21ALLPB031

STRATÉGIED'ENTREPRISE 78 pas sanctionné par la nullité » des actes ou délibérations pris par les organes d’une société commerciale. Cette solution jurisprudentielle, qui n’est pas nou- velle 22 et qui est regrettable 23 , refuse de sanctionner la violation des règles de gouvernance que les associés ont adoptées dans les statuts de leur société. En l’espèce, l’article 15 impose l’unanimité. Cette disposition détermine les conditions dans lesquelles une décision sociale doit être prise. Si ses condi- tions ne sont pas remplies, une décision ne peut pas être prise de sorte que la société n’est pas engagée. En conséquence, les délibérations litigieuses, faute d’accord du deuxième associé, constituent non pas la volonté de la société mais la seule volonté de M. W. C’est donc sans autorisation de la société que celle-ci a versé les augmentations de rémunération critiquées : ce qui suffit à légitimer la demande en remboursement. La demanderesse aurait dû, au lieu de conclure à l’annulation d’une décision qui n’existe pas, seulement deman- der le remboursement des rémunérations versées en l’absence de décision sociale les autorisant. 22. - Un regroupement d’actionnaires minoritaires contestant la gouvernance de la société peut donner lieu à un autre type de conflit. L’actionnariat de la société Riber cotée en bourse était réparti entre deux groupes rivaux : le groupe G, détenant 28 % des droits de vote et dirigeant la société, et le groupe K détenant 24 % des droits de vote, le solde étant réparti dans le public. Les actionnaires du groupe K veulent renforcer leur représentation au conseil de surveillance, ce qu’ils obtiennent en votant ensemble pour l’élection de trois nouveaux membres qu’ils avaient choisis. La commission des sanctions 24 de l’Autorité des marchés financiers puis la cour d’appel de Paris 25 considèrent que ces personnes ont agi de concert 26 . À cette fin elles retiennent que les ac- tionnaires du groupe K ont conjointement préparé l’élection de trois personnes pour renforcer leur participation au conseil de surveillance et, après leur élec- tion, ont continué leur action commune en échangeant, entre eux et avec ces trois personnes, des informations sur la gestion de la société, et ont poursuivi, au travers de ces trois personnes, une politique commune concernant la ges- tion de la société. La Cour de cassation rejette les pourvois le 2019 27 . 23. - Il n’y a pas lieu ici de s’interroger sur les éléments constitutifs de l’action de concert, mais il importe de rappeler que les actionnaires qui partagent leurs vues sur l’organisation de la gouvernance de la société s’exposent au risque d’être qualifiés de concertistes. L’action de concert entraîne l’agré- gation de leurs actions et droits de vote ; si cette agrégation les conduit à franchir des seuils dans le capital et les droits de vote de la société, ils doivent déclarer (C. com., art. L. 233-7) ces franchissements sous peine de privation temporaire de leurs droits de vote excédant les seuils franchis (C. com., art. L. 233-14) ; de plus, en cas de franchissement du seuil de 30 %, ils ont à 22. Cass. com., 30 mai 2012, n° 11-16.272, F-P+B, SARL First Racing c/ G. : JurisData n° 2012-011529 ; BJS sept. 2012, p. 615, note A. Gaudemet ; JCP E 2012, 1525, note M. Roussille ; D. 2012, p. 1478, note A. Lienhard ; D. 2012, p. 1581, note B. Dondero. - Cette décision s’inscrit dans le courant de l’arrêt Larzul : Cass. com., 18 mai 2010, n° 09-14.855, FS P+B+R+I : JurisData n° 2010-006635 ; BJS juill. 2010, p. 651, n° 135, note H. Le Nabasque ; Dr. sociétés 2010, comm. 156, note M.-L. Coquelet ; JCP E 2010, 1562, note A. Couret et B. Dondero ; JCP E 2011, 1000, spéc. n° 2, obs. F. Deboissy et G. Wicker. 23. A. Couret, Repenser la question des nullités en droit des sociétés : BJS juin 2020, n° 120y7, p. 46. 24. AMF CDS, 2 juin 2015, SAN 2015-11. 25. CA Paris, 31 mars 2016, n° 2015/12351 : RTDF 2017, n° 1, p. 117, note D. Martin, B. Kanovitch, F. Haas et M. Epelbaum ; BJS juin 2016, n° 114j8, p. 247, note F.