut de l'assujettissement les immeubles situés hors du canton, devait être appliqué au cas d'espèce pour ne pas comprendre les parts de SCI dans sa fortune imposable. L'administration fiscale vaudoise avait relevé que les SCI étaient assimilables en droit suisse, comme en droit français, à des personnes morales dotées de la personnalité juridique et des sujets fiscaux, de sorte que les parts de SCI constituaient des valeurs mobilières imposables à l'IF. Sur cette base, elle avait ajouté la part détenue par la contribuable dans les actifs nets de la SCI à sa fortune imposable. Le Tribunal cantonal vaudois, dans un arrêt du 1er avril 2021 (CDAP - Vaud: FI.2020.0109 (vd.ch)), a estimé que, même si le droit français assimilait les parts de SCI à des immeubles, le droit interne suisse permettait également d'imposer les parts de SCI en tant que valeurs mobilières, et a examiné la CDI FR-CH afin de déterminer si la convention pouvait limiter l'imposition. Après avoir rappelé que les parts de SCI étaient traitées fiscalement comme des biens immobiliers par la législation interne française au sens de l'article 6 CDI FR-CH, le Tribunal cantonal vaudois a mené une analyse intéressante des articles 24 (qui pose les règles de principe en matière d'impôt sur la fortune) et 25 (qui pose les règles d'élimination des doubles impositions) de la CDI FR-CH en relevant que l'exemption prévue par la Suisse, en ce qui concerne les actifs immobiliers imposables en France, ne s'applique, dans les hypothèses de détention indirecte d'actifs immobiliers, qu' « après justification de ces revenus, gains en capital ou éléments de fortune en France » (art. 25 B, 1 CDI FR-CH). Ainsi, le Tribunal cantonal vaudois a souligné le fait que cette précision, introduite dans la CDI FR-CH par un avenant entré en vigueur la 1er août 1998, a vocation à clarifier le dispositif d'élimination de la double imposition dans les hypothèses, comme au cas d'espèce, de la détention indirecte d'immobilier ayant pour effet une caractérisation différente par la France, en tant qu'actif immobilier, et de la Suisse, comme actif mobilier, selon que l'on regarde ou non par transparence le bien immobilier, et doit se comprendre comme une dérogation au Modèle OCDE. Étant donné qu'au cas d'espèce, la valeur des parts était inférieure à 1,3 million d'euros, la contribuable n'avait pas été effectivement soumise à l'ISF en France. ➔Suite page 2 ACTES PRATIQUES & STRATÉGIE PATRIMONIALE - N° 3 - JUILLET-AOÛT-SEPTEMBRE 2023 - © LEXISNEXISSA 1 Idée nouvelle « Les SCI sont à manier avec précaution dans les situations transfrontalières »
Par conséquent, la contribuable ne pouvait apporter une telle justification, et a contesté l'interprétation des dispositions conventionnelles faite par le Tribunal de première instance en se fondant sur le commentaire du modèle OCDE selon lequel la limitation prévue par l'article 25 B de la CDI FR-CH ne s'appliquerait que« si aucun impôt n'est prévu dans l'État source ou si aucun impôt est perçu en raison de circonstances particulières telles que la compensation avec des pertes » (arrêt 2C_365/2021 du Tribunal fédéral, cons. 3). Le Tribunal fédéral n'a pas suivi ce raisonnement et a confirmé la décision du Tribunal cantonal vaudois en se fondant sur une précédente décision dans laquelle il avait jugé que la SCI de droit français est considérée comme une personne morale (arrêt 2C_729/2019, 7 juill. 2020, cons. 4.4) pour conclure que les parts de la SCI constituaient donc de la fortune mobilière au sens du droit suisse, non exclues du champ de l'IF par l'article 6 LI/VD. Le Tribunal Fédéral a ensuite confirmé l'analyse des dispositions de la CDI FR-CH faite par le Tribunal cantonal vaudois pour conclure que la Suisse peut récupérer le droit d'imposer, à l'impôt sur la fortune, les parts de SCI détenant des immeubles situés en France, lorsque les associés ne sont pas imposables en France à l'impôt sur la fortune immobilière (IFI). Il convient de relever que la période fiscale litigieuse était l'année 2016, et que les différentes instances ont mené leur raisonnement sur la base de la règlementation en matière d'ISF. Ce raisonnement devrait être strictement identique en matière d'IFI, avec une seule nuance qui pourrait résider dans le calcul de l'assiette imposable, dans la mesure où les règles de déduction des emprunts in fine (principal mode de financement des actifs immobiliers pour les contribuables suisses) sont plus strictes en matière d'IFI qu'en matière d'ISF et conduisent à rehausser la valeur des parts des SCI, ce qui ferait entrer les contribuables suisses dans le champ de l'IFI plus rapidement. Cette décision rappelle que les SCI sont à manier avec précaution dans les situations transfrontalières et doit conduire les investisseurs suisses à s'interroger sur le mode de détention de l'immobilier acquis en France, notamment dans les hypothèses d'investissement locatif, dès lors qu'elle laisse ouverte la question de l'interprétation en Suisse de la translucidité appliquée en France pour l'imposition des revenus et autres gains perçus par les associés suisses des SCI. © LEXISNEXISSA - ACTES PRATIQUES & STRATÉGIE PATRIMONIALE - N° 3 - JUILLET-AOÛT-SEPTEMBRE 2023 2 Idée nouvelle
