La Semaine Juridique Notariale et Immobiliere

ÉTUDE DOSSIER 1358 Page 61 LA SEMAINE JURIDIQUE - NOTARIALE ET IMMOBILIÈRE - N° 51-52 - 24 DÉCEMBRE 2021 - © LEXISNEXIS SA famille qui nécessitait pour sa vente le consentement de l’époux non propriétaire. Cette qualification a également été appliquée au logement, bien propre du mari, dans lequel s’est installée une épouse éconduite avec ses enfants alors même que le couple ne cohabitait pas dans le logement. Seule l’affectation familiale de ce logement a motivé la décision du juge pour le qualifier de logement de la famille. La cohabitation des époux n’est donc pas indispensable pour qualifier un bien de logement de la famille, l’affectation familiale devient le critère de qualification. 11 - Lors de la séparation du couple, les circonstances semblent simples à analyser. Les futurs ex-époux ne vivent plus sous le même toit, alors pourquoi s’assurer de l’accord de l’époux, qui de surcroît n’occupe plus le logement, pour vendre le bien immo- bilier appartenant à l’autre époux ? Face à une notion dont les contours restent imprécis, le praticien doit redoubler de vigilance. Il est indéniable que le logement de la famille ne perd pas sur-le- champ cette qualité lorsqu’un époux choisit unilatéralement de le quitter, ou même lorsque la jouissance a été attribuée, à titre pro- visoire, à l’autre des époux pour la durée de l’instance en divorce. En revanche, si les deux époux abandonnent d’un commun accord l’immeuble qui abritait la famille, on devrait admettre que cela écarte de facto la qualification qu’ils lui avaient ensemble conférée. Et en la matière, les motivations qui pourraient conduire à carac- tériser l’opportunité d’une demande en divorce notamment pour rupture de la vie commune ne doivent pas être confondues avec la protection du logement de la famille énoncée à l’article 215 du Code civil. En effet, l’existence du logement familial et sa protec- tion durent tant que dure le mariage. Autrement dit, tant que le divorce n’est pas prononcé, l’article 215 du Code civil continue de s’appliquer, même dans l’hypothèse d’une séparation physique et matérielle. 12 - Immeuble concerné. – Afin d’être un peu exhaustif, et éviter toute extension abusive de cette notion, il convient de préciser que le logement de la famille ne peut être qu’un immeuble bâti 12 . Un bien en cours de construction sera donc exclu de la protection, de même que le terrain à bâtir devant accueillir la construction d’une maison d’habitation, future habitation du couple, etc. La résidence secondaire est également exclue du champ d’application de la pro- tection assignée par l’article 215 du Code civil. 2. Les mises en situation : morceaux choisis 13 - L’article 215 du Code civil vise les actes qui anéantissent ou réduisent les droits réels (ou personnels) de l’un des conjoints sur le logement de la famille 13 . L’ensemble des droits réels sont concer- 12 G. Cornu, Vocabulaire juridique, 1996 : PUF, Logement. 13 Cass. 1 re civ., 16 mai 2000, n° 98-13.441 : JurisData n° 2000-002009 ; Bull. civ. I, n° 144. nés, le droit de propriété mais également l’usufruit qu’il soit légal ou conventionnel ainsi que le droit d’habitation. Une décision unilatérale ne peut remettre en question le choix du foyer familial que ce soit à l’occasion d’un acte de disposition à titre gratuit ou celle d’un acte de disposition à titre onéreux. A. - Les actes de disposition à titre gratuit 14 - La protection appliquée aux donations. – L’article 894 du Code civil définit la donation entre vifs comme un acte entraînant une dépossession actuelle, immédiate et irrévocable du bien don- né. Il s’agit bien d’un acte de disposition. La donation d’un bien constituant le logement de la famille ne peut donc échapper aux dispositions de l’article 215 du Code civil. Le principe est d’une grande simplicité. Cependant... 15 - Les donations avec réserve d’usufruit. – La grande majorité des donations est consentie avec réserve d’usufruit au profit du donateur surtout lorsqu’il s’agit de donner le logement de la fa- mille. Dans cette hypothèse, les droits sur le logement de la famille sont-ils assurés lorsque l’époux non propriétaire n’a pas donné son consentement à la donation ? Il a fallu attendre une décision jurisprudentielle pour le confirmer 14 . La donation de la nue-pro- priété du bien propre ou personnel constituant le logement de la famille avec réserve d’usufruit au profit du donateur et réversion au profit du conjoint ne porte pas atteinte à l’article 215 du Code civil. L’absence de réversion au profit du conjoint survivant change-t- elle la solution adoptée par la décision de 2010 précitée ? La Cour de cassation a eu l’occasion de se prononcer dans un arrêt de 2019 15 . L’usage et la jouissance du logement n’étant pas affectés pendant l’union, elle a adopté la même position. Cette décision paraît logique dans la mesure où, nous l’avons vu, la protection du logement de la famille ne dure que tant que dure le mariage. Le maintien de la famille dans les lieux est effectivement ce qui semble être l’objectif sous-jacent de l’article 215, alinéa 3 du Code civil. Ce n’est pas la protection du conjoint qui est visée mais celle du logement de la famille. La protection du conjoint survivant relevant quant à elle de la seule loi successorale 16 . Inapplicable aux dispositions à cause de mort, les dispositions de l’article 215, alinéa 3 du Code civil trouvent à s’appliquer en matière de partage. 16 - Partage. – Analysé en un acte de disposition, le partage de biens dépendant d’une indivision successorale comprenant l’im- meuble dans lequel est établi le logement de la famille nécessite le consentement de l’époux non propriétaire lorsque l’attribution est 14 TGI Paris, 16 déc. 1970 : Gaz. Pal. 1971, p. 115. 15 Cass. 1 re civ., 22 mai 2019, n° 18-16.666 : JurisData n° 2019-008400 ; Dr. famille 2019, comm. 178, note S. Torricelli-Chrifi ; Dr. famille 2019, étude 16, obs. D. Sadi. 16 On pense ici aux dispositions de l’article 763 du Code civil : le droit tempo- raire au logement du conjoint survivant impératif, que le logement appar- tienne aux époux ou dépende totalement de la succession.

RkJQdWJsaXNoZXIy MTQxNjY=