La Semaine Juridique Notariale et Immobiliere

ÉTUDE DOSSIER 1361 Page 85 LA SEMAINE JURIDIQUE - NOTARIALE ET IMMOBILIÈRE - N° 51-52 - 24 DÉCEMBRE 2021 - © LEXISNEXIS SA La seconde, plus doctrinale, mais qui influence la jurisprudence, tend à cantonner les avantages de l’assurance-vie aux assurances vie de prévoyance. 22 - Naissance de la créance de rachat au jour de la souscription. – Le principe selon lequel la créance de rachat n’existe pas au jour de la souscription du contrat, est une des raisons de l’insaisissabi- lité de la valeur du contrat. Or, le législateur exprime depuis 2010 une solution contraire au moins dans l’article 706-155 du Code de procédure pénale, relatif à la confiscation pénale. Selon ce texte, lorsque « la saisie porte sur une créance figurant sur un contrat d’assurance sur la vie, elle entraîne la suspension des facultés de rachat, de renonciation et de nantissement de ce contrat, dans l’at- tente du jugement définitif au fond… » . Certes le texte porte sur une exception très particulièremais il contient une formule générale qui semble postuler l’existence d’une créance au jour de la souscription du contrat, et cette interprétation est confir- mée par la Cour de cassation dans plusieurs arrêts, dont certains sont étrangers au contentieux de la confiscation ou de la saisie 11 . 23 - Assurance-vie de capitalisation et assurance-vie de pré- voyance. – Cette reconnaissance par le droit de l’existence d’une créance de rachat existant ab initio se double d’une volonté expri- mée par une partie de la doctrine d’opérer une distinction entre les opérations de pure prévoyance et les opérations de placement. Pourquoi ces discussions sont-elles importantes pour ce qui nous concerne ? Eh bien, tout simplement parce que cette distinction sert à justifier un cantonnement des règles particulières du régime civil de l’assurance-vie (dispense de rapport ou de réduction, dis- pense de récompense) en les rattachant à l’idée de prévoyance 12 . Une telle distinction conduit un certain nombre d’auteurs à consi- dérer que les dispositions spéciales de l’assurance-vie doivent être réservées aux assurances vie de prévoyance. Sans doute ces propositions visent-elles essentiellement à limiter le principe de la dispense de rapport et de réduction ou le principe de dispense de récompense portée par l’article L. 132-16 du Code des assurances, mais il ne fait pas de doute que si une telle distinc- tion devait être un jour adoptée, elle produirait son effet sur tout le régime civil de l’assurance-vie et le principe de l’insaisissabilité s’en trouverait lui-même affecté dans le domaine de son application. 11 V. Cass. crim., 20 avr. 2017, n° 16-82.842 : JurisData n° 2017-007251. – Cass. com., 9 juill. 2015, n° 15-40.017, QPC. – Cass. com., 12 déc. 2018, n° 17- 20.913 : publié au Bulletin. 12 V. par exemple, A. Meiller, H. Leyrat, Pour un assujettissement de l’assurance- vie au droit des libéralités : Defrénois 5 avr. 2018, n° 133a3, p. 17, ou la thèse de C. Béguin, Les contrats d’assurance sur la vie et le droit patrimonial de la famille : Paris, I2011. 24 - Cette crainte est d’autant plus vive qu’elle a trouvé nous semble-il un écho dans un arrêt récent de la Cour de cassation rendu en matière d’exagération manifeste. Il s’agit d’un arrêt rendu par la première chambre civile de la Cour de cassation, le 16 décembre 2020 13 . En l’espèce, une personne avait souscrit pour un montant s’éle- vant, à 2 066 860,85 € 14 . Précisément, les primes furent versées, entre 1995 et 1998, alors que le souscripteur était âgé de 66 à 69 ans. À son décès survenu en août 2009, la valeur de ces primes fut évaluée à 61 %de l’actif successoral. Pour la Cour de cassation, « Après avoir relevé qu’entre 1995 et 1998, X… F… avait souscrit des contrats d’assurance sur la vie et versé des primes de 368 472,17 euros sur celui ouvert auprès de la com- pagnie Allianz vie, 457 347,05, 228 673,53, 365 877,64, 365 877,64, 76 224,51 et 60 979,61 euros sur ceux ouverts auprès de la BNP et 143 408,57 euros sur celui ouvert auprès du Crédit du Nord, alors qu’il était veuf, âgé de plus de 65 ans et disposait d’une retraite confortable de 55 000 euros, l’arrêt retient que ces placements, effec- tués principalement sous forme de prime unique pour des montants particulièrement conséquents, représentant 61 % de l’actif successo- ral, ne s’inscrivaient pas dans un projet particulier tel que le finance- ment de frais d’hébergement en maison de retraite et ne présentaient aucun intérêt personnel ni économique mais avaient pour seul but de soustraire l’essentiel de l’actif de la succession au profit d’un seul héri- tier réservataire, de sorte que la preuve du caractère manifestement exagéré des primes versées est rapportée » . 25 - Ce qui est frappant dans cet arrêt c’est la motivation de la cour d’appel qui selon la Cour de cassation satisfait les critères de l’exa- gération manifeste. Or, pour la cour d’appel, les primes sont mani- festement exagérées car leur versement n’est pas causé par la satis- faction d’un besoin primaire (le financement d’un logement adapté aux besoins de la personne). C’est un renvoi implicite à la notion de prévoyance entendue comme la satisfaction des besoins primaires. Cette notion de prévoyance nous semble très critiquable d’autant plus que le risque sous couverture ce n’est pas cela. Ce risque a une dimension purement économique que l’on pourrait définir comme une possibilité de perte de train de vie liée à la perte de revenus en raison de l’avancement en âge et à l’augmentation des charges liées aux mêmes raisons. ■ 13 Cass. 1 re civ., 16 déc. 2020, n° 19-17.517 : JurisData n° 2020-021279. 14 Voire à 3 104 887 € s’il faut en croire sa déclaration d’ISF pour l’année 2009. L’essentiel à retenir • Depuis 30 ans, le droit traite l’assurance-vie essentiellement comme une épargne constituée à partir d’un mécanisme assurantiel. • Il en résulte un renforcement de la protection du contractant ce qui le sécurise contre des pertes en valeur non acceptée. • En revanche, cette patrimonialisation érode progressivement le principe d’insaisissabilité au risque de le faire définitivement disparaître.

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