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18 La donation-partage Frédérique Artus-Zedini, notaire salarié - Rochelois Paris Flore Bernard, notaire salarié - Rochelois Paris Claude Brenner, professeur à l'université Paris 2 Panthéon-Assas Grégory Delorme, notaire salarié - Rochelois Paris Ilyasse Hansali, notaire stagiaire - Rochelois Paris Julien Lauter, notaire associé - Rochelois Paris, chargé d'enseignements auprès des universités Jean Moulin Lyon 3 et Paris 1 Panthéon-Sorbonne Hortense Moisdon, notaire assistant - Rochelois Paris Sophie Pougalan-Lassailly, notaire salarié - Rochelois Paris Emilie Prouteau, notaire assistant - Rochelois Paris Caroline Simon, notaire associé - Rochelois Paris Charlotte Simon, notaire salarié - Rochelois Paris La donation-partage est une formidable technique de planification successorale, un véritable écrin du droit de la famille qui réunit plusieurs générations à la faveur d'un acte de générosité et de protection. Elle appelle donc une réflexion sur le passé, le présent et le futur, un exercice délicat de prospection psychologique, juridique, économique et fiscale, dont le notaire a l'honneur d'être en principe le chef d'orchestre. Chaque acte est unique. Il est le reflet de la diversité des familles, composées d'hommes et de femmes qui donnent et reçoivent, tous unis dans un contrat familial successoral que tolère et même encourage l'ordre public familial français. Encore prohibée dans certains États étrangers, puisque constitutive d'un pacte sur succession future, la donationpartage est devenue un instrument privilégié du droit patrimonial français. Outil aux innombrables possibilités dont l'essence reste la convention des parties, la donation-partage invite constamment les praticiens à s'interroger sur les limites de 4 © LEXISNEXISSA - ACTES PRATIQUES & STRATÉGIE PATRIMONIALE - N° 3 - JUILLET-AOÛT-SEPTEMBRE 2023 Dossier
leur liberté rédactionnelle dans un système juridique qui reste largement teinté d'impérativité. La construction d'une donation-partage doit être pensée, en particulier à l'aune de la prohibition des pactes sur succession future et de l'indisponibilité par ledecujusde la réserve héréditaire de ses descendants. Si la créativité du juriste s'arrête nécessairement là où commence l'ordre public, l'imagination des praticiens n'en est pas pour autant bridée, qui peut se nourrir de doctrines et jurisprudences savantes et accueillantes. La« liberté des libéralités », chère à Jean Carbonnier et Pierre Catala(J. Carbonnier, P. Catala, J. de Saint Affrique et G. Morin, Des Libéralités, Une offre de loi : Defrénois 2003,p.9), est un hommage à la grâce de l'affection et du désintéressement : « La liberté des libéralités, c'est encore une liberté des sentiments, une liberté de ces phénomènes psychologiques, affectifs, à tout le moins de ceux qui sont marqués du signe de la gratuité (selon unesumma divisio gratuit / onéreux), acquisition et, corrélativement, aliénation par grâce. Ce sont ces sentiments qui ont des noms plus précis : bienfaisance (le mot émerge dans le droit des contrats, à l'article 1105 du Code civil), charité (allusion aux pauvres de l'ancien article 910), piété, amour. Peutêtre la crainte sera-t-elle émise qu'une psychologie aussi subtile ne puisse déboucher sur des conséquences de droit. » Puisse le présent dossier conjurer les craintes que le juriste, comme l'homme ordinaire, peut effectivement éprouver devant l'acte de disposition à titre gratuit ; qu'à la faveur des études qui suivent, il contribue à convaincre chacun que la donation-partage est le palladium des transmissions sereines et pacifiées. Claude Brenner professeur à l'université Paris 2 Panthéon-Assas Julien Lauter notaire associé – Rochelois Paris chargé d'enseignements auprès des universités Jean Moulin Lyon 3 et Paris 1 Panthéon-Sorbonne 19 Le caractère protéiforme des donations-partages, Frédérique ARTUS-ZEDINI, et Sophie POUGALANLASSAILLY 20 La remise en cause de la donation-partage, Sophie POUGALAN-LASSAILLY, et Caroline SIMON 21 Donation-partage : la nature de l'incorporation, Julien LAUTER et Flore BERNARD 22 Les intérêts multiples de l'incorporation, Julien LAUTER et Flore BERNARD 23 L'hétérogénéité des méthodes liquidatives en donation-partage, Emilie PROUTEAU et Julien LAUTER 24 La donation-partage, assiette d'un démembrement de propriété, Emilie PROUTEAU, et Frédérique ARTUS-ZEDINI 25 Fiscalité de la donation-partage : droits de mutation à titre gratuit et droit de partage, Charlotte SIMON et Grégory DELORME et Ilyasse HANSALI 26 Donation-partage et impôts de plus-values, Julien LAUTER et Hortense MOISDON 5 ACTES PRATIQUES & STRATÉGIE PATRIMONIALE - N° 3 - JUILLET-AOÛT-SEPTEMBRE 2023 - © LEXISNEXISSA Dossier
PARTIE 1 : LA VIE DES DONATIONS-PARTAGES : DE LEUR FORMATION À LEUR EXÉCUTION 19 Le caractère protéiforme des donations-partages Frédérique ARTUS-ZEDINI, notaire salarié - Rochelois Paris et Sophie POUGALAN-LASSAILLY, notaire salarié - Rochelois Paris 1. - LA FORMATION DE LA DONATION-PARTAGE : RAPPEL DES PRINCIPES A. - Les parties B. - Les conditions et les effets 1° Les conditions 2° Les effets 3° Fiscalité 2. - LES DONATIONS-PARTAGES PARTICULIÈRES A. - Donation-partage et indivision 1° Conséquences de la disqualification 2° Solutions B. - Donation-partage cumulative 1° La dualité de la donation-partage cumulative 2° Les particularités C. - Donation-partage conjonctive au sein des familles recomposées 1° La formation de la donation-partage conjonctive 2° Le traitement liquidatif civil et fiscal La donation-partage est avant tout une donation à laquelle s'appliqueront les conditions habituelles des donations ordinaires tant dans sa formation que dans ses effets. Mais c'est une donation particulière à la fois parce que sa validité ou son efficacité sont subordonnées au respect de règles spécifiques, mais aussi parce qu'elle est l'outil de transmission privilégié dans certaines situations familiale impliquant le décès d'un ascendant (donation-partage cumulative) ou des donataires issus de lits différents (donation-partage conjonctive au sein de famille recomposées). 