La Semaine Juridique Notariale et Immobiliere
ÉTUDE DOSSIER 1354 Page 33 LA SEMAINE JURIDIQUE - NOTARIALE ET IMMOBILIÈRE - N° 51-52 - 24 DÉCEMBRE 2021 - © LEXISNEXIS SA Ndlr : cette intervention a été conçue pour les Journées notariales du patrimoine 2021, dont les actes sont reproduits dans le présent numéro de la revue : JCP N 2021, n° 51-52, 1352-1361 . 1 - L’arrêt Caquelard 1 rendu le 13 février 1834 par la chambre des requêtes suscita en son temps peu d’enthousiasme. Pourtant la Cour de cassation avait voulu marquer les esprits en retenant le principe de liberté de création des droits réels permettant aux parties de façonner du sur-mesure en la matière. À l’opposé, se développa le principe du numerus clausus prônant une interpréta- tion stricte de l’article 543 du Code civil et limitant les concessions d’utilités envisageables aux seuls droits réels nommés. Cité dans les manuels de droit des biens comme l’un de ses principes direc- teurs, le numerus clausus des droits réels a prospéré en doctrine 2 . La frilosité de la pratique à s’aventurer dans l’innommé réel a pu conforter l’idée de la soumission des concessions d’utilités aux modèles légaux. 1 Cass. req., 13 févr. 1834 : S. 1834, 1, p. 205. – H. Capitant, F. Terré et Y. Le- quette, Les grands arrêts de la jurisprudence civile, t. 1 : Dalloz, 12 e éd., 2007, n° 65 (arrêt Caquelard). 2 Ch. Atias, Droit civil, Les biens : Litec, 5 e éd., 2000, n° 44-a, p. 60-62, not. « L’autorisation de l’arrêt Caquelard va sonner le glas des droits réels origi- naux », p. 61. 2 - L’arrêt du 31 octobre 2012 3 rendu par la troisième chambre civile de la Cour de cassation dit arrêt Maison de Poésie I réaffirme haut et fort ce principe de liberté de création des droits réels : « Vu les articles 544 et 1134 du code civil ; Attendu qu’il résulte de ces textes que le propriétaire peut consentir, sous réserve des règles d’ordre public, un droit réel conférant le bénéfice d’une jouissance spéciale de son bien ; […] » . Droit de propriété et liberté contrac- tuelle en constituent les illustres fondements. La jurisprudence Caquelard de 1834, après deux siècles de patience, allait-elle enfin connaître son heure de gloire ? 3 - Non, le constat est sans appel. La réaffirmation en 2012 de la liberté de création des droits réels n’a pas suscité un engouement particulier. Le contentieux s’est limité à la seule question de la durée maximale pouvant être retenue pour un droit réel de jouis- sance spéciale, question qui a même tourné à l’obsession. La Cour de cassation au fil de ses décisions a dégagé des principes en la matière qui semblent aujourd’hui fixés. Toutefois, à côté de ces certitudes, demeurent de nombreuses incertitudes. 1. Les certitudes 4 - Les montages qui ont donné lieu à de la jurisprudence récente mettent tous en scène un titulaire personne morale. La qualifica- tion de droit réel de jouissance spéciale – DRJS – semble utilisée pour éviter le « fameux » article 619 du Code civil. Même si son régime juridique peut s’affranchir des dispositions légales appli- 3 Cass. 3 e civ., 31 oct. 2012, n° 11-16.304 : JurisData n° 2012-024285 ; R. 444 ; D. 2012, p. 2596, obs. Tadros ; RDI 2013, p. 80, obs. Bergel ; JCP G 2012, 1400, note Testu ; RDC 2013, p. 627, obs. Seube. Le droit réel de jouissance spéciale Bilan jurisprudentiel de la pratique : l’obsession de la durée La révolution réelle que nous promettait la jurisprudence Maison de Poésie I est loin d’avoir eu lieu. Le droit réel de jouissance spéciale continue d’être cet outil juridique non identi- fié dont la caractérisation fait défaut. En effet, le contentieux s’est cristallisé sur la seule question de sa durée et des possibilités de s’affranchir du délai impératif de 30 ans de l’article 619 du Code civil lorsque son titulaire est une personne morale. La Cour de cassation a essayé de dégager des principes qui semblent aujourd’hui fixés, toutefois, l’appel à la prudence reste de mise. 1354 DROIT RÉEL DE JOUISSANCE SPÉCIALE Étude rédigée par : Céline Kuhn, maître de conférences à l’université de La Réunion
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