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STRATÉGIED'ENTREPRISE 86 principes généraux du droit des contrats (droit commun et droit spécial), du droit des sociétés et du droit du travail. 1. Approche civiliste de la nature des attributions gratuites d’actions 3. - Analyse combattue : une obligation contractuelle ferme. - À lire la doctrine autorisée, « lorsqu’elle est précise et complète en raison des condi- tions fixées par le conseil d’administration (ou le directoire), l’attribution revêt selon nous les caractéristiques d’une obligation juridique et constitue de ce fait un engagement unilatéral pour la société. La suppression des attributions, ou même la modification de leurs conditions essentielles (telles que le délai d’acquisition ou d’indisponibilité des actions), ne peut donc intervenir qu’avec l’accord des bénéficiaires » 4 . Il est encore ajouté que : « pendant la période d’acquisition des actions, fixée par le conseil d’administration (le directoire, ou les dirigeants) en respectant le minimum prévu par l’assemblée et jusqu’à leur attribution définitive à l’issue de cette période, les attributaires ne béné- ficient à notre avis que d’un simple droit de créance personnel » 5 . Il semble que la doctrine citée s’appuie sur l’article 1100-1 du Code civil aux termes duquel les actes unilatéraux « obéissent, en tant que de raison, pour leur validité et leurs effets, aux règles qui gouvernent les contrats ». L’analyse est surprenante dès lors que la théorie de l’engagement unilatéral de volonté est subsidiaire en droit des contrats (qui n’est pas sans penser à la théorie des quasi-contrats) 6 , sous réserve qu’une autre qualification n’ait pas vocation à s’appliquer et qu’une disposition légale (spéciale) puisse le justifier. Parfois est cité en référence l’article 1116 du Code civil sur la sanction de la rétrac- tation de l’offre avant le délai d’acceptation, alors même que la responsabilité est non pas contractuelle, mais extracontractuelle. De nouveau, l’argumen- tation n’apparaît pas solide. Enfin, on pourrait éventuellement soutenir plus directement que le plan s’analyse en une promesse d’attribution des actions soumises à la réalisation des conditions de présence voire de performance à terme, acceptée implicitement par chaque bénéficiaire. Ainsi, le plan ne peut être modifié que dans les termes et conditions prévus (comme, en pratique, certains plans le prévoient). En dehors d’une clause de prévision, à suivre cette position dans le contexte économique et financier actuel, il faudrait mo- biliser la théorie de l’imprévision pour modifier ou résilier (judiciairement à défaut d’accord amiable) les plans d’attribution gratuite d’actions. Or, l’article 1195 du Code civil est, en droit ( C. mon. fin., art. L. 211-40-1 ) 7 et en fait, inapplicable en matière d’attribution gratuite d’actions. Comment envisager, pour un dispositif collectif de rémunération complémentaire, une renégocia- tion individuelle avec chacun des bénéficiaires des modalités d’exécution des obligations ? Cette analyse constitue une impasse. 4. Mémento Sociétés commerciales 2020 : éd. Francis Lefebvre, 2019, § 70220. - J. Prieur, L’attribution d’actions gratuites : la nouvelle donne juridique et fiscale : RD bancaire et fin. 2005, dossier 1, n° 21. 5. Mémento Sociétés commerciales 2020, préc., § 70300. - V. BOI-RSA-ES-20-20-10-20-20170724. 6. V. C. Grimaldi, Quasi-engagement et engagement en droit privé. Recherche sur les sources de l’obligation, préf. Y. Lequette, t. 23 : Defrénois, coll. Doctorat & Notariat, 2007. 7. « L’article 1195 du code civil n’est pas applicable aux obligations qui résultent d’opérations sur les titres et les contrats financiers». 8. Aux termes de l’article 1105 du Code civil, « Les contrats, qu’ils aient ou non une dénomination propre, sont soumis à des règles générales, qui sont l’objet du présent sous-titre. Les règles particulières à certains contrats sont établies dans les dispositions propres à chacun d’eux. Les règles générales s’appliquent sous réserve de ces règles particulières ». Les contrats nommés sont ceux définis ou spécialement encadrés par des dispositions légales au sein du Code civil ou d’un autre code. Les contrats innommés, ou sui generis, constituent une convention inconnue des classifications légales et ne sont ainsi pas organisés spécialement par la loi. Ils sont principalement gouvernés par le droit commun des contrats (V. Cass. 1re civ., 13 févr. 1967 : Bull. civ. I, n° 59, visant « les principes généraux du droit ») ou les règles spéciales applicables à tous les contrats (V. Cass. com., 17 mars 1992, n° 90-17.364 : JurisData n° 1992-000472 sur la continuation des contrats en cours). 