1. La formation de la donation-partage : rappel des principes 1 - Une donation-partage est un acte aux termes duquel une personne effectue au profit de ses présomptifs héritiers une répartition anticipée de tout ou partie des biens destinés à composer sa succession(C. civ., art. 1075 et s.). Étant effectuée du vivant du donateur, et sous son autorité, la répartition des biens entre les donataires tend à éviter les problématiques habituelles liées à l'évaluation et à l'attribution des biens lors d'une succession. A. - Les parties 2 - La qualité des parties a évolué à la suite de l'adoption de la loi n° 2006-728 du 23 juin 2006. Depuis son entrée en vigueur le1er janvier 2007, une donation-partage peut être consentie à des présomptifs héritiers, sans distinction et quel que soit leur degré de parenté, et non plus seulement en ligne directe comme initialement prévu par le Code civil de 1804, lequel visait le partage d'ascendants (C. civ., art. 1075-1). Il est de ce fait possible de consentir une donation-partage : ‰en ligne directe descendante, au profit des enfants ou petitsenfants venant en représentation ; ‰ en ligne directe ascendante, à défaut de descendants, et de conjoint, s'agissant des ascendants ordinaires; ‰ en ligne collatérale, à défaut de conjoint et d'héritiers dans les ordres précédents ; ‰ au profit du conjoint en tous les cas, puisqu'il est toujours appelé à la succession par la loi. Les donations-partages à d'autres qu'aux descendants sont toutefois rares en pratique. Le premier critère repose donc sur la vocation successorale des donataires au jour de la signature de l'acte de donation. 3 - Certaines exceptions existent (donation-partage transgénérationnelle, donation d'entreprises à des tiers...) et feront l'objet de plus amples développements aux termes des études suivantes. 4 - Toutefois, il n'est pas requis que les donataires comprennent l'intégralité des présomptifs héritiers : il est rappelé que le fait qu'un des présomptifs héritiers ne figure pas parmi les donataires n'entraîne pas la nullité de l'acte de donation-partage ; toutefois, cela aura pour effet, au jour du décès du donateur, et pour les besoins de la liquidation de sa succession, d'imposer la comptabilisation de la donation-partage pour sa valeur à l'ouverture de la succession alors que l'allotissement de tous autorise à s'en tenir à la valeur des biens au jour de l'acte(C. civ., art. 1078). 6 © LEXISNEXISSA - ACTES PRATIQUES & STRATÉGIE PATRIMONIALE - N° 3 - JUILLET-AOÛT-SEPTEMBRE 2023 Dossier
Le présomptif héritier qui aurait été omis dispose donc uniquement de l'action en réduction pour atteinte à sa réserve, s'il est réservataire1. 5 - Le donateur doit avoir la capacité de donner (être sain d'esprit et disposer des pouvoirs et autorisations nécessaires au regard de son régime matrimonial notamment) à la date de la signature de l'acte de donation-partage, ou, dans le cas d'une acceptation postérieure par acte séparé, à la date de ce dernier acte. La capacité des parties sera envisagée dans l'étude suivante, au gré des causes de nullité de la donation-partage2. B. - Les conditions et les effets 1° Les conditions 6 - Laforme.–La donation-partage doit en principe (on réserve la question des dons manuels) être établie en la forme authentique, c'est-à-dire par acte notarié, conformément aux dispositions des articles 1075, alinéa 2 et 931 du Code civil, ce qui a été rappelé par la jurisprudence3. Le formalisme proprement dit sera abordé et plus amplement détaillé dans une étude ultérieure. 7 - L'acceptation. – La donation-partage et son acceptation peuvent être établies en un seul et même acte, ce qui est le cas le plus courant, mais elles peuvent également être établies en deux actes séparés. Dans ce dernier cas, l'acceptation fait l'objet d'un acte authentique ultérieur, notifié au donateur à moins que celui-ci n'intervienne à ce second acte(C. civ., art. 932). Remarque : À ne pas confondre avec la donation-partage réalisée aux termes d'un premier acte contenant uniquement la donation, mais acceptée immédiatement, et un second acte constituant le partage. 8 - L'objet. – La donation-partage doit porter sur des biens présents, c'est-à-dire des biens dont le donateur est propriétaire au jour de la donation. La donation ne peut donc pas avoir pour objet des biens à venir, que seul un testament-partage peut contenir (C. civ., art. 1076). La libéralité peut donc être constituée de biens personnels ou propres au donateur, de biens communs, ou encore de droits dont ils disposent dans une masse indivise. 9 - La donation-partage peut aussi être l'occasion de réincorporer des donations antérieures, voire, de ne porter exclusivement que sur des donations antérieures (C. civ., art. 1078-1) 4. La réincorporation peut contenir des donations simples établies par acte notarié ou par voie de dons manuels, déclarés ou non (auquel cas cela fera l'objet d'une révélation), ou bien encore d'une précédente donation-partage. Ceci permettra non seulement d'équilibrer les lots de chaque donataire en tenant compte des donations déjà reçues, mais également de procéder le cas échéant à une modification tant des attributions que du caractère de ces transmissions antérieures (notamment transformer une donation hors part successorale en donation en avancement de part successorale). 