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11 Ce qui a pour effet de porter directement atteinte à l’opération de prévoyance que le souscripteur a souhaitée. Il en résulte que ce droit revêt un caractère personnel, c’est-à-dire qu’il ne peut pas être exercé par une autre personne que son titulaire. Cette approche classique de l’assurance-vie appartient ce- pendant pour partie au passé. Par petites touches, le droit positif porte atteinte à « la spécificité du droit à rachat que peut détenir le souscripteur d’un contrat d’assurance-vie [...] pour (le..) rapprocher d’un simple droit de créance » 3 , de sorte que les possibilités de saisie d’un contrat d’assurance vie sont plus nombreuses qu’autrefois, qu’il s’agisse de la valeur représentative des primes ou du droit de rachat. A. - Possibilités de saisie des primes 4. - La particularité du mécanisme de l’assurance-vie est que la compagnie d’assurance-vie n’étant pas dépositaire des valeurs transmises, la souscrip- tion d’un tel contrat fait naître trois valeurs économiques différentes : celle des primes, celle de la ou des garanties et celle, éventuellement, du droit de rachat. 5. - La possibilité de saisie des primes, définitivement aliénées au profit de l’as- sureur, est limitée par l’article L. 132-14 du Code des assurances à trois hypo- thèses : la fraude paulienne, l’exagération manifeste et le versement en période suspecte. De prime abord, celles-ci apparaissent comme très exceptionnelles. Sans aucun doute, les hypothèses de fraude paulienne sont rares en pratique. Sauf les hypothèses où le versement de primes réalise une donation (l’acte est donc à titre gratuit, ce qui exclut de rechercher la connaissance par l’assureur du préjudice subi), la demande a peu de chance de prospérer sur ce fondement. 6. - Chaque sujet de droit est en effet libre d’organiser son patrimoine comme il l’entend et de couvrir à la hauteur qu’il souhaite les risques liés à l’incertitude de la durée de la vie humaine. Par conséquent, le créancier de l’adhérant ne peut, au soutien de sa demande, simplement faire valoir que la réorganisation par le débiteur de son patrimoine a été opérée après la naissance de la créance litigieuse. C’est la raison pour laquelle les applications de la fraude paulienne à l’assurance-vie sont en jurisprudence rares 4 . Telle est la position de la Cour de cassation, pour laquelle, la seule constatation que le patrimoine du débi- teur était constitué, pour une partie importante, de contrats d’assurance sur la vie, alors insaisissables, ne permettait pas au comptable public de rapporter la preuve d’une organisation volontaire d’insolvabilité 5 . Concrètement, le créan- cier ne pourra utilement agir que s’il établit qu’il détenait cette qualité avant l’acte, c’est-à-dire avant la souscription du contrat, ou le paiement de primes très importantes, et qu’il prouve le caractère frauduleux de ce versement. En d’autres termes, il ne peut pas y avoir de fraude paulienne si la restructuration du patrimoine est effectuée en amont, c’est-à-dire avant la naissance de la créance dont le titulaire souhaite le recouvrement forcé 6 , à moins que, lors de la réorganisation du patrimoine au profit de l’assurance vie, la naissance future de la dette fût inéluctable et eût donc été anticipée. 3. V. F. Fruleux, Michel Leroy, Primes d’assurance-vie manifestement exagérées : appréciation et objet de la réintégration : JCP N 2021, n° 13, 1146. 4. V. par ex., CA Bordeaux, 5e ch. civ., 13 oct. 2010, n° 09/3396. 5. Cass. 1re civ., 17 juin 2015, n° 14-19.720. – Position antérieure à l’entrée en vigueur de l’article 41 de la loi du 6 décembre 2013(L. n° 2013-1117, 6 déc. 2013 relative à la lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique et financière). 6. V. par ex., CA Bordeaux, 5e ch. civ., 13 oct. 2010, n° 09/3396. Dans cette affaire, Le placement initial ainsi que le versement de la plupart des primes avaient eu lieu avant la naissance de la créance. 