La Semaine Juridique Notariale et Immobiliere
1358 ÉTUDE DOSSIER Page 60 © LEXISNEXIS SA - LA SEMAINE JURIDIQUE - NOTARIALE ET IMMOBILIÈRE - N° 51-52 - 24 DÉCEMBRE 2021 peut être affectée à aucun autre usage, appartient aux deux époux 3 . L’intervention du juge n’est plus possible comme avant cette ré- forme 4 . Il peut intervenir sous d’autres cieux, comme pour pro- noncer la résidence séparée, mais ne peut plus se prononcer sur le différend opposant les époux sur le choix du logement familial. La notion de communauté de vie est nettement distinguée de l’obligation de cohabitation qui existait avant la réforme et qu’elle a substituée. 6 - La cohabitation matérielle et la dématérialisation de la com- munauté de vie. – Certains auteurs affirment aujourd’hui la dé- matérialisation de cette communauté de vie et lui assènent une dimension spirituelle et affective, éclipsant l’aspect matériel, au point de concevoir et d’admettre que la communauté de vie puisse exister sans cohabitation 5 . La Cour de cassation rappelle cependant que la cohabitation matérielle reste bien, en principe, l’une des conditions de la communauté de vie. Les dérogations demeurent l’exception. Et c’est bien cette communauté de vie qui connote la cogestion des droits assurant la permanence du logement de la famille tout en protégeant ainsi chaque membre du couple. Ce bien se colore alors d’une nature particulière 6 . Il est protégé contre les actes que l’un conclurait seul et qui mettraient en péril la permanence du bien susceptible d’accueillir la communauté de vie. Certes, les dispositions de l’article 108 du Code civil prévoient la possibilité pour les époux d’avoir un « domicile distinct » . Cepen- dant, les deux notions ne sont pas assimilables et doivent être distinguées 7 . L’article 108 parle de domicile conjugal alors que l’article 215 parle de logement de la famille. 7 - Éléments d’extranéité. – En présence d’éléments d’extranéité, la question se pose de savoir si les dispositions de l’article 215 s’appliquent aux personnes étrangères vivant en France. La doc- trine est divergente sur ce point. Le régime primaire français est appliqué au couple étranger vivant en France uniquement pour les règles présentant un caractère de loi de police. Or, ce caractère a été reconnu à l’article 215, alinéa 3 du Code civil, de sorte qu’il est applicable à tous les époux résidant sur le territoire français. 3 Ramification de la codirection de la famille énoncée à l’article 213 du Code civil : les époux assurent ensemble la direction morale et matérielle de la famille. 4 L’ancien article 215, alinéa 3, prévoyait dans ce cas une immixtion du juge dans le conflit. 5 J. Hauser : « si une certaine doctrine estime qu’aux termes de l’article 215 du Code civil la communauté de vie à laquelle les époux s’obligent mutuellement englobe la communauté d’habitation qui s’accomplit principalement à la rési- dence même de la famille, ni la jurisprudence, ni la doctrine ne réduisent la communauté de vie à une communauté de résidence, ni ne font de cette der- nière une condition indispensable à la communauté de vie ». 6 J. Carbonnier, t. 2, p. 1256 : « les logements, comme les nids, ont une vocation familiale ». 7 Cass. 1 re civ., 22 mars 1972 : Bull. civ. I, n° 93 ; JCP N 1972, II, 17182. – « À la différence du domicile, notion de droit […] est une notion concrète qui exprime une donnée de fait » : J. Flour et G. Champenois, Les régimes matri- moniaux : éd. Armand Colin, 2001, n° 123, p. 113. REMARQUE ➜ En outre, il convient de préciser que les règles relatives aux devoirs et droits respectifs des époux, dont l’article 215 du Code civil sont d’application territoriale 8 . Par conséquent et a contrario ses dispositions ne seraient pas applicables aux français résidant à l’étranger. B. - La notion de logement de la famille 8 - Tentative de définition. – De l’obligation de communauté de vie inhérente au mariage découle la notion de logement de la famille. Si l’on se risquait à une définition, on pourrait la résu- mer au lieu où se concrétise la communauté de vie, au lieu où se rassemble le couple marié, c’est-à-dire au lieu effectif où vit et se rassemble la famille. 9 - Difficultés en cas de crise du couple. – Les difficultés appa- raissent en cas de crise du couple. C’est précisément pendant ces périodes de tumultes que se justifie pleinement le besoin de protection du logement familial, qu’elles engendrent ou non une séparation légale ou simplement de fait, qu’elles aboutissent ou non à une action en séparation de corps ou en divorce. Une chose est certaine : le logement de la famille demeure celui fixé conjoin- tement par les époux avant que la crise ne survienne 9 . Il convient donc d’aller au-delà de la simple constatation de la séparation du couple pour appréhender l’objectif poursuivi par l’article 215. 10 - Appréciation souveraine des juges du fond. – Le logement de la famille est le lieu où vit le couple, ou le lieu de vie avec les en- fants. En réalité, la notion de logement de la famille est une notion factuelle que seul le juge a le pouvoir d’apprécier in concreto 10 , plongeant parfois le praticien dans l’expectative quant à l’applica- tion de l’article 215, alinéa 3. Les juges du fond s’appuient notam- ment sur des critères, tant psychologique que matériel, comme par exemple la volonté de s’unir ou l’intention de concrétiser l’union précédant la formation du mariage. Aucune certitude n’est donc acquise quant à la notion même de logement de la famille. Et si l’on en juge certaines décisions juris- prudentielles, la prudence du praticien doit être de mise. Parmi elles, on peut citer l’arrêt rendu en 2005 par la cour d’appel de Paris 11 . Un couple décide d’occuper un studio distinct de leur appartement principal, laissé à leurs enfants pour qu’ils puissent s’exprimer librement, et ne pas être gênés par le bruit. Le couple se déchire et le studio, bien personnel d’un époux, est vendu par ce dernier. Vient se poser au juge la question de savoir si la vente doit être annulée pour défaut de consentement du conjoint. Contre toute attente, ce studio a été qualifié par le juge de logement de la 8 Cass. 1 re civ., 20 oct. 1987, n° 85-18.877 : JurisData n° 1987-001640. 9 Cass. 1 re civ., 16 mai 2000, n° 98-13.441 : JurisData n° 2000-002009 ; RJPF 2000-12/23, note F. Vauvillé. 10 Cass. 1 re civ., 12 févr. 1980 : Bull. civ. I, n° 50. 11 CA Paris, 31 août 2005 : JurisData n° 2005-287306 ; Dr. famille 2006, comm. 62, obs. B. Beignier.
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