10 - Les attributions. – La donation-partage a pour but de procéder à une répartition anticipée des biens du donateur : ce dernier doit non seulement donner mais également partager ses biens, et opérer une division entre les donataires pour les allotir (C. civ., art. 1075). Ces deux modalités peuvent résulter d'un seul et même acte, ou de deux actes séparés, mais dans ce dernier cas, il est essentiel que le donateur intervienne à chacun des actes car le partage doit se faire sous son autorité. 11 - Le donateur peut constituer des lots inégaux, qu'il s'agisse d'une inégalité en nature ou d'une inégalité en valeur : l'égalité entre les donataires n'est pas d'ordre public et seule la réserve sera contrôlée lors du règlement de la succession du donateur. 12 - Les clauses usuelles et particulières. –Aux fins d'adapter la transmission aux souhaits du donateur, des conditions peuvent être stipulées à l'acte de donation-partage. Traditionnellement, le donateur peut vouloir conserver une certaine maitrise sur le patrimoine familial objet de la transmission, à travers l'insertion de clauses d'exclusion de communauté, d'obligation d'emploi ou encore d'inaliénabilité. Certaines stipulations nécessitent toutefois d'être reconsidérées ou du moins explicitées, eu égard à leur portée5. Plus spécifiquement, lorsque la donation-partage a pour objet des titres sociaux, des clauses particulières pourront être envisagées, liées notamment au caractère familial de l'entreprise6. 2° Les effets 13 - La donation-partage a pour conséquence un transfert de propriété du bien donné, immédiat et irrévocable. 14 - La donation-partage n'est pas soumise au rapport à la succession du donateur car le rapport est préalable à la constitution d'une masse à partager, or, au moyen de la donationpartage, le partage est fait. De même, elle n'est pas soumise à l'action en complément de part pour cause de lésion(C. civ., art. 1075-3). L'héritier réservataire qui ne serait pas intervenu à la donationpartage, ou qui aurait reçu un lot largement inférieur, dispose uniquement de l'action en réduction. Attention : Il faut noter que l'héritier non conçu lors de la donation dispose, sur la base des dispositions de l'article 1077-2 du Code civil, d'une action spéciale pour composer sa part héréditaire, et non uniquement sa part de réserve comme dans le cas d'un enfant n'ayant pas concouru. 15 - Le principal atout recherché de la donation-partage réside dans la fixité des valeurs. Sauf convention contraire, les biens sont évalués au jour de la donation-partage pour l'établissement de la masse de calcul de la réserve et de la quotité disponible, ainsi que pour l'imputation des libéralités (C. civ., art. 1078). Pour cela il est nécessaire : ‰ que tous les héritiers réservataires interviennent à la donation-partage afin d'y recevoir un lot (peu importe qu'il y ait ou non égalité entre les donataires) ; ‰qu'il n'y ait pas de réserve d'usufruit portant sur une somme d'argent. Dans la plupart des cas, la donation-partage offre ainsi une grande stabilité de la transmission opérée et une pérennité de l'égalité et des allotissements constatés, qui ne pourront être remis en cause. 1. Cass.1re civ., 4 nov. 1981 : JCP N 1982, prat. 84-31. Et Cass. 1re civ., 16 juill. 1997 : Bull. civ. I, n° 252 ; JCP N 1997, II, p. 1509, n° 49. 2. V. infra, La remise en cause de la donation-partage : Actes prat. strat. patrimoniale 2023, n° 3, dossier 20. 3. Not. Cass. 1re civ.,1er déc. 1999, n° 97-21.953 : JurisData n° 1999-004180 ; JCP N 2000, n° 51-52, p. 1844. 4. V. infra, La nature de l'incorporation : Actes prat. strat. patrimoniale 2023, n° 3, dossier 21, et Les intérêts multiples de l'incorporation : Actes prat. strat. patrimoniale 2023, n° 3, dossier 22. 5. M. Grimaldi et C. Vernières, De quelques clauses des donations-partages : Defrénois n° 7, p. 386. 6. A titre illustratif, un droit de préférence peut être stipulé au profit du donateur et/ou au profit des donataires si l'un d'eux décidait d'aliéner sa participation : F.-.B. Godin, La transmission de l' entreprise à titre gratuit et entre vifs dans le cercle familial : aspects civils : Actes prat. strat. patrimoniale 2023, n° 3, dossier 21. 7 ACTES PRATIQUES & STRATÉGIE PATRIMONIALE - N° 3 - JUILLET-AOÛT-SEPTEMBRE 2023 - © LEXISNEXISSA Dossier