9. Cass. 2e civ., 20 sept. 2005, n° 03-30.709 : JurisData n° 2005-029769 ; Bull. civ. II, n° 223 ; JCP E 2006, 1047, note R. Vatinet ; JCl. Sociétés Traité, Synthèse 170. 10. V. Cass. com., 9 juin 2009, n° 08-15.592 : JurisData n° 2009-048566. - B. Fages, La nécessaire notification des évènements faisant courir le délai d’option : RTD civ. 2010, p. 101. 11. Cass. soc., 1er déc. 2005, n° 04-41.277 : JurisData n° 2005-030990. - Cass. soc., 2 févr. 2006, n° 03-47.180 : JurisData n° 2006-032089 ; JCP E 2006, 2200, note R. Vatinet. 12. Il n’est donc pas exact, à notre avis, d’affirmer que, « à l’instar des stock-options, la nature contractuelle du dispositif nous paraît s’imposer » (J.-B. Cottin, Actionnariat des salariés : JCl. Commercial, fasc. 1201, § 72). 4. - Analyse défendue : une promesse de don révocable . - Face à une situation juridique, il convient de réaliser une opération de qualification pour lui appliquer un régime juridique précis. Avant de se réfugier dans le droit commun des contrats et une éventuelle qualification en engagement unilaté- ral de volonté soumis à la force obligatoire des contrats, par le jeu d’une ap- plication combinée des articles 1100-1 et 1103 du Code civil, il est nécessaire de vérifier s’il n’y a pas une qualification contractuelle spéciale qui puisse être reconnue 8 . En droit des sociétés, la Cour de cassation a déjà été confrontée à des opérations juridiques a priori atypiques qu’elle a pour autant rattachées à des figures contractuelles nommées. L’illustre la question des options de souscription d’actions. Alors que la doctrine oscillait entre un contrat définitif (au motif que l’offre de contrat dans l’intérêt du bénéficiaire est présumée ac- ceptée) et un engagement unilatéral de la société à caractère collectif, la Cour de cassation a jugé avec fermeté et en totale orthodoxie que « l’option d’achat d’actions, instituée par la loi n° 70-1322 du 31 décembre 1970, constitue une promesse unilatérale faite par une société par actions à certains de ses salariés ou mandataires sociaux de leur vendre [...] un nombre déterminé de ses actions dans un délai et moyennant un prix définitivement fixés » 9 . L’ac- ceptation serait matérialisée par la communication de la délibération sociale faite au profit des bénéficiaires 10 . L’analyse contractuelle est confirmée par la jurisprudence qui sanctionne, sur le fondement de la responsabilité contrac- tuelle, la perte de chance de lever les options en cas de licenciement sans cause réelle et sérieuse 11 . Enfin, cette nature juridique justifierait l’intangibi- lité des conditions de l’option (C. com., art. L. 225-181) . Il convient d’adopter une méthodologie identique en matière d’attribution gratuite d’actions, tout en ayant à l’esprit que les stock-options et les attributions gratuites d’actions n’ont pas la même économie. À la différence des stock-options, les actions gratuites sont attribuées sans contrepartie financière et constituent de ce fait un gain certain (ou une absence certaine de perte en l’absence de réalisation des conditions) pour leurs bénéficiaires. Grâce au mécanisme d’attribution gratuite d’actions, le bénéficiaire est toujours gagnant même en cas d’évolu- tion à la baisse du cours de Bourse. Les deux opérations ne peuvent pas avoir la même nature juridique, ni le même régime juridique 12 . En principe, dans le cadre d’un contrat de société, l’octroi de parts ou d’actions suppose un apport. C’est une exigence essentielle posée à l’article 1832 du Code civil. En ce sens, le contrat d’apport est synallagmatique. Par exception, la loi permet de déroger à cette règle en prévoyant l’attribution gratuite d’actions. Il s’agit donc d’un contrat unilatéral (C. civ., art. 1106, al. 2) . Sans contrepartie, il s’agit donc d’un contrat à titre gratuit (C. civ., art. 1107, al. 2) . L’objet du contrat d’attribution gratuite d’actions porte sur le transfert irrévocable, à terme, d’un bien meuble incorporel ; il s’agit donc d’une donation au sens de l’article 894 du Code civil : « La donation entre vifs est un acte par lequel le donateur se dépouille actuellement et irrévocablement de la chose donnée en faveur du
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