La Semaine Juridique Notariale et Immobiliere
1354 ÉTUDE DOSSIER Page 34 © LEXISNEXIS SA - LA SEMAINE JURIDIQUE - NOTARIALE ET IMMOBILIÈRE - N° 51-52 - 24 DÉCEMBRE 2021 cables aux droits réels de jouissance concédés à autrui, le DRJS partage avec les modèles nommés certains traits comme par exemple leur caractère temporaire. A. - Éviter l’article 619 du Code civil 5 - L’article 619 du Code civil prévoit que « L’usufruit qui n’est pas accordé à des particuliers ne dure que trente ans » . La Cour de cassation considère que ce texte constitue une disposition impé- rative relevant de l’ordre public du droit des biens 4 . Les parties ne sauraient dans leur convention prévoir que l’usufruit consenti à une personne morale soit d’une durée supérieure à la durée légale de 30 ans. Si l’usufruit peut être viager lorsque l’usufruitier est une personne physique, cette réalité ne connaît pas de transposition s’agissant de l’usufruitier, personne morale : son usufruit s’éteint nécessairement au bout de 30 ans. REMARQUE ➜ La règle est identique pour le droit d’usage et le droit d’habitation qui « se perdent de la même manière que l’usu- fruit » (C. civ., art. 625) . 6 - Le droit réel innommé peut ne pas être régi par les disposi- tions applicables aux droits réels sur chose d’autrui nommés : cet aspect constitue un élément de stratégie juridique non négligeable dès lors que les parties souhaitent éviter l’application de certains textes du Code civil, notamment de son article 619. Tel pourrait être l’enseignement à tirer de la saga jurisprudentielle Maison de Poésie initiée par l’arrêt de la troisième chambre civile de la Cour de cassation du 31 octobre 2012. La durée d’un DRJS rentre dans le champ contractuel et peut être librement déterminée par les parties. 7 - L’arrêt Maison de Poésie I. – Par acte notarié des 7 avril et 30 juin 1932, une vente intervient entre une fondation, « La Mai- son de Poésie » et un acquéreur, « la Société des auteurs et composi- teurs dramatiques » . Cette vente met en place l’organisation réelle suivante : l’acquéreur accepte de laisser la jouissance du deuxième étage et des locaux occupés par la Fondation à celle-ci et ce gratui- tement durant toute son existence. En outre, l’acquéreur s’il sou- haite récupérer l’usage de ses biens immobiliers dont la jouissance a été réservée au vendeur, doit fournir à la Fondation, des locaux de remplacement. La Cour de cassation s’appuyant sur la volonté des parties écarte la qualification de droit d’usage en retenant que le propriétaire a constitué « un droit réel conférant le bénéfice d’une jouissance spéciale de son bien » à la Fondation « pendant toute la durée de son existence » . Cette dernière peut rester dans les lieux : son droit n’étant pas régi par l’article 619 du Code civil, il ne s’est pas éteint au bout de 30 ans. 8 - L’arrêt se concentre sur la question de la durée du DRJS et détourne notre attention de l’interrogation majeure : en quoi cette 4 Cass. 3 e civ., 7 mars 2007, n° 06-12.568 : JurisData n° 2007-037924. concession d’utilités était-elle spéciale au point de ne pas pouvoir se fondre dans le moule du droit d’usage nommé 5 ? La Cour de cassation n’y répond pas. Elle prend acte de la qualification rete- nue par les parties et leur permet d’aligner la durée du droit réel de jouissance spéciale qu’elles ont constitué, sur celle de l’existence de la Fondation tel un droit viager consenti à une personne morale. Ce choix jurisprudentiel compte tenu de la spécificité du titulaire en l’espèce pose ouvertement la question de la possible constitu- tion d’un DRJS perpétuel, question à laquelle la Cour n’apporte pas de réponse dans cet arrêt de 2012, la saga jurisprudentielle commence. 9 - La détermination de la durée d’un droit réel de jouissance spé- ciale est un enjeu majeur que maîtrisent les parties. 10 - La liberté de fixer la durée. – Suite à l’arrêt Maison de Poésie I, la troisième chambre civile a l’occasion de peaufiner son analyse. Elle précise que la liberté de création d’un DRJS comprend na- turellement la liberté d’en fixer la durée. Sa décision du 28 jan- vier 2015 6 insiste sur la nécessité de prévoir par une stipulation contractuelle dans l’acte constitutif, le temps pour lequel il est accordé ; à défaut il ne saurait être perpétuel. En l’espèce, un droit d’usage sur un lot de copropriété a été consenti à une société. Le contentieux porte là encore sur la durée de cette concession d’uti- lités qu’aucune stipulation contractuelle n’encadre. La Cour de cassation retient qu’en l’absence de terme conventionnel, le terme légal sera appliqué, le régime du droit d’usage nommé devenant le régime supplétif du DRJS. Sur ce point, on ne saurait être éton- nés, le droit réel de jouissance spéciale « n’est rien d’autre qu’une réplique du droit d’usage puisque son intérêt est d’ériger en droit réel une utilité réduite » 7 de la chose. L’absence de durée dans l’acte constitutif ne permet pas aux par- ties de s’affranchir de l’application des articles 619 et 625 du Code civil. Pour neutraliser ces textes, il convient d’indiquer dans la convention une durée. L’absence de précision conduit à l’appli- cation de la durée légale de 30 ans en présence d’un titulaire, per- sonne morale. L’absence de terme ne rend pas perpétuel le droit réel constitué, de la même façon, la stipulation de perpétuité n’est pas admise : « […] un droit réel, conférant le bénéfice d’une jouis- sance spéciale de son bien, […] ne peut être perpétuel […] » . La troisième chambre civile de la Cour de cassation renouvellera cette solution dans un arrêt du 4 mars 2021 8 . 5 Th. Revet, Le droit dit « de jouissance spéciale » et le temps : JCP G 2015, 252. 6 Cass. 3 e civ., 28 janv. 2015, n° 14-10.013 : JurisData n° 2015-001087 ; D. 2015, p. 599, note Mallet-Bricout ; RDI 2015, p. 175, obs. Bergel ; RTD civ. 2015, p. 413, obs. Dross ; JCP G 2015, 252, note Revet ; JCP N 2015, n° 8-9, 1083, note Julienne et Dubarry ; Defrénois 2015, p. 419, note Andreu et Tho- massin. 7 F. Zenati-Castaing, La proposition de refonte du livre II du Code civil : RTD civ. 2009, p. 211 s., § 24. 8 Cass. 3 e civ., 4 mars 2021, n° 19-25.167 : JurisData n° 2021-002991 ; RDI 2021, p. 281, obs. J.-L. Bergel ; RTD civ. 2021, p. 441, obs. Dross ; Gaz. Pal. 2021, n° 425d2, p. 74, obs. J. Laurent.
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