La Semaine Juridique Notariale et Immobiliere
1356 ÉTUDE DOSSIER Page 46 © LEXISNEXIS SA - LA SEMAINE JURIDIQUE - NOTARIALE ET IMMOBILIÈRE - N° 51-52 - 24 DÉCEMBRE 2021 Une telle logique de la théorie des impenses utiles ou nécessaires devrait alors commander l’exclusion des dépenses d’acquisition du champ d’application de l’article 815-13. B. - L’article 815-13 du Code civil et les dépenses d’acquisition 9 - Rattachement discutable des dépenses d’acquisition financées par un emprunt, voire un apport, aux dépenses de conservation juridique. – Sans doute, l’article 815-13 recouvre-t-il les dépenses de conservation juridique autant que matérielle des biens indivis. Faut-il pour autant considérer les dépenses d’acquisition financées par un emprunt comme concourant à la conservation juridique des biens acquis ? La Cour de cassation l’a d’abord admis dans le contexte particulier d’une indivision post-communautaire, ce qui se comprend aisément ; elle l’a ensuite admis à propos d’une dépense d’acquisition financée par un apport de fonds personnels, ce qui se comprend bien moins. 10 - La solution compréhensible est la suivante. Deux époux communs en biens, ayant acquis un bien commun financé par un emprunt, divorcent, alors que l’emprunt n’est pas totalement remboursé : à compter de la dissolution de la communauté, le bien tombe en indivision post-communautaire, tandis que le solde du prêt doit être inscrit au passif de l’indivision. À supposer que l’un des ex-époux rembourse seul le reliquat d’emprunt, on peut en effet admettre qu’il concourt à la conservation juridique du bien devenu indivis, puisqu’à défaut de remboursement, le créancier aurait pu susciter une saisie du bien indivis en vue d’être payé par prélèvement avant le partage (C. civ., art. 815-17, al. 1 er ) . Le fait est, d’ailleurs, que l’acquisition dudit bien remonte en cours d’union, en sorte que le bien indivis existait déjà lorsqu’est survenu le rem- boursement. Sans doute, en cours de régime communautaire, le remboursement de l’emprunt affecté au financement d’un bien commun est-il tenu, économiquement, pour une dépense d’ac- quisition, susceptible de susciter une récompense revalorisée selon le profit subsistant : l’application de l’article 1469, alinéa 3, conduit à déterminer la quote-part contributive du patrimoine créancier de la récompense (fraction de l’emprunt remboursé en capital, à l’exclusion des intérêts 11 ) par rapport au coût global de l’opération (frais inclus), cette quote-part étant appliquée à la valeur du bien la masse partageable telle qu’elle se serait trouvée au temps du partage si le de cujus n’avait pas disposé à titre gratuit) : V. en ce sens, P. Catala, La réforme des liquidations successorales : Defrénois, 3 e éd., 1982, n° 31, p. 77 et s. 11 En régime communautaire, les intérêts de l’emprunt affecté à l’acquisition d’un bien sont tenus pour des charges usufructuaires pesant sur la communau- té : V. Cass. 1 re civ., 31 mars 1992, n° 90-17.212 : JurisData n° 1992-000856, à propos de l’emprunt souscrit pour l’acquisition d’un bien propre. Aussi, lorsque l’époux rembourse de ses deniers propres les intérêts de l’emprunt affecté à l’acquisition d’un bien commun, il acquitte, certes, une dette de la commu- nauté dont il doit être récompensé. Mais, les intérêts constituant une charge de jouissance, et non une dépense servant à l’acquisition du bien, la récompense au titre de leur paiement sera simplement alignée sur la dépense faite (nomi- nalisme). à la date de la liquidation. Mais, à compter de la dissolution de la communauté, l’article 1469 ne saurait continuer à s’appliquer 12 . 11 - Or, il ne serait pas cohérent d’évaluer différemment l’indem- nité due à l’époux solvens selon qu’il rembourse l’emprunt avant ou à compter de la dissolution de la communauté. Aussi, pour lui garantir une indemnité pareillement revalorisée, la jurisprudence considère, légitimement, qu’au temps de l’indivision post-com- munautaire, il s’agit, juridiquement, d’assurer la conservation du bien d’ores et déjà acquis et devenu indivis 13 . Au total, l’époux solvens peut donc se prévaloir d’une créance contre l’indivision, fondée sur l’article 815-13 14 : tenue pour constituer une impense nécessaire de conservation, la dépense donnera lieu à indemni- sation selon la plus forte des deux sommes (double minimum) que représentent la dépense faite (en capital et intérêts) et le profit subsistant (mesuré selon la fraction de l’emprunt remboursé en capital). REMARQUE ➜ Sous réserve du correctif de l’équité, les résultats sont d’ailleurs équivalents, que la créance soit mise à la charge de l’indivision ou qu’une récompense pèse sur la communauté : l’époux solvens, qu’il soit indivisaire ou époux commun en biens, sera créancier pour le tout, et débiteur pour la moitié. 12 - Nettement moins compréhensible est, en revanche, la solution qui consiste à appliquer l’article 815-13 du Code civil lorsqu’un époux séparé de biens a financé, sur ses deniers personnels, un bien acquis en indivision en cours d’union, au-delà de sa quote- part indivise 15 . Car, reconnaître en l’espèce une créance contre l’indivision, plutôt qu’une créance entre époux au titre de l’avance de deniers de l’un à l’autre, c’est assimiler l’apport personnel de l’époux séparé de biens au remboursement d’un emprunt. Cette fois, pourtant, le bien indivis ne préexiste pas à la dépense. Com- ment, dès lors, raisonner comme si le financement par l’époux sur ses deniers personnels au-delà de sa quote-part indivise concou- rait à la conservation juridique du bien indivis ? Il est vrai que le montant de la créance indemnitaire sera en principe identique, que l’on retienne une créance entre époux indivisaires fondée sur l’ar- ticle 1543 du Code civil (dépense d’acquisition, revalorisée selon le profit subsistant, par le jeu d’un double renvoi, de l’article 1543 à l’article 1479, et de l’alinéa 2 de l’article 1479 à l’alinéa 3 de l’article 1469) ou une créance contre l’indivision fondée sur l’ar- ticle 815-13 (dépense de conservation par définition nécessaire) : ici et là, la règle du double minimum opère, en sorte que la créance 12 V. not. Cass. 1 re civ., 9 juill. 1991, n° 89-11.341 : JurisData n° 1991-001944. – Cass. 1 re civ., 3 mars 2010, n° 08-15.832 : JurisData n° 2010-001111. – Cass. 1 re civ., 13 sept. 2017, n° 16-22.821 : JurisData n° 2017-017788. 13 V. déjà en ce sens Cl. Brenner, L’acte conservatoire, préf. P. Catala, t. 323 : LGDJ, coll. Bibliothèque de droit privé, 1999, n° 786, p. 426. 14 V. Cass. 1 re civ., 11 mai 2012, n° 11-17.497 : JurisData n° 2012-009405 ; De- frénois 15 févr. 2014, art. 115a4, p. 120, obs. A. Chamoulaud-Trapiers. 15 V. Cass. 1 re civ., 26 sept. 2012, n° 11-22.929 : JurisData n° 2012-021471 ; RTD civ. 2012, p. 767, obs. B. Vareille ; Defrénois 15 févr. 2014, art. 115a4, p. 121, obs. crit. A. Chamoulaud-Trapiers ; RJPF 2013/02, p. 21, obs. appr. Fr. Vauvillé.
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