La Semaine Juridique Notariale et Immobiliere
1356 ÉTUDE DOSSIER Page 52 © LEXISNEXIS SA - LA SEMAINE JURIDIQUE - NOTARIALE ET IMMOBILIÈRE - N° 51-52 - 24 DÉCEMBRE 2021 drait, pour en assurer l’efficacité, de le coupler à un accord expli- cite quant à l’aménagement des dépenses de la vie courante. REMARQUE ➜ Au total, on relève que, malgré une tendance jurispru- dentielle indéniable, quoique discutable, à éviter les recours contributifs entre concubins ou partenaires aussi bien qu’entre époux, la casuistique est inévitable : elle tient tout simplement à la pluralité des modes de conjugalité. On ne saurait dès lors encore affirmer qu’est installé un droit commun de l’acquisition en couple. 30 - La discussion se complique par la considération d’une nou- velle variable, tenant au financement éventuel de l’acquisition par un apport en capital… B. - L’opportunité de la distinction entre apport en capital et affectation des revenus ? 31 - Exclusion de l’apport en capital du champ de la contribu- tion aux charges du mariage. – En deux temps, la Cour de cassa- tion est venue apporter une limite majeure à la tendance précé- demment décrite d’exclure tout recours contributif au profit de l’époux solvens . L’hypothèse est celle du financement de l’acqui- sition d’un bien indivis affecté à l’usage familial par un apport en capital effectué par un époux séparé de biens pour financer la part de son conjoint : par un arrêt en date du 3 octobre 2019, la première chambre civile énonce, au visa de l’article 214 du Code civil, que, « sauf convention matrimoniale contraire » , « l’apport en capital provenant de la vente de biens personnels […] ne participe pas de l’exécution de son obligation de contribuer aux charges du mariage » 47 ; puis, par un arrêt en date du 17 mars 2021, la même formation affirme, au visa de l’article 214 à nouveau, qu’ « il résulte de ce texte que, sauf convention contraire des époux, l’apport en ca- pital de fonds personnels […] ne participe pas de son obligation de contribuer aux charges du mariage » 48 . Manifestement, il s’agit là pour la Cour de cassation de répondre à la critique selon laquelle l’exclusion systématique de tout recours contributif aboutit à rendre le régime de séparation de biens plus communautaire que le régime légal lui-même. De fait, lorsqu’un époux commun en biens finance, à l’aide de deniers propres, l’acquisition d’un bien com- mun, il peut prétendre à récompense de la part de la communauté (C. civ., art. 1433) . Or lesdites sommes ont pu advenir à l’époux en cours de régime par succession, donation ou legs, comme elles pouvaient être en sa possession au jour de la célébration du mariage (C. civ., art. 1405, al. 1 er ) , ce qui semble correspondre à un apport en capital, par opposition au remboursement d’un em- prunt à l’aide de revenus. D’où la référence, non pas seulement à l’apport en capital provenant de la vente de biens personnels, mais, plus largement, à l’apport en capital de fonds personnels. De cette évolution, la pratique notariale s’efforcera naturellement de tirer 47 V. Cass. 1 re civ., 3 oct. 2019, n° 18-20.828 : JurisData n° 2019-016954 ; Dr. famille 2019, comm. 241 et 242, note S. Torricelli-Chrifi. 48 V. Cass. 1 re civ., 17 mars 2021, n° 19-21.463 : JurisData n° 2021-003605. enseignement en proposant aux (futurs) époux qui optent pour la séparation de biens des clauses adaptées 49 . 32 - Reste que la corrélation nouvellement établie par la Cour de cassation entre l’existence d’une récompense en régime de com- munauté et la reconnaissance d’un recours contributif au profit de l’époux solvens en régime séparatiste révèle bien vite ses limites. D’une part, faut-il tomber dans certaines distinctions byzantines, conduisant par exemple à considérer que seuls les capitaux qui eussent été propres en régime de communauté seraient hors de portée de l’article 214 ? Tel ne serait pas alors le cas des capitaux issus de la vente d’un bien personnel financé de ses gains et sa- laires par l’époux solvens 50 . D’autre part, faut-il considérer que les revenus économisés, dont on a pu dire en régime de communauté qu’ils sont « en instance de capitalisation » 51 , méritent d’être ratta- chés à l’apport en capital, excluant dès lors le jeu de l’article 214 ? Enfin, l’opposition mise en œuvre entre l’apport en capital et le remboursement d’un emprunt semble ne tenir qu’au fait qu’en ré- gime de communauté, les revenus (du travail comme des propres) sont communs, en sorte que leur affectation à l’acquisition d’un bien commun ne donne jamais lieu à récompense ; mais, tel n’est précisément pas le cas en régime de séparation de biens où tous les revenus sont personnels à l’époux percepteur 52 . Comment, dès lors, borner le champ du recours contributif de l’époux solvens en régime séparatiste par une référence inappropriée au sort des reve- nus en régime communautaire ? Cela ne revient-il pas, en quelque sorte, à présumer l’affectation des revenus aux charges du mariage en régime séparatiste ? 33 - Affectation des revenus aux charges du mariage ou de la vie commune en régime séparatiste ? – Sans doute, la configuration la plus fréquente, en cas d’acquisition indivise du logement de la famille ou de la résidence principale, voire d’un bien à usage familial, recouvre une opération financée à crédit et remboursée mensuellement, en tout ou partie, par l’époux ou le partenaire solvens , avec ses revenus. Mais ce n’est pas parce qu’il s’agit là du mode d’exécution le plus courant de l’obligation contributive aux charges du mariage ou de la vie commune qu’il faut pour autant consacrer, fût-ce tacitement, une présomption irréfragable d’af- fectation des revenus personnels des époux ou partenaires séparés de biens auxdites charges 53 . 49 V. not. déjà N. Couzigou-Suhas, Séparation de biens : conventions des futurs époux en matière de contribution aux charges du mariage : Defrénois 21 oct. 2021, art. 202n8, p. 21 et s. 50 Sur cette hypothèse, V. naguère J. Casey : Gaz. Pal. 23-24 août 2013, p. 19 et s., spéc. note 27. 51 V. Cass. 1 re civ., 14 janv. 2003, n° 00-12.295 : JurisData n° 2003-017243 ; JCP G 2003, II, 10019, concl. J. Sainte-Rose. 52 V. en ce sens, V. Bouchard : JCP G 2019, 1151, p. 2006 et s., spéc. p. 2008. 53 Comp. avec le 107 e Congrès des notaires de France, Cannes, 5-8 juin 2011, « Le financement », 1 re commission : « Débuter », 4 e proposition : « Pour un nouveau statut du logement » : JCP N 2011, n° hors-série, p. 12-13 ; Defrénois 2011, art. 40024, p. 1053 et s., spéc. p. 1055. – Pour une critique de cette pro- position, V. not. A. Karm, Les mutations des créances entre époux, in Mél. en l’honneur du professeur G. Champenois : Defrénois-Lextenso, 2012, p. 453 et s., spéc. n° 5 à 7.
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