7. Par exemple, une personne adhère en novembre 2005, à un contrat d’assurance sur la vie, en effectuant un versement de 90 000 €. Le même jour, elle a adhéré à un second contrat soumis aux mêmes modalités pour lequel elle a effectué un versement de 85 773 €. Par la suite, les deux contrats sont apportés en nantissement pour la garantie de prêt bancaire. Or, en l’espèce, le souscripteur avait reçu, le 20 septembre 2005, de sa banque une mise en demeure de régler une somme de 98 235,37 €. Et le même jour, le juge de l’exécution a autorisé la C.C.M. à pratiquer une saisie conservatoire à hauteur de 108 000 € sur toutes sommes détenues par le débiteur. Pour la cour d’appel, « la souscription des deux contrats d’assurance, qui a pour eu pour effet de faire sortir du patrimoine [...]. un montant de plus de 175 000 €, a suivi une tentative de saisie conservatoire au préjudice de l’intéressée entre les mains d’un notaire ainsi qu’une assignation en paiement d’une dette en principal de près de 100 000 € ; la chronologie traduit l’intention de Mme R. de se soustraire à ses engagements en faisant obstacle au paiement de la créance de la C.C.M » (CA Colmar, 1re ch. civ., sect. A, 19 juin 2013, n° 10/04584 : JurisData n° 2013-013169). 8. Cass. 1re civ., 16 déc. 2020, n° 19-17.517 : JurisData n° 2020-021279. 7. - En dehors de cette exception, seul le versement de primes versées après la naissance de la dette pourrait être considéré comme constitutif d’une fraude 7 . Encore faut-il établir la volonté du souscripteur de porter atteinte aux droits des créanciers. Cette preuve sans doute sera établie si les primes sont manifestement exagérées lors de leur versement. En effet, si le versement de la prime est causé par la volonté de nuire au créancier, celui-ci n’est pas utile au souscripteur. En d’autres termes, les critères dégagés par la Cour de cas- sation pour apprécier l’exagération ne servent qu’à une seule fin : rechercher la cause du versement. L’intention de nuire au créancier en rendant illusoire son recours démontre l’exagération manifeste. C’est la raison pour laquelle en pratique, le demandeur fondera sa demande de saisie, tant sur la fraude paulienne que sur l’exagération manifeste dans le versement des primes. Aux termes de l’article L. 132-14 du Code des assurances, les créanciers « ont seulement droit au remboursement des primes, dans le cas indiqué par l’ar- ticle L. 132-13 » . Le renvoi opéré par ce texte ne donne qu’une indication : à savoir l’effet pour le créancier d’une action fondée sur l’exagération. Celle-ci lui permettrait d’effectuer une saisie entre les mains de l’assureur d’une va- leur représentative des primes exagérés, toute la prime mais que la prime 8 . 8. - Faut-il penser également ce renvoi à l’article L. 132-13 du Code des assu- rances, comme signifiant l’existence de critères communs pour l’appréciation de cette notion ? La Cour de cassation ne l’a jamais exprimé ainsi. En sens contraire, il peut être avancé que la construction prétorienne de l’exagération manifeste a été essentiellement pensée pour le contentieux de la réintégration dans la succession, et qu’à cette fin, elle s’est considérablement affranchie des termes de l’article L. 132-13 précité, lequel ne vise que les facultés du contractant. De là à penser que ces critères ne sont applicables que dans ce contentieux-là, il n’y a qu’un pas que nous refusons de franchir. Cette notion est en effet fondamentale dans le régime juridique de l’assurance-vie puisque sa reconnaissance prive le souscripteur du bénéfice de certaines de ses dis- positions : - perte de la dispense de récompense dont bénéficie le conjoint commun en bien (C. assur., art. L. 132-16) ; - perte de la dispense de rapport ou de réduction dont bénéficie l’attribu- taire de la garantie décès dans le règlement de la succession de l’assuré (C. assur., art. L. 132-13, al. 2) ; - perte partielle de l’insaisissabilité de la valeur du contrat d’assurance vie non dénoué. 9. - L’exagération atteste donc, selon nous, du détournement du contrat de sa fonction première, le souscripteur n’entendant pas, lors du versement de la prime, utiliser l’assurance-vie pour couvrir un risque mais pour assouvir une autre finalité. Il est donc logique qu’il perde le bénéfice des règles attachées à cette fonction particulière. Il nous semble donc que les critères de l’exagéra- tion sont les mêmes quel que soit son domaine d’application. Une explication simple peut être avancée, et elle assure une cohérence dans le droit de l’exa-
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