La Semaine Juridique Notariale et Immobiliere
ÉTUDE DOSSIER 1356 Page 49 LA SEMAINE JURIDIQUE - NOTARIALE ET IMMOBILIÈRE - N° 51-52 - 24 DÉCEMBRE 2021 - © LEXISNEXIS SA 2. Acquisitions indivises de biens affectés à l’usage familial : vers un rétablissement de la logique du régime de séparation de biens ? 18 - Dualité de tendances procédant de l’examen de la jurispru- dence récente. – À considérer, à présent, les acquisitions indivises de biens affectés à l’usage familial, la question se pose de savoir si l’époux séparé de biens qui prétend avoir sur-contribué au finan- cement de l’opération peut se prévaloir d’une créance. Procédant de la distorsion entre le titre de propriété et les quotes-parts effec- tives de financement, une telle créance serait alors fondée tantôt sur l’article 1543 du Code civil, relatif aux créances entre époux, tantôt sur l’article 815-13 du même code, dédié aux créances contre l’indivision, au cas où l’acquisition serait financée par un emprunt (pour mémoire, la Cour de cassation exclut désormais l’application de l’article 815-13 aux dépenses d’acquisition finan- cées par apport de deniers personnels 27 ). À titre préalable, il s’agit de s’interroger sur une éventuelle sur-contribution de l’époux solvens aux charges du mariage, auxquelles les époux séparés de biens doivent contribuer « suivant les conventions contenues en leur contrat » ou, à défaut, « dans la proportion déterminée à l’ar- ticle 214 » , c’est-à-dire à proportion de leurs facultés respectives (C. civ., art. 1537) . 19 - L’examen de la jurisprudence récente permet de déceler deux tendances distinctes, sinon contraires : d’une part, tout principe de créance au profit de l’époux solvens pour « sur-contribution » aux charges du mariage est le plus souvent nié, cette première ten- dance ayant été récemment étendue aux partenaires de Pacs et aux concubins, au point que l’on s’interroge sur la construction d’un droit commun du financement de l’acquisition en couple ; d’autre part, sauf convention contraire, l’apport en capital de fonds per- sonnels effectué par un époux séparé de biens ne participe pas de l’obligation de contribuer aux charges du mariage, au point que l’on s’interroge, cette fois, sur l’opportunité de la distinction entre apport en capital et affectation des revenus. Au total, une telle évo- lution mènera-t-elle à un rétablissement de la logique du régime de séparation de biens ? A. - La construction d’un droit commun du financement de l’acquisition en couple ? 20 - Exclusion de toute créance au profit de l’époux solvens ; incidence de la clause emportant présomption d’acquittement au jour le jour des charges du mariage. – La question d’une éven- tuelle sur-contribution de l’époux solvens aux charges du mariage ne saurait être réglée sans considérer les stipulations inscrites au contrat de mariage des époux séparés de biens ; y est fréquemment stipulée la clause selon laquelle « les époux contribuent aux charges du mariage, en proportion de leurs revenus et gains respectifs » , 27 V. Cass. 1 re civ., 26 mai 2021, n° 19-21.302 : JurisData n° 2021-007855. étant précisé que « chacun d’eux sera réputé avoir fourni au jour le jour sa part contributive, en sorte qu’ils ne seront assujettis à aucun compte entre eux, ni à retirer à ce sujet aucune quittance l’un de l’autre » . Dans ce contexte, la Cour de cassation, depuis 2013 28 , a tendance à nier l’existence d’une créance au profit de l’époux solvens , en combinant deux arguments. D’une part, le financement du logement de la famille, mais aussi de la résidence secondaire 29 , voire de tout immeuble à usage familial 30 , se rattache à l’obliga- tion de contribuer aux charges du mariage 31 . D’autre part, il ap- partient aux juges du fond d’apprécier souverainement la portée de la présomption d’acquittement au jour le jour des charges du mariage, telle qu’elle résulte de la clause précitée ; or, lesdits juges ont eux-mêmes tendance à tenir la présomption litigieuse pour irréfragable et ce, par référence à la volonté prétendue des époux. 21 - Approuvée par certains, cette orientation jurisprudentielle en- court néanmoins deux principaux griefs. D’une part, elle aboutit à une dilatation excessive de la notion de contribution aux charges du mariage, laquelle vise classiquement les dépenses de la vie cou- rante, et alors même que, sur le terrain de l’obligation à la dette, la Cour de cassation exclut qu’opère la solidarité ménagère, fondée sur l’article 220 du Code civil, pour une opération d’investisse- ment d’un ménage tendant à permettre à celui-ci de se constituer un patrimoine immobilier 32 . D’autre part, elle heurte la logique du régime de séparation de biens pure et simple, reposant sur l’absence de tout principe participatif, alors même que l’adoption d’un tel régime ne peut être que délibérée de la part des époux, auxquels il est d’ailleurs loisible d’y apporter un tempérament par le recours à une société d’acquêts 33 , ce que précisément ils n’ont pas souhaité faire, par hypothèse. 22 - Reste qu’une telle tendance jurisprudentielle apparaît net- tement s’être confirmée, au point qu’en présence d’une clause d’acquittement au jour le jour des charges du mariage tenue pour irréfragable par les juges du fond, il ne semble plus concevable d’établir la preuve contraire d’une sur-contribution 34 , à quelques incohérences près toutefois 35 . Ce n’est donc qu’en l’absence d’une 28 V. not. Cass. 1 re civ., 15 mai 2013, n° 11-26.933 : JurisData n° 2013-009351. – Cass. 1 re civ., 25 sept. 2013, n° 12-21.892 : JurisData n° 2013-020492. – Cass. 1 re civ., 1 er avr. 2015, n° 14-14.349. – Cass. 1 re civ., 18 nov. 2020, n° 19-15.353. 29 V. Cass. 1 re civ., 18 déc. 2013, n° 12-17.420. 30 V. Cass. 1 re civ., 3 oct. 2018, n° 17-25.858. – V. à cette époque, l’état éclairant de la question par X. Guédé, Arrêt sur la contribution dans le régime de la séparation de biens : Defrénois 27 juin 2019, art. 149n8, p. 74 et s. 31 S’en trouve, en revanche, exclu le simple investissement locatif : V. Cass. 1 re civ., 5 oct. 2016, n° 15-25.944. 32 V. Cass. 1 re civ., 4 juill. 2006, n° 03-13.936 : JurisData n° 2006-034416. 33 Sur les difficultés liquidatives spécifiques à la société d’acquêts, V. X. Grosjean, Séparation de biens avec société d’acquêts : existence et sort des acquêts : JCP N 2021, n° 51-52, 1355, présent dossier. 34 En revanche, cette même clause n’exclut pas un recours en contribution, en cours de régime, de la part de l’époux qui entendrait contraindre son conjoint à remplir, pour l’avenir, son obligation contributive, laquelle est d’ordre public : V. Cass. 1 re civ., 13 mai 2020, n° 19-11.444 : JurisData n° 2020-006923 ; JCP N 2020, n° 31-35, 1171, note S. Bernard. 35 V. par ex. Cass. 1 re civ., 3 oct. 2018, n° 17-25.858, approuvant la cour d’appel d’avoir dénié tout droit à créance au profit de l’époux solvens, après avoir re-
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