3° Fiscalité 16 - Comme toute donation, la donation-partage est soumise aux droits de mutation à titre gratuit sur les biens donnés, selon le lien de parenté existant entre le donateur et le donataire, et après application des abattements dont peut disposer le donataire. Toutefois, la base d'imposition et l'assiette des droits de mutation à titre gratuit sont différentes selon que la donation-partage est ou non à titre pur et simple : ‰ si la donation-partage est à titre pur et simple, c'est-à-dire sans soulte, les droits de mutation sont calculés en fonction des attributions de chaque donataire : le montant peut être différent entre les donataires, notamment si certains biens bénéficient d'exonération d'assiette ; ‰si la donation-partage n'est pas à titre pur et simple (donationpartage assortie de soultes), les droits de mutation seront calculés en fonction des droits théoriques de chaque donataire. Ces questions seront traitées plus précisément dans l'étude dédiée à la fiscalité7. 2. Les donations-partages particulières A. - Donation-partage et indivision 17 - Sous réserve de respecter les conditions posées par l'article 1078 du Code civil, la donation-partage présente des avantages liquidatifs indéniables (absence de rapport, fixité des valeurs) qui garantissent la pérennité tant de la répartition des biens opérée par le donateur, que de l'égalité des lots entre les donataires. Toutefois, depuis deux arrêts rendus par la Cour de cassation en20138une exigence essentielle doit être prise en considération pour l'efficacité de l'acte : celle de procéder à des attributions divises entre les donataires. La Cour de cassation l'affirme de manière péremptoire« Il n'y a de donation-partage que dans la mesure où l'ascendant effectue une répartition matérielle des biens donnés entre ses descendants. ». À défaut, la donation-partage se verra disqualifiée en un ensemble de donations simples dont la prise en compte liquidative dans le règlement de la succession du donateur pourra avoir des conséquences à l'encontre des prévisions du donateur. Des solutions sont envisageables, à l'efficacité inégale cependant. 1° Conséquences de la disqualification 18 - Quelle configuration ?. –La donation-partage de quotesparts indivises suppose une donation-partage dans laquelle tout ou partie des biens donnés sont attribués en indivision entre tous les donataires ou certains d'entre eux seulement. L'hypothèse la plus extrême est celle d'un bien unique transmis à parts égales (ou non d'ailleurs) entre les donataires. Il s'agit ordinairement d'un bien non partageable, un bien immobilier le plus souvent ou un ensemble de biens formant une entité indivisible (un fonds de commerce, une entreprise, une exploitation agricole...). Refuser la qualification de donation-partage à l'acte a des conséquences civiles et fiscales. a) Conséquences civiles 19 - Lors du règlement de la succession du donateur, la donation-partage ainsi attaquée reste valable en tant que donation, mais doit être traitée comme une donation simple. Elle est par suite rapportable (sauf stipulation expresse de dispense de rapport) selon les règles du droit commun pour la valeur des biens donnés au jour du partage en tenant compte de leur état au jour de la donation, et sera prise en compte pour sa valeur au décès pour l'imputation et le calcul de la réserve. 20 - Quels impacts sur la liquidation ?. –Le rapport a pour but le maintien de l'égalité entre les héritiers : celui qui a déjà reçu du vivant du donateur prend une part plus faible dans les biens existants au décès pour qu'au final chaque part soit égale (sauf dispositions testamentaires éventuelles). Tant que le travail de revalorisation des biens donnés n'est pas effectué, il est impossible de savoir quelle part le donataire gratifié va prendre dans les biens existants : peut-être même devra-t-il indemniser ses cohéritiers si les biens existants sont insuffisants pour les remplir de leurs droits. Avec une donation-partage cette question ne se pose pas : la répartition des biens prévue à l'acte est acquise sans remise en cause possible. Les biens existants se partageront par principe à parts égales entre les héritiers si du moins chacun est rempli de ses droits à réserve. 21 - Pour l'imputation et le calcul de la réserve, la donation va conserver son rang et être prise en compte à sa date. Toutefois, les biens donnés devront être revalorisés à la date du décès. L'augmentation de leur valeur peut aboutir à une imputation en partie sur la quotité disponible soit de la donation elle-même, soit des donations ultérieures. La liberté testamentaire du donateur s'en trouverait affectée si la quotité disponible ne l'est plus... 22 - Étendue de la disqualification. – Alors que l'arrêt du 6 mars 2013 était rendu dans le cadre d'une donation-partage ne comprenant que des attributions indivises, l'espèce du 20 novembre 2013 concernait une donation-partage attribuant des droits indivis à seulement deux donataires sur trois le dernier d'entre eux recevant un lot divis. Dans cette dernière hypothèse, la question de la disqualification pourrait se poser : la donationpartage pourrait-elle subsister (avec ses attributs) pour les lots divis, seules les attributions indivises ne devant être traitées comme des donations simples ? Ce raisonnement « distributif » aboutirait à une liquidation successorale peu cohérente et artificielle entre les héritiers, voire pour un même héritier s'il était attributaire à la fois de manière divise et indivise. L'acte doit à notre sens garder son unité et être traité de manière uniforme : la disqualification sera totale. L'attendu de l'arrêt du 20 novembre 2013 semble imposer cette solution« L'acte litigieux, qui n'attribuait que des droits indivis à 2 des 3 gratifiés n'avait pu opérer un partage. ». C'est bien l'acte dans son entier qui a été disqualifié en donation simple9. 23 - Un arrêt rendu le 13 février 2019 paraît cependant admettre une disqualification partielle dans l'hypothèse d'une donation-partage contenant pour partie des attributions divises suivies d'un partage ultérieur proposé par le donateur (conformément à la possibilité offerte par l'article 1076 du Code civil) 7. V. infra Les droits de mutation à titre gratuit et le droit de partage : Actes prat. strat. patrimoniale 2023, n° 3, dossier 25. 