-M. Laprade. 26. L’action de concert est visée par l’article L. 233-10 du Code de commerce qui énonce : « Sont considérées comme agissant de concert les personnes qui ont conclu un accord en vue d’acquérir, de céder ou d’exercer des droits de vote, pour mettre en œuvre une politique commune vis-à-vis de la société ou pour obtenir le contrôle de cette société ». 27. Cass. com., 9 janv. 2019, n° 16-14.727 : JurisData n° 2019-000168 ; BJS avr. 2019, n° 119s0, p. 16, note D. Bompoint et V. Ramonéda ; BJB juill. 2019, n° 118k4, p. 34, note Ch. Goyet ; JCl. Sociétés Traité, Synthèse 200. 28. Plan d’action : Droit européen des sociétés et gouvernance d’entreprise, Un cadre juridique moderne pour une plus grande implication des actionnaires et une meilleure viabilité des entreprises, Commission européenne, Com (2012) 740/2, déc. 2012. 29. A. Couret, Le droit de critique de l’associé : BJS nov. 2020, n° 121j3, p. 22. 30. V. la recommandation AMF n° 2012-05, Les assemblées générales d’actionnaires de sociétés cotées, 2 juill. 2012, mise à jour oct. 2018. 31. Comment les actionnaires contestataires d’Unibail ont réussi à convaincre : Les Échos, 16 nov. 2020. déposer une offre publique d’achat des titres de la société. Ces contraintes invitent à la prudence les actionnaires désirant peser sur la gouvernance de la société et se grouper pour exercer leurs droits, bien qu’il soit par ailleurs normal, souhaitable et souhaité 28 que les actionnaires échangent entre eux leurs informations et leurs attentes. Lorsque les statuts imposent l’unanimité pour la prise d’une décision collec- tive, le vote d’un seul associé ne crée pas une décision sociale et n’engage donc pas la société 3. Les conflits sur la stratégie 24. - Nous entendons par « stratégie » les choix d’objectifs et de moyens orien- tant l’activité de la société. La stratégie est arrêtée par la direction générale et le conseil d’administration « détermine les orientations de l'activité de la société et veille à leur mise en œuvre » (C. com., art. L. 225-35) . L’assemblée géné- rale confirme ces choix et orientations ou les désapprouve soit en révoquant ou en nommant des mandataires sociaux, soit en rejetant les résolutions qui lui sont soumises destinées à mettre en œuvre cette stratégie. L’actionnaire à titre individuel n’a pas de pouvoir de décision (sauf s’il contrôle la société) mais il a un droit de critique 29 et jouit d’un pouvoir de proposition ; celui-ci s’exerce dans le cadre du « dialogue actionnarial » avec l’émetteur 30 , notamment par des entretiens avec un dirigeant ou un administrateur référent, et par le dépôt de questions écrites et/ou de projets de résolution ; enfin, l’actionnaire s’exprime par le vote et, le cas échéant, en exerçant des actions en justice. 25. - Le directoire de la société Unibail-Rodamco-Westfield, avec l’approbation du conseil de surveillance, élabore en 2020 un plan « Reset » en vue de redres- ser la structure financière de la société ; ce plan comprend principalement une augmentation de capital de 3,5 milliards d’euros. Trois actionnaires minoritaires mènent une campagne de contestation auprès d’actionnaires et d’agences de conseil en vote ; ils estiment inappropriée l’augmentation de capital et préco- nisent la cession de certains actifs. L’assemblée générale tenue à huis clos le 10 novembre 2020 prend acte du résultat des votes sur le projet d’augmentation de capital : la résolution ne réunit pas les 2/3 des voix. L’assemblée délibère ensuite sur trois projets de résolution présentés par des minoritaires et non agréés par le directoire et le conseil de surveillance : ces projets ont pour objet la nomination au conseil de trois membres supplémentaires, à savoir les trois minoritaires ayant déclenché la contestation. Ils sont élus à une majorité de 60 % des voix 31 . À la suite de ces votes, le directoire et la présidence du conseil de surveillance changent de main à la demande des nouveaux élus.

RkJQdWJsaXNoZXIy MTQxNjY=