La Semaine Juridique Notariale et Immobiliere

1361 ÉTUDE DOSSIER Page 82 © LEXISNEXIS SA - LA SEMAINE JURIDIQUE - NOTARIALE ET IMMOBILIÈRE - N° 51-52 - 24 DÉCEMBRE 2021 1. La protection de la valeur du droit 5 - De prime abord, on pourrait penser que l’évolution actuelle qui conduit au déclin des fonds en euros et le développement des encours des unités de compte 2 est contraire à cet objectif de sécurisation, car l’assureur ne garantit pas la valeur des unités de comptes, seulement leur existence. Cependant, il faut affiner l’analyse. Le droit sécurise en partie l’investisseur contre la perte que le sous- cripteur n’avait pas conscience de supporter, par le mécanisme de la responsabilité civile. REMARQUE ➜ En revanche, l’investisseur doit supporter, même en cas de manquement de l’assureur à certaines obligations d’information, la perte résultant d’un risque assumé en pleine connaissance de cause. A. - L’indemnisation de la perte résultant d’un défaut de conseil 6 - L’assureur ou l’intermédiaire doivent exécuter leurs obligations d’information et de mise en garde de nature à permettre au sous- cripteur de comprendre le risque tenant au choix du contrat, à l’allocation d’actifs choisie et aux arbitrages. En cas de manquement à ces obligations, l’assureur commet une faute et le souscripteur peut être indemnisé. Le manquement aux obligations de conseils et d’information est sanctionné par la réparation de la perte d’une chance. Par exemple : « Le manquement d’un assureur ou d’un courtier à son obligation d’informer, à l’occasion d’un arbitrage, le souscrip- teur d’un contrat d’assurance-vie libellé en unités de comptes sur le risque de pertes présenté par un support d’investissement, ou à son obligation de le conseiller au regard d’un tel risque, prive ce sous- cripteur d’une chance d’éviter la réalisation de ces pertes » 3 . Cette perte d’une chance s’évalue au moment du dénouement du contrat (point de départ du délai de prescription). Parce qu’il s’agit de réparer une perte de chance, l’indemnisation n’est pas égale à la perte effectivement subie, mais à la chance de ne pas contracter ou d’arbitrer différemment. Sans doute, le préjudice réparable n’est pas la perte effectivement constatée sur le support choisi en défaut de conseil. 7 - Comment évaluer le préjudice ? « Si ces pertes ne se réalisent effectivement qu’au rachat du contrat d’assurance-vie, quand bien même le support en cause aurait fait antérieurement l’objet d’un désinvestissement, le préjudice résultant d’un tel manquement doit être évalué au regard, non de la variation de la valeur de rachat de l’ensemble du contrat, mais de la moins-value constatée sur ce 2 La part des cotisations en UC dans le total des cotisations continue à croître. Elle atteint 40 % en mai 2021 (37 % en moyenne depuis le début de l’année après 34 % en 2020). 3 Cass. com., 10 mars 2021, n° 19-16.302 : JurisData n° 19-16.302. seul support, modulée en considération du rendement que, dûment informé, le souscripteur aurait pu obtenir, jusqu’à la date du rachat du contrat, du placement des sommes initialement investies sur ce support » 4 . En d’autres termes, jusqu’au dénouement du contrat le préju- dice n’est qu’éventuel. Cependant, au moment du dénouement, lorsque les supports mal choisis ont été, par arbitrage, liquidés à perte, pour l’évaluation, il faut tenir compte de la perte supportée sur ces supports, en ce qu’elle modifie le résultat financier final que le souscripteur aurait pu obtenir en investissant dès le départ sur de meilleurs supports. C’est ce que rappelle clairement l’arrêt : « c’est à bon droit que la cour d’appel a retenu que la perte d’une chance, pour les consorts W..., d’éviter les moins-values constatées sur les unités de compte investies dans le fonds Alpha ne pouvait être compensée par les per- formances des réinvestissements effectués sur d’autres supports et qu’elle leur a alloué une somme correspondant à la moins-value enregistrée entre les décisions d’investissement et de désinvestis- sement sur le fonds en cause, augmentée du rendement qu’aurait produit un placement moins risqué, le tout affecté du coefficient de probabilité que, dûment informés, les investisseurs aient renoncé à cet investissement » . 8 - En d’autres termes, le fait que le contrat soit au dénouement en plus-value n’est pas un obstacle à l’indemnisation : car si les fonds avaient été mieux investis cette plus-value aurait plus être plus importante. C’est une position intéressante car elle isole la perte sur un support, alors que l’assurance-vie n’est pas un portefeuille de valeur, agrégant différents produits, mais une opération unique qui impose à l’assureur la couverture d’un risque. B. - L’absence d’indemnisation de la perte résultant d’une spéculation 9 - Le droit actuel fait supporter au souscripteur la perte résultant de sa propre spéculation, et ceci même en cas de manquement de l’assureur à certaines de ses obligations. Et il y a là une évolution plutôt récente : En effet, au début du XXI e siècle s’était développée une jurisprudence très favorable pour le souscripteur lui offrant la possibilité de renoncer au contrat, même des années après la sous- cription, en cas de manquement formel de la compagnie d’assu- rance à ses obligations légales d’information précontractuelle. Cette jurisprudence extrêmement favorable a été brisée en deux temps. D’abord, par la réforme opérée par la loi n° 2014-1662 du 30 décembre 2014 5 qui n’ouvrant, pour les contrats souscrits après la date d’application de la réforme (soit le 1 er janvier 2015), la fa- culté de renonciation qu’aux contractants de bonne foi. 4 Cass. com., 10 mars 2021, n° 19-16.302 : JurisData n° 19-16.302. 5 L. n° 2014-1662, 30 déc. 2014, art. 5, portant diverses dispositions d’adapta- tion de la législation au droit de l’Union européenne en matière économique et financière : JO 31 déc. 2014 ; LEDA fev r. 2015, p. 1, obs. P.-G. Marly ; Resp. civ. et assur. 2015, etude 4, n° 4, note Ph. Pierre.

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