8. Cass. 1re civ., 6 mars 2013, n° 11-21.892. – Cass. 1re civ., 20 nov. 2013, n° 12-25.681. – Sur lesquels, V. not. : JCP N 2013, n° 23, 1162 ; JCP N 2014, n° 1-2, 1002, note J.-P. Garçon ; JCP N 2013, n° 51-52, 1296, n° 3, obs. F. Fruleux et F. Sauvage ; RTD civ. 2013, p. 424, obs. M. Grimaldi ; Defrénois 30 déc. 2013, n° 24, p. 1259, note M. Grimaldi ; Defrénois 15 mai 2013, 463, note F. Sauvage ; AJ fam. 2013, p. 301, n° 5, obs. Ch. Vernières ; Defrénois 15 avr. 2014, p. 348, note M. Nicod. – Adde : M. Grimaldi, Que faire au lendemain des arrêts de mars et novembre 2013 : Defrénois, 15 avr. 2014, p. 353. – Ph. Potentier, La donation-partage à propos de deux arrêts récents de la Cour de cassation : consonances et dissonances... : JCP N 2014, n° 16-17, 1168. – P. Murat, Turbulences sur la donation-partage avec attribution de quotités indivises : le sens de la jurisprudence : JCP N 2014, n° 18, 1183. – M. Chetaille, La pratique notariale et la nouvelle position de la Cour de cassation en matière de donation-partage : JCP N 2014, n° 18, 1182. 9. C. Goldie-Genicon, Donation-Partage et indivision : JCP N n° 49, p. 34. 8 © LEXISNEXISSA - ACTES PRATIQUES & STRATÉGIE PATRIMONIALE - N° 3 - JUILLET-AOÛT-SEPTEMBRE 2023 Dossier
mais qu'un seul des donataires a accepté. La donation-partage a conservé ses qualités à l'égard de ce seul donataire, le surplus de l'acte ayant été disqualifié en donation simple. Cette solution a été vivement critiquée10 à la fois parce qu'il opère un dépeçage de l'acte peut opportun comme on l'a vu ci-dessus, mais aussi parce que la Cour de cassation affirme à l'encontre de la doctrine majoritaire qu'une donation-partage ne peut être valablement formée que par l'acceptation d'au moins deux donataires 11. 24 - Les rapports entre les donataires seront-ils bouleversés par la disqualification de l'acte ? Cela va dépendre du schéma de transmission opéré par l'acte et du devenir des biens donnés. 25 - Enjeu liquidatif. – Dans l'hypothèse d'un bien donné unique demeuré dans le patrimoine des donataires, les effets de la revalorisation seront limités puisqu'ils seront subis de manière identique par chacun. En l'absence d'autre donation, on peut même affirmer que l'impact sera inexistant entre les héritiers. Attention cependant, les conséquences sur l'imputation de la donation et l'utilisation possible de la quotité disponible demeurent et pourraient remettre en cause des dispositions testamentaires prises par le donateur au profit de son conjoint notamment. Toutefois et concernant le conjoint, rendre rapportable une libéralité qui ne l'était pas peut lui être profitable puisqu'elle vient accroître la masse de calcul de ses droits théoriques. Cela suppose toutefois d'admettre que les donations-partages ne font pas partie de cette masse de calcul 12(en tant que donation non rapportable et en application de l'article 758-5, alinéa 1 du Code civil), et la doctrine est divisée sur ce point 13. 26 - Si les biens donnés et initialement indivis entre les donataires ont été vendus la question est tout autre surtout si le prix a été réparti. En fonction de l'emploi que chaque donataire aura fait de la somme ainsi perçue, le rapport dû sera différent. En application des règles de droit commun du rapport des donations de sommes d'argent, le bénéfice des investissements réalisés par le donataire prudent profiteront indirectement à ses codonataires plus dépensiers ! Des conflits peuvent survenir à l'ouverture de la succession que la fixité des valeurs attachée à une donationpartage aurait pu éviter. b) Conséquences fiscales 27 - Le traitement fiscal de la donation-partage sera abordé de manière détaillée dans une autre étude de la présente revue. On peut cependant rappeler les principes généraux suivants. En ce qui concerne les droits de mutation à titre gratuit, la disqualification paraît sans incidence car la transmission à titre gratuit persiste, seuls les attributs civils prévus à l'article 1078 du Code civil étant remis en cause. La liquidation des droits de mutation à titre gratuit pourrait-elle être différente dans une donation-partage ou une donation simple portant sur les mêmes biens ? Cela est possible si la liquidation comprise dans la donation-partage avait été effectuée en fonction des droits théoriques car une donation simple implique nécessairement une liquidation sur la base des attributions. Toutefois, l'administration fiscale s'en tient à la qualification retenue par les parties et ne saurait la remettre en cause même en cas de donation-partage« sans division matérielle des biens »entre les donataires 14. En ce qui concerne le droit de partage et la taxation des plusvalues, on sait que ce droit n'est pas dû à l'occasion des attributions constatées d'une donation-partage, le partage étant une disposition dépendante de la donation qui ne peut donner lieu à la perception de deux droits d'enregistrement. En l'absence d'attributions divises et si le partage intervient par acte ultérieur, le droit de partage sera dû15. En cas de disqualification de l'acte en donation simple, la licitation ultérieure entre les donataires relèverait du régime des ventes et ne saurait bénéficier du droit de partage au taux de 2,50 %. La plus-value de cession serait également taxable. 