La Semaine Juridique Notariale et Immobiliere

1356 ÉTUDE DOSSIER Page 48 © LEXISNEXIS SA - LA SEMAINE JURIDIQUE - NOTARIALE ET IMMOBILIÈRE - N° 51-52 - 24 DÉCEMBRE 2021 évaluable selon les règles auxquelles renvoie l’article 1543 du code civil » . Une telle solution appelle deux séries d’observations. 14 - D’une part, sous un angle conceptuel, la voie se trouve à pré- sent ouverte à une restauration de la logique de la théorie des impenses ; reste à parachever ce mouvement, en statuant sur le cas où le financement de l’acquisition est assuré par un emprunt. Toutefois, il faudrait ici se garder d’un rejet sans nuance de la qua- lification de dépense de conservation juridique à propos du rem- boursement de l’emprunt finançant un bien indivis. Comme on l’a vu précédemment, il est au moins une hypothèse où une telle qualification mérite d’être conservée – c’est celle où un bien acquis par deux époux communs en biens tombe, au temps de la dissolu- tion, dans l’indivision post-communautaire 19 . 15 - D’autre part, sous un angle pratique, l’éviction de l’article 815- 13 en cas de dépense d’acquisition emporte au moins deux consé- quences notables. Tout d’abord, il est vrai que le montant de la créance allouée à l’époux solvens sur le fondement de l’article 1543 du Code civil est en principe identique à celui auquel aurait abouti la mise en œuvre de l’article 815-13 (double minimum 20 ), sauf à rappeler que le correctif de l’équité n’est pas prévu pour les créances entre époux, lesquelles sont néanmoins perméables au jeu d’une « convention contraire » (C. civ., 1543 et 1479, al. 2) sus- ceptible d’en moduler les bases d’évaluation. Toutefois, la créance fondée sur l’article 1543 est à la charge exclusive de l’époux dé- biteur, tandis que la créance fondée sur l’article 815-13 pèse sur l’indivision, donc pour partie sur l’époux solvens pris en sa qua- lité d’indivisaire : il est donc plus avantageux pour l’époux solvens d’être indemnisé sur le fondement de l’article 1543. En revanche, sur le terrain de la prescription, le rattachement de la créance conjugale à l’article 1543 plutôt qu’à l’article 815-13 est neutre. Dès lors que la prescription ne court point entre époux (C. civ., art. 2236) , la question est différée : à compter de la date de la rupture du couple, et compte tenu de la nature mobilière de la créance, l’action se prescrira selon le délai de droit commun de 5 ans (C. civ., art. 2224) . Tout au plus, un ajustement s’impose-t-il en cas de rupture du couple pour cause de décès, et à considérer l’hypothèse d’une créance conjugale, laquelle n’est pas tenue pour être « relative aux biens indivis » : si l’époux créancier survit, la créance qu’il détient comme copartageant à l’encontre de la suc- cession se prescrira à compter de la date du décès de l’époux débi- teur prédécédé ; mais si l’époux créancier prédécède, la créance de ce dernier s’analyse en une créance de la succession contre l’époux survivant débiteur ayant qualité de copartageant, en sorte que ladite créance n’est pas exigible avant la clôture des opérations de partage (C. civ., art. 865) 21 . 19 V. supra, n° 10. – Comp. avec E. Rousseau, L’apport personnel, l’acquisition indivise et la contribution aux charges du mariage : D. 2021, n° 30, p. 1615 et s., spéc. p. 1617, laquelle ne réserve pas cette hypothèse. 20 V. supra n° 10. 21 V. Cass. 1 re civ., 26 mai 2021, n° 19-21.302 : JurisData n° 2021-007855 ; De- frénois 30 sept. 2021, art. 203I1, p. 45, obs. A. Chamoulaud-Trapiers. 16 - Inapplicabilité de l’article 1543 du Code civil aux couples non mariés ; conséquences pratiques. – Le relais ainsi assigné à l’article 1543 ne saurait opérer que dans les rapports entre époux séparés de biens, non dans les rapports entre partenaires d’un Pacs ou entre concubins 22 . Sans doute, entre partenaires placés sous un régime de séparation des patrimoines, l’article 515-7 réserve-t-il, en son dernier alinéa, le jeu de créances l’un envers l’autre 23 , alors évaluées selon les règles prévues à l’article 1469. Mais, entre concubins, aucun texte spécial ne prévoit la revalori- sation des créances dont ils pourraient être titulaires l’un envers l’autre au titre du financement d’une dépense d’acquisition d’un bien indivis : le retour au nominalisme est alors systématiquement défavorable au concubin solvens . Ce désagrément s’ajoute à celui procédant de ce qu’entre concubins, la prescription court durant la vie du couple, en sorte que la créance, immédiatement exigible, se prescrit selon les règles de droit commun. Récemment, la Cour de cassation a d’ailleurs eu l’occasion de préciser que la créance dont est titulaire le concubin indivisaire sur l’indivision au titre d’une dépense de conservation d’un bien indivis – créance alors revalorisée sur le fondement de l’article 815-13 – est « exigible dès le paiement de chaque échéance de l’emprunt immobilier, à partir duquel la prescription [commence] à courir » 24 . Pareillement, une créance au nominal, car détachée de l’article 815-13, risque d’être perdue si la demande en est formée tardivement… 17 - Dans ce contexte, certains appellent de leurs vœux une réé- criture complète de l’article 815-13, considérant que ce texte aurait très mal vieilli ; doutant de la détermination du législa- teur à s’emparer d’un tel sujet, ils comptent, à tout le moins, sur une prochaine oscillation de la jurisprudence, l’arrêt précité du 26 mai 2021 aboutissant à réintroduire des distinctions au sein des couples, que la jurisprudence serait par ailleurs parvenue à dissi- per au titre de la contribution aux charges du mariage 25 . On peut, au contraire, considérer que la logique de l’indivision se trouve ici en partie rétablie 26 , et espérer que la logique de la séparation de biens progresse encore en cas d’acquisitions indivises de biens affectés à l’usage familial. 22 Sur les comptes entre partenaires ou concubins, V. not. V. Kermoal, Couples non mariés : Patrimoines et Liquidations, thèse Nantes, (dir.) R. Le Guidec, avr. 2021. 23 Entre partenaires placés sous un régime d’indivision conventionnelle, les biens acquis à compter de l’enregistrement de leur convention sont « réputés indivis par moitié, sans recours de l’un des partenaires contre l’autre au titre d’une contribution inégale » (C. civ., art. 515-5-1. – V. toutefois C. civ., art. 515-5-2 in fine). 24 V. Cass. 1 re civ., 14 avr. 2021, n° 19-21.313 : JurisData n° 2021-005374 ; Dal- loz actualité, 15 juin 2021, obs. Q. Guiguet-Schielé ; Defrénois 30 sept. 2021, art. 203I0, obs. B. Vareille. 25 V. not. obs. critiques de J. Casey : AJF juill.-août 2021, p. 435. 26 V. not. obs. approbatrices de St. David : AJF juill.-août 2021, p. 437. – V. éga- lement l’étude de A. Chamoulaud-Trapiers et B. Vareille, L’apport initial en vue d’acquérir en indivision : Defrénois 28 oct. 2021, art. 203t8, p. 19 et s.

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