La Semaine Juridique Notariale et Immobiliere

ÉTUDE DOSSIER 1356 Page 45 LA SEMAINE JURIDIQUE - NOTARIALE ET IMMOBILIÈRE - N° 51-52 - 24 DÉCEMBRE 2021 - © LEXISNEXIS SA d’opérer un revirement par un arrêt en date du 26 mai 2021, consi- dérant que l’article 815-13 « ne s’applique pas aux dépenses d’ac- quisition » , du moins à celles qui sont financées par un apport 3 : nulle place, alors, pour une créance contre l’indivision, seule étant concevable une créance entre époux indivisaires. Encore inache- vée, car n’envisageant pas les dépenses financées par un emprunt, cette évolution mènera-t-elle à un rétablissement de la logique de la théorie des impenses en indivision ? 4 - Quant aux acquisitions indivises portant sur des biens affectés à l’usage familial, elles invitent à déterminer la portée respective des articles 214 et 1543 du Code civil : il s’agit ici de préciser dans quelle mesure l’obligation de contribuer aux charges du mariage laisse place à une possible créance conjugale. À ce titre, la première chambre civile de la Cour de cassation vient à nouveau d’opérer un revirement, en deux temps, à la faveur de deux arrêts en date des 3 octobre 2019 4 et 17 mars 2021 5 , considérant en dernier lieu que, « sauf convention contraire des époux, l’apport en capital de fonds personnels, effectué par un époux séparé de biens pour finan- cer la part de son conjoint […], ne participe pas de l’exécution de son obligation de contribuer aux charges du mariage » . Place semble ainsi faite à une créance entre époux indivisaires, en marge de l’obligation contributive aux charges du mariage. Une telle évo- lution mènera-t-elle, cette fois, à un rétablissement de la logique de la séparation de biens ? 1. Acquisitions indivises de biens non affectés à l’usage familial : vers un rétablissement de la logique de la théorie des impenses en indivision ? 5 - Article 815-13 du Code civil et nature de la dépense généra- trice de créance au profit de l’époux indivisaire. – À considérer, d’abord, les acquisitions indivises de biens non affectés à l’usage familial, la question se pose de savoir si l’époux qui prétend avoir sur-contribué au financement de l’opération peut fonder sa de- mande d’indemnisation sur l’article 815-13 du Code civil, pris en son alinéa premier 6 . Une réponse négative semble a priori s’impo- ser, dès lors que le texte privilégie les dépenses d’amélioration ou de conservation. Néanmoins, le rattachement des dépenses d’ac- quisition audit texte suscite discussion. A. - L’article 815-13 du Code civil et les dépenses d’amélioration ou de conservation 6 - Logique originaire de la théorie des impenses : les impenses utiles ou nécessaires. – Littéralement, l’article 815-13 vise seule- 3 Cass. 1 re civ., 26 mai 2021, n° 19-21.302. 4 Cass. 1 re civ., 3 oct. 2019, n° 18-20.828 : JurisData n° 2019-016954. 5 Cass. 1 re civ., 17 mars 2021, n° 19-21.463 : JurisData n° 2021-003605. 6 À l’évidence, l’alinéa 2 du texte ne saurait être sollicité, puisqu’il vise les dégradations et détériorations affectant les biens indivis et dont l’indivi- saire doit répondre si elles sont dues à son fait ou à sa faute. ment deux hypothèses : en premier lieu, celle de l’indivisaire qui a amélioré à ses frais l’état d’un bien indivis – « il doit lui en être tenu compte selon l’équité, eu égard à ce dont la valeur du bien se trouve augmentée au temps du partage ou de l’aliénation » , ce qui renvoie au profit subsistant ; en second lieu, celle de l’indivisaire qui a fait de ses deniers personnels l’avance des dépenses néces- saires à la conservation desdits biens – « il doit lui [en] être pareil- lement tenu compte […], encore qu’elles ne les aient point amélio- rés » , ce qui renvoie au profit subsistant s’il existe, ou, à défaut, à la dépense faite, ainsi que l’a très tôt suggéré une doctrine des plus autorisées 7 . Issu de la réforme de l’indivision opérée par la loi du 31 décembre 1976, l’article 815-13 du Code civil procède en réalité d’une double parenté 8 . 7 - Précisément, s’agissant du montant des remboursements au- quel peut prétendre l’indivisaire, l’article 815-13 s’interprète, sans doute, par référence à l’esprit de l’article 1469 du Code civil en matière de récompenses en régime de communauté (sous réserve de la mise en œuvre du correctif de l’équité) : tel qu’issu de la loi du 13 juillet 1965, l’article 1469 prévoit en effet que la récompense ne peut être moindre que le profit subsistant en cas de dépense d’acquisition, de conservation ou d’amélioration (al. 3) , tandis qu’elle est de la plus forte des deux sommes que représentent la dépense faite et le profit subsistant lorsque la dépense d’acquisi- tion, de conservation ou d’amélioration est également nécessaire (double minimum résultant de la combinaison des alinéas 2 et 3) et ce, par inversion du principe de l’enrichissement injustifié (rap- pelé à l’alinéa 1 er ). 8 - Mais, s’agissant de la nature des dépenses donnant lieu à rem- boursement à l’indivisaire, l’article 815-13 emprunte manifeste- ment sa lettre à l’article 861 du Code civil, tel qu’issu de la loi du 3 juillet 1971 portant réforme des liquidations successorales : au titre du rapport en nature exigé du donataire, l’article 861 impose en effet d’indemniser ce dernier de ses impenses utiles d’améliora- tion ou nécessaires de conservation déployées sur le bien donné 9 , dès lors que la succession n’a pas à en tirer profit (rien ne dit que la plus-value d’amélioration se serait pareillement produite si le de cujus avait conservé le bien sans en disposer à titre gratuit, tan- dis que les dépenses nécessaires de conservation n’auraient pas manqué d’appauvrir le défunt si le bien n’avait pas été donné) 10 . 7 V. P. Catala, L’indivision (Lois n° 76-1286 du 31 décembre 1976 et n° 78-627 du 10 juin 1978) : Defrénois 1979, art. 32160, p. 1601 et s., spéc. n° 58, p. 1623. – V. par la suite en ce sens Cass. 1 re civ., 4 mars 1986, n° 84-15.071 : JurisData n° 1986-700122. 8 V. en ce sens Cl. Brenner, L’acte conservatoire, préf. P. Catala, t. 323 : LGDJ, coll. Bibliothèque de droit privé, 1999, spéc. n° 866, p. 471. 9 Par un « jeu d’influences réciproques », le double minimum garanti au titre de l’indemnisation des dépenses nécessaires de conservation s’est imposé au titre de l’interprétation de l’article 861 : V. P. Catala, L’indivision (Lois n° 76- 1286 du 31 décembre 1976 et n° 78-627 du 10 juin 1978) : Defrénois 1979, art. 32160, p. 1601 et s., spéc. n° 58, p. 1623, et Cl. Brenner, L’acte conserva- toire, préf. P. Catala, t. 323 : LGDJ, coll. Bibliothèque de droit privé, 1999, spéc. n° 866, p. 471. 10 Il a d’ailleurs été montré que la règle mérite extension au rapport en valeur, dès lors que la loi du 3 juillet 1971 a entendu conférer une équivalence économique entre rapport en valeur et rapport en nature (le rapport visant à reconstituer

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