2° Solutions 28 - Malgré les incertitudes issues de la jurisprudence de 2013, la donation-partage laissant tout ou partie des biens en indivision entre les donataires reste très présente dans les études. Les notaires seraient-ils ignorants du Droit positif ? Peut-être le pragmatisme préside-t-il parfois aux choix rédactionnels pour autant que les clients soient parfaitement avertis des risques (mesurés ?) qu'ils encourent. Peu de donateurs disposent d'un patrimoine composé de suffisamment de biens pour allotir divisément tous leurs enfants, ou de biens de valeurs sensiblement équivalentes, ou encore de liquidités suffisantes pour former un lot égal à celui comportant un bien immobilier. Doit-on les priver pour autant des vertus de la donation-partage ? Quelles solutions leur proposer ? a) Des solutions imparfaites 29 - Clause de rapport forfaitaire. –L'inconvénient liquidatif résidant dans le rapport de la donation et la revalorisation des biens, on pourrait songer aux clauses stipulant un rapport forfaitaire (par hypothèse à la valeur déclarée dans l'acte de donation), assortie le cas échéant d'une stipulation de préciput sur l'excédent de lot. Il n'est pas certain que le but recherché soit atteint : la donation reste rapportable (sauf pour la partie éventuellement hors part), et le travail de revalorisation n'est pas évité puisqu'il sera nécessaire d'apprécier si la différence entre la valeur forfaitaire à rapporter et la valeur du rapport tel qu'il aurait dû être fait (de la valeur des biens à la date du décès tenant compte de leur état au jour de la donation), qui constitue un avantage hors part, ne porte pas atteinte à la réserve. Cette différence va s'imputer sur la quotité disponible et limiter la liberté testamentaire du donateur, voire rendre réductible des donations ultérieures. 30 - Scinder la donation-partage en deux actes. –On pense ici par exemple à une donation-partage qui porterait à la fois sur des sommes d'argent réparties entre les donataires, et sur un bien immobilier (ou plusieurs) attribué en indivision. Pour limiter les risques liés à la disqualification possible de l'acte, on pourrait établir deux donations-partages séparées : l'une portant uniquement sur les sommes d'argent et l'autre 10. Cass.1re civ., 13 févr. 2019, n° 18-11.642 : JCP G 2019, 479, note C. Brenner ; Dr. famille 2019, comm. 108, note M. Nicod ; RTD civ. 2019, p. 386, note M. Grimaldi. 11. V. J. Patarin, Rép. civ. Dalloz, v° Partage d’ascendant, 1975, n° 97. – G. Marty et P. Raynaud, Les successions et les libéralités : Sirey, 1983, n° 89. – H., L., et J. Mazeaud, Leçons de droit civil, t. 4, 2e vol. : Montchrestien, 1999, n° 1811 à 1812. – Ph. Malaurie et L. Aynès, Droit des successions et des libéralités : LGDJ, coll. Droit civil, 8e éd., 2018, par Ph. Malaurie et Cl. Brenner, n° 1053 et 1069. 12. Donation-Partage et indivision : JCP N n° 49, p. 34. 13. Contre : P. Catala, JCl. Civil Code, Art. 756 à 767, fasc. 10, actualisé par L. Leveneur, n° 77. – C. Vernières, in Droit patrimonial de la famille (dir.) M. Grimaldi, 2021/2022, n° 232.85. – Pour : M. Grimaldi, Droits du conjoint survivant : brève analyse d'une loi transactionnelle : AJ fam. 2002, p. 48, note 20. – A. Delfosse et J.-F. Peniguel, La réforme des successions et des libéralités : Litec, 2006. – M.-C. Forgeard, R. Crône et B. Gelot, La réforme des successions, Loi du 3 décembre 2001, Commentaire et formules : Defrénois 2002, n° 17. – N. Levillain et M.-C. Forgeard, Liquidation des successions : Dalloz référence 2021/2022, n° 132.46. 14. BOI-ENR-DMTG-20-20-10, 12 sept. 2012, § 80. 15. BOI-ENR-DMTG-20-20-10, 12 sept. 2012, § 80. 9 ACTES PRATIQUES & STRATÉGIE PATRIMONIALE - N° 3 - JUILLET-AOÛT-SEPTEMBRE 2023 - © LEXISNEXISSA Dossier
portant uniquement sur les biens immobiliers. La donationpartage de sommes d'argent n'encourt aucune critique et bénéficierait du gel des valeurs et de l'absence de rapport, évitant ainsi toute discussion sur l'emploi ultérieur des sommes. Cet acte portant uniquement sur des « sommes, créances ou valeurs mobilières cotées »bénéficie en outre de l'émolument réduit du tarif. 16 Seule la « donation-partage » portant sur des biens immobiliers pourrait être remise en cause, pour autant que l'un des donataires y ait intérêt (ce qui n'est pas certain surtout si les biens sont toujours dans le patrimoine des donataires et que les lots étaient rigoureusement identiques). 31 - Cette manière de faire n'est évidemment pas sans risque. À tout le moins, une« donation-partage »laissant des biens en indivision entre les donataires devra comprendre une clause d'avertissement des parties leur rappelant l'existence de la jurisprudence actuelle de la Cour de cassation, ses conséquences liquidatives et la possibilité d'un partage ultérieur des biens donnés sous la médiation du donateur. Conseil pratique : Dans l'espèce ayant donné lieu à l'arrêt du 6 mars 2013, l'acte renfermait une clause dans laquelle le donateur imposait aux donataires de rester dans l'indivision et semblait interdire tout partage de son vivant. Or, selon une doctrine particulièrement éminente17, seul le donateur pourrait être à l'origine du partage des biens donnés puisqu'il doit nécessairement intervenir sous sa médiation sauf à être en contravention avec les dispositions de l'article 1076, alinéa 2 du Code civil 18. Prohiber cette possibilité interdirait irrémédiablement la qualification de donation-partage. Les clauses éventuellement restrictives de l'acte devront donc être rédigées avec soin