La Semaine Juridique Notariale et Immobiliere

1354 ÉTUDE DOSSIER Page 36 © LEXISNEXIS SA - LA SEMAINE JURIDIQUE - NOTARIALE ET IMMOBILIÈRE - N° 51-52 - 24 DÉCEMBRE 2021 En l’espèce, un acquéreur achète différents lots dans une copro- priété dont un lot à usage de piscine. Il se voit contraint par un additif au règlement de copropriété « à assumer les frais de fonc- tionnement de la piscine et à autoriser son accès gratuit aux co- propriétaires, au moins pendant la durée des vacances scolaires » . Désireux de se défaire de cet engagement, il demande la constata- tion de l’expiration de ses effets au bout de 30 ans ce que la Cour de cassation refuse, relevant le caractère perpétuel du droit réel de jouissance spéciale conféré aux autres lots de copropriété sur son lot. 19 - La formulation choisie, « les droits litigieux […] constituaient une charge imposée à certains lots, pour l’usage et l’utilité des autres lots appartenant à d’autres propriétaires » , n’est pas sans rappeler la définition de la servitude présentée à l’article 637 du Code civil. Le contexte de la copropriété n’interdit pas la constitution d’une servitude entre « les parties privatives de deux lots, ces héritages appartenant à des propriétaires différents » 18 . Pourtant, dans cet arrêt de 2018, la qualification de servitude est délaissée à tort 19 , au profit de celle de DRJS. Soucieuse (une fois de plus) de respecter la volonté des parties, la Cour de cassation retient qu’ont été créés « […] des droits réels sui generis trouvant leur source dans le règle- ment de copropriété » . Se dégage un certain malaise de cet arrêt qui se distingue par l’utilisation de l’expression « sui generis » comme pour justifier l’originalité du principe énoncé : « est perpétuel un droit réel attaché à un lot de copropriété conférant le bénéfice d’une jouissance spéciale d’un autre lot ; […] ces droits sont perpétuels » . Revirement de jurisprudence ou ajustement au contexte de la copropriété ? 20 - Une incertitude à nuancer. – Il convient de ne pas tirer de conséquences d’ordre général de cet arrêt qui au nom du respect de la liberté contractuelle des parties, confirme la qualification de DRJS en présence d’un montage réel qui évoque fortement le schéma de la servitude. En outre, le caractère perpétuel admis par la Cour de cassation semble plus découler du contexte, à savoir une copropriété d’immeubles bâtis de la loi du 10 juillet 1965, que de l’outil juridique en tant que tel. En effet, cette décision ne se comprend qu’au regard de la singularité de la nature juridique de la copropriété : une indivision perpétuelle. La perpétuité peut alors constituer une temporalité naturelle dans ce contexte parti- culier et servir à en modéliser l’organisation interne 20 . Par consé- quent, on n’est pas surpris que les relations réelles entre lots soient perpétuelles. La portée de cet arrêt du 7 juin 2018 doit donc être relativisée et cantonnée au seul contexte de la copropriété 21 ce que l’emploi du terme « lot » sans cesse répété dans sa solution dé- montre parfaitement. Ainsi, les principes précédemment dégagés 18 Cass. 3 e civ., 30 juin 2004, n° 03-11.562 : JurisData n° 2004-024376 ; D. 2005, Pan., p. 2358, obs. Mallet-Bricout ; Defrénois 2005, p. 1180, obs. Atias ; RDI 2004, p. 440, obs. Bergel ; RTD civ. 2004, p. 753, obs. Revet. 19 J. Laurent : Defrénois 25 oct. 2018, n° 42, p. 33. 20 En témoigne par exemple la jurisprudence consacrant des droits de jouissance exclusifs, privatifs et perpétuels sur parties communes, Cass. 3 e civ., 4 mars 1992, n° 90-13.145 : JurisData n° 1992-000344. 21 J. Laurent : Defrénois 25 oct. 2018, n° 42, p. 33. comme la prohibition de la perpétuité, ne sauraient être remis en cause. 21 - La Cour de cassation peaufine le régime juridique de ces fa- meux DRJS mais les incertitudes sont encore nombreuses, la thé- matique de la durée demande encore d’autres précisions. B. - Préciser 22 - De nombreuses zones d’ombre persistent, toujours en lien avec la durée. En outre, la référence au temps (durée, âge) est un élément essentiel dans l’évaluation des droits de jouissance, les modalités de valorisation d’un DRJS devraient être les mêmes. 23 - Les incertitudes relatives à la durée. – Selon la jurisprudence, la liberté de créer des DRJS s’accompagne de la liberté d’en fixer la durée. La question se déplace alors sur le quantum : quelle durée ne sera pas considérée comme portant atteinte à l’ordre public du droit des biens ? La durée de 99 ans est une durée connue du droit des biens, c’est par exemple la durée maximale de la proprié- té fiduciaire (C. civ., art. 2018) ou du droit réel de l’emphytéote (C. rur., art. L. 451-1 et s.) . Au-delà, ne peut-on pas raisonnable- ment s’interroger ? CONSEIL PRATIQUE ➜ Dans le doute, il est conseillé de constituer un droit réel de jouissance spéciale qui ne saurait excéder 99 ans. 24 - Comme on l’a vu, la durée d’un DRJS peut être alignée sur la durée de vie de son bénéficiaire. Ce caractère viager est LA règle en matière de droit de jouissance nommé lorsque le titulaire est une personne physique. La mort de l’usufruitier constitue la cause d’extinction n° 1 présentée à l’article 617 du Code civil. Les Chambres réunies de la Cour de cassation dans un arrêt du 16 juin 1933 ont en effet précisé que « tout usufruit, fût-il constitué pour une durée fixe, s’éteint de plein droit par la mort de l’usufruiter » . L’usufruit ne saurait intégrer l’actif successoral de l’usufruitier pour le temps restant à courir. Cette jurisprudence n’a jamais été remise en cause et s’applique aux droits de jouissance nommés mais s’applique-t-elle également aux droits de jouissance innom- més ? Si le titulaire d’un DRJS consenti pour une durée de 25 ans, disparaissait – par décès ou dissolution – au bout de 10 ans, son droit lui survivrait-il ? Serait-il transmis à ses héritiers, ses conti- nuateurs qui pourraient alors l’exercer jusqu’à son terme conven- tionnel ? Pour l’instant, nous n’avons pas de réponse. 25 - Les liens entre le DRJS et son titulaire appellent d’autres ques- tions en cascade. Les droits de jouissance concédés à des personnes peuvent pré- senter une dimension intuitu personae conventionnelle ou légale (C. civ., art. 631) . Quid des DRJS ? Le principe jurisprudentiel de la liberté de leur création tendrait vers l’admission d’un caractère

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