La Semaine Juridique Notariale et Immobiliere

ÉTUDE DOSSIER 1354 Page 35 LA SEMAINE JURIDIQUE - NOTARIALE ET IMMOBILIÈRE - N° 51-52 - 24 DÉCEMBRE 2021 - © LEXISNEXIS SA 11 - Au nom de la liberté contractuelle, les parties peuvent décider dans une stipulation de l’acte constitutif, de faire référence à la vie du bénéficiaire pour fixer la durée du DRJS créé. B. - Se référer à la durée de vie du bénéficiaire 12 - Selon la Cour de cassation, la référence à la durée de vie de la fondation permet de caractériser la dimension temporaire du DRJS qui lui a été consenti. 13 - La référence à « la durée de la Fondation » .– L’arrêt rendu par la troisième chambre civile le 8 septembre 2016 9 essaie de mettre un terme aux difficultés soulevées par le montage réel qui avait été convenu entre les parties en 1932. Cet arrêt Maison de Poésie II réaffirme la qualification de droit réel de jouissance spéciale qui avait été déjà retenue : « les parties avaient entendu instituer […] un droit réel distinct du droit d’usage et d’habitation régi par le Code civil » . Ce premier constat posé permet d’exclure a priori les dispositions relatives au droit d’usage légal. Puis la Cour de cas- sation applique sa jurisprudence précédente pour déterminer la durée du DRJS en l’espèce : les parties étant libres de déterminer la durée du droit créé, il convient de regarder dans l’acte constitutif si une stipulation en précise la durée, une durée qui ne saurait être la perpétuité. La solution de la troisième chambre civile reprend ces points : « […] ce droit avait été concédé pour la durée de la Fonda- tion [une durée est prévue par les parties], et non à perpétuité [la stipulation de durée ne retenant pas la perpétuité, est licite], en a exactement déduit, répondant aux conclusions dont elle était saisie, que ce droit, qui n’était pas régi par les dispositions des articles 619 et 625 du code civil, n’était pas expiré et qu’aucune disposition lé- gale ne prévoyait qu’il soit limité à une durée de trente ans ; […] » . Ce DRJS n’est pas régi par le régime supplétif du droit d’usage nommé puisqu’il existe une stipulation de durée valable ; le terme légal des droits de jouissance concédés à des personnes morales ne s’applique pas. Ainsi, il peut durer plus de 30 ans, aussi longtemps que l’existence de la personne – morale – de son titulaire. La durée de vie de la fondation constitue un terme acceptable aux yeux de la Cour de cassation 10 , un terme qui ne rend pas perpétuel ce DRJS et en confirme la dimension temporaire. De quoi laisser songeur. 14 - La référence à l’existence du titulaire. – En droit des biens, la référence à l’existence humaine est classique pour caractériser la dimension temporaire d’un droit (C. civ., art. 617) ou d’une charge sur chose d’autrui comme l’illustre la jurisprudence rela- tive à la validité de la clause d’inaliénabilité 11 . Appliquer ce terme – la fin de l’existence du titulaire – en l’espèce surprend car la durée 9 Cass. 3 e civ., 8 sept. 2016, n° 14-26.953 : JurisData n° 2016-018129 ; D. 2017, p. 134, note d’Avout et Mallet-Bricout ; RDI 2016, p. 598, obs. Bergel ; RTD civ. 2016, p. 894, obs. W. Dross ; JCP G 2016, 1172, note Laurent. 10 J. Laurent, Maison de Poésie II : combien de temps dure la perpétuité en France ? : JCP G 2016, 1172. 11 Cass. 1 re civ., 8 janv. 1975 : Bull. civ. I, n° 8, p. 9, « […] est temporaire l’inalié- nabilité stipulée pour la durée de vie du donateur ». de vie d’une personne morale et en particulier d’une fondation 12 peut rimer avec perpétuité. Même si la personne morale comme la personne physique peut être amenée à disparaître, stipuler que le DRJS s’éteindra à la date de la dissolution de son titulaire peut éloigner fortement la perspective d’un retour en jouissance du propriétaire de la chose grevée. Pourtant son retour en jouissance constitue une donnée essentielle : tout le régime juridique des droits réels de jouissance concédés à autrui est construit en consi- dération de la vocation à la pleine propriété 13 du propriétaire 14 . On pourrait même considérer que cette vocation relève de l’ordre public du droit des biens. REMARQUE ➜ La référence à la vie d’un titulaire personne physique fait office de « temporalité raisonnable à l’échelle humaine 15 » . Cette « temporalité raisonnable » est-elle respectée en cas de DRJS viager consenti à une fondation ? C’est ce qu’a admis sans réserve la Cour de cassation et l’on ne peut que le déplorer 16 . 15 - Ces certitudes font face à des incertitudes. 2. Les incertitudes 16 - Ne jamais dire jamais ! Les questions demeurent nombreuses et le praticien se doit d’être prudent. A. - Retenir la perpétuité ? 17 - Après avoir clamé haut et fort que le droit réel de jouissance spéciale « ne peut être perpétuel » , comment analyser l’arrêt du 7 juin 2018 qui semble affirmer le contraire ? En matière de copro- priété, il convient d’être nuancé quant aux conséquences à tirer des décisions rendues dans ce contexte juridique si particulier. 18 - La perpétuité et le droit réel de jouissance spéciale. – Les situa- tions complexes amènent parfois à des raisonnements qui seraient difficilement transposables dans un autre contexte. Tel est le cas semble-t-il de l’arrêt de la troisième chambre civile de la Cour de cassation, rendu le 7 juin 2018 17 dans le cadre d’une copropriété. 12 F. Terré et D. Fenouillet, Les personnes, Droit civil : Précis Dalloz, 8 e éd., 2012, n° 270, p. 256-257. 13 L’expression « pleine propriété » est entendue dans sa dimension fonction- nelle, comme la situation juridique permettant au propriétaire d’exercer les prérogatives inhérentes à sa qualité. 14 V. C. civ., art. 578. 15 J. Laurent, Maison de Poésie II : combien de temps dure la perpétuité en France ? : JCP G 2016, 1172. 16 Pour une analyse critique de cette solution, V. not. J. Laurent, Maison de Poé- sie II : combien de temps dure la perpétuité en France ? : JCP G 2016, 1172. – N. Kilgus, Retour sur la perpétuité des droits réels de jouissance spéciale : JCP G 2021, 462. 17 Cass. 3 e civ., 7 juin 2018, n° 17-17.240 : JurisData n° 2018-009366 ; RDI 2018, p. 448, obs. Bergel ; RTD civ. 2018, p. 712, obs. Dross ; JCP G 2018, 893, note Périnet-Marquet ; Defrénois 25 oct. 2018, p. 33, note Laurent.

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