pour éviter cet impair. b) Des solutions efficaces, mais onéreuses 32 - Procéder au partage dans un acte ultérieur. –Cette possibilité est expressément prévue par l'article 1076 du Code civil qui impose simplement que le donateur intervienne aux deux actes. Tant que le donateur est vivant, le partage peut intervenir et la donation-partage être« sauvée ». Cette solution techniquement possible présente cependant l'inconvénient de son coût : alors que le droit de partage n'est par principe pas dû lorsque le partage est opéré dans l'acte de donation (car il est alors une disposition dépendant de celle-ci et seuls les droits de mutation à titre gratuit doivent être liquidés), il le devient lorsqu'il intervient par acte séparé ainsi que nous l'avons dit ci-dessus. Le surcoût peut être important et dissuasif. Sur le plan liquidatif, la donation prendra rang à la date du partage (date à laquelle elle est « consolidée ») et les biens devront être évalués à cette date pour l'imputation et le calcul de la quotité disponible. 33 - Incorporation à une donation-partage ultérieure. – L'incorporation pouvant porter indifféremment sur des donations simples ou des donations-partages, il peut être envisagé de procéder ultérieurement à une nouvelle donation comprenant aussi des nouveaux biens permettant d'équilibrer les lots. Les incorporations étant soumises au droit de partage, le coût de l'acte sera très fortement majoré. 34 - Apport à société et donation des parts. –La propriété étant détenue par la société, les donataires sont propriétaires divis de parts sociales et non pas en indivision sur le bien immobilier. Le coût, notamment fiscal, de ce schéma peut être dissuasif : taxation de la plus-value latente (alors qu'elle est « gommée » par une donation), coût de la rédaction des statuts... Les éventuelles contraintes de gestion de la société sont également à considérer (tenue d'assemblées, de registres...), sans oublier les probables comptes-courants d'associés dès lors que la société n'aura aucun revenu (bien apporté non frugifère) et que les donateurs assumeront l'ensemble des dépenses (charges, impôts, travaux) voire du prêt qui peut toujours être en cours. 35 - En attendant une éventuelle réécriture des textes fiscaux, ou la création de nouveaux pactes de famille permettant l'application du gel des valeurs aux biens donnés par donations simples19, chaque praticien appréciera avec ses clients le risque potentiel des solutions ci-dessus. B. - Donation-partage cumulative 36 - La donation-partage cumulative est une donation-partage consentie par un donateur à ses descendants, aux termes de laquelle il leur impose également de partager tout ou partie des biens provenant de la succession de leur parent prédécédé. Cette formule a pour but de reconstituer une masse globale afin de pouvoir allotir les enfants et procéder à des attributions portant sur le patrimoine initial des deux parents. À ce sujet, même si c'est le cas le plus courant, il n'est pas nécessaire que les parents aient été mariés. La donation-partage cumulative peut donc intervenir entre le parent survivant et les enfants après une situation de divorce, de rupture de pacs ou concubinage. 37 - Comme dans une donation-partage conjonctive, ce type de donation-partage permet donc de partager un patrimoine entre les descendants et de constituer des lots sans considération de l'origine des biens. La donation-partage cumulative proprement dite ne figure pas dans le Code civil, mais sa validité a été confirmée par la Cour de cassation20 et est issue de la pratique notariale. 1° La dualité de la donation-partage cumulative 38 - La vocation de la donation-partage cumulative est double : ‰ d'une part, une libéralité consentie par un parent à ses enfants ; ‰d'autre part, un partage classique de succession sur les biens qui appartenaient à l'autre parent. Ces deux conventions sont indivisibles et déterminantes de la volonté et du consentement des parties : le parent survivant donne à la condition que ses enfants réunissent à la masse des biens donnés ceux précédemment reçus dans la succession du parent prédécédé. 39 - Par extension on entend par biens provenant de la succession du parent prédécédé, non seulement les biens existants au jour de son décès, mais également les biens qu'il avait donnés de son vivant en avancement de part successorale et portant sur des parts indivises, c'est-à-dire que la donation-partage cumulative peut contenir la réintégration à la masse des biens ne dépendant pas stricto sensu de la succession du conjoint. Toutefois, le point essentiel pour pouvoir effectuer cette réintégration est que la donation initiale consentie par le parent prédécédé n'ait pas procédé à une répartition divise entre les donataires, car il n'est pas possible pour cette partie de modifier les attributaires 16. Tarif des notaires, C. com., art. A. 444-67, 4°. 17. M. Grimaldi, obs. préc. sous les arrêts des 6 mars et 20 novembre 2013. 18. Cette règle vient d'être rappelée récemment par la Cour de cassation dans un arrêt en date du 12 juillet 2023 (Cass. 1re civ., 12 juillet 2023, pourvois 21-20.361 et 21-23.425) 19. 116e Congrès des notaires, Vers un assouplissement de la réserve héréditaire : JCP G 2020, 1197. 20. Cass. 1re civ., 29 mai 1980, n° 79-12.762. 10 © LEXISNEXISSA - ACTES PRATIQUES & STRATÉGIE PATRIMONIALE - N° 3 - JUILLET-AOÛT-SEPTEMBRE 2023 Dossier
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