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77 nant 48 % du capital de la société Lagardère SCA tendant à la nomination d’un mandataire chargé de convoquer une assemblée générale. Ces deux commandi- taires reprochent principalement au conseil de surveillance d’avoir renouvelé par anticipation le 17 août 2020 le mandat du gérant venant à terme fin mars 2021. Les statuts ne permettent pas au conseil de surveillance de révoquer le gérant mais lui permettent de s’opposer au renouvellement de son mandat. Aussi les demandeurs réclament la convocation d’une assemblée ayant pour ordre du jour la révocation de membres du conseil et la nomination de nouveaux membres : ils entendent que le conseil nouvellement composé rapporte la décision du 17 août 2020 avant la fin du mois de mars 2021 et prenne position sur le renouvellement ou non du mandat du gérant. Pour rejeter leur demande, le tribunal de commerce estime que le conseil de surveillance est en mesure de remplir ses missions et retient que Amber et Vivendi ne démontrent pas « que les nominations qu'ils sollicitent auraient pour objet d'aboutir à un meilleur fonctionnement du conseil de surveillance et, plus généralement, de la société » . On observe que le tribunal apprécie l’opportunité des mesures à soumettre à l’assemblée et impose aux demandeurs une preuve impossible : on ne conçoit pas comment la démonstra- tion qu’il réclame pourrait être administrée puisque ladite amélioration dépend de la composition qui sera finalement décidée et de la façon dont les membres de cet organe rempliront leur mission. 17. - Sur appel de cette décision, la cour d’appel de Paris déclare qu’il ne lui revient pas « de rechercher s'il est opportun ou non de révoquer puis de nommer des membres du conseil de surveillance à quelques semaines de l'assemblée générale annuelle, mais seulement de déterminer s'il est ou non conforme à l'intérêt social de la société de permettre à l'assemblée générale de se prononcer sur cette demande » . Puis elle relève que l’objectif de rapporter la décision du 17 août 2020 « ne pourrait être que très difficilement atteint par une convocation anticipée de l'assemblée générale » et que cet objectif « est de toute évidence de nature à déstabiliser inutilement la société à quelques semaines de son assemblée annuelle » ; elle ajoute que le conseil de surveillance en sa composition actuelle est en mesure de remplir ces missions. Puis elle conclut : « Il n'est pas démontré que les demandes des sociétés Amber Capital et Vivendi tendent à des fins conformes à l'intérêt social » . L’arrêt affirme ainsi que, lors- qu’un actionnaire exerce un droit qui lui est conféré par la loi, il n’est pas présu- mé agir dans l’intérêt de la société ; pour exercer son droit, il doit démontrer qu’il agit dans l’intérêt social. 18. - Nous ne pensons pas qu’une bonne gouvernance repose sur la considé- ration que, sauf preuve contraire, les actionnaires n’agissent pas dans l’intérêt social. La charge de cette preuve révèle l’existence d’une sorte de présomp- tion prétorienne selon laquelle l’actionnaire qui exerce légitimement son droit ne l’exerce pas dans l’intérêt de la société ; il lui incombe de renverser cette présomption en démontrant que l’exercice légitime de son droit tend à des fins conformes à l’intérêt social. Une telle présomption inédite fait abstraction du constat fondamental selon lequel la valeur de l’investissement de l’actionnaire dans la société dépend d’abord de la prospérité de celle-ci de sorte que l’ac- tionnaire qui exerce ses droits ne peut être présumé agir contre l’intérêt de la société duquel le sien dépend. Il serait dès lors logique et naturel de considérer que l’actionnaire exerce ses droits dans l’intérêt social, sauf si son contradic- 18. En l’espèce, les deux décisions ont octroyé au gérant la garantie d’un mandat de quatre années. 19. T. com. Paris, ord. réf., 26 avr. 2019, n° 2019023102 : BJS juin 2019, n° 119v2, p. 23, note Ph. Merle. 20. Eurafi est une SARL mais les faits du conflit l’ayant concerné peuvent se reproduire à l’identique dans une société par actions simplifiée. 21. Cass. com., 20 févr. 2019, n° 17-12.050 : JurisData n° 2019-002665 ; Dr. sociétés 2019, comm. 82 ; BJS sept. 2019, n° 120a9, p. 42, note J.-F. Barbièri. teur démontre qu’ils sont exercés de façon abusive, frauduleuse ou fautive. Lorsque le juge constate que l’actionnaire exerce ses droits de façon légitime dans le respect des textes conférant ces droits, il lui appartient d’accueillir sa demande et non de brider ses droits et de s’inviter dans la gouvernance de la société 18 . 19. - C’est en parfaite connaissance de sa mission que le président du tribunal de commerce de Paris a rendu une habile ordonnance le 26 avril 2019 19 dans un conflit entre un actionnaire et certains administrateurs. Le juge avait été saisi d’un référé d’heure à heure par certains dirigeants de la société Essilor- Luxottica dans les circonstances suivantes : l’actionnaire italien avait enga- gé à l’encontre de cette société une procédure d’arbitrage. La société devait donc choisir son arbitre, son avocat et les moyens de sa défense. Ces choix relevaient du conseil d’administration. Or, cet organe était composé de façon égale de représentants de l’actionnaire italien demandeur en arbitrage et des actionnaires français. Cette parité et la rivalité qui régnait empêchaient tout accord sur les choix précités. L’ordonnance nomme un mandataire ad hoc avec mission : i) de procéder à la désignation d’un arbitre pour le compte de la société EssilorLuxottica, ii) de désigner le conseil de celle-ci et iii) d’arrêter la politique de défense à mettre en œuvre pour cette société. L’ordonnance précise que, pour l’exécution de sa mission, « le mandataire ad hoc prendra l'attache des administrateurs, ensemble ou séparément, afin de favoriser et, le cas échéant, de parvenir à une décision non contestée du conseil d’admi- nistration » . Il convient de saluer cette ordonnance qui, sans se placer sur le terrain d’un intérêt social et sans écarter le conseil d’administration de la gouvernance de la société, ordonne des mesures équilibrées de préservation des droits en conflit. B. - Les conflits entre actionnaires 20. - De tels conflits, en tant qu’ils portent sur la gouvernance de la socié- té, sont rarement portés devant les tribunaux : leur résolution passe par des décisions prises en assemblée générale. La majorité décide, sauf abus, des modalités et des conditions dans lesquelles la gouvernance est assurée. 21. - Certains conflits portent sur les conditions dans lesquelles les assem- blées ont pris une décision. Eurafi 20 compte deux associés : M. W. détenant 70 % des parts et Mme M. en détenant 30 %. Jusqu’en 2008, chaque associé est cogérant, puis la gérance est assurée par M. W. Les statuts mentionnent à l’ar- ticle 15 : « Toutes les décisions collectives devront être prises d'un commun accord entre les associés » . M. W., sans l’accord de Mme M., décide lors des assemblées tenues de 2009 à 2012 d’augmenter sa rémunération de 100 % sur la période considérée. Mme M. assigne M. W. et la société : elle de- mande notamment l’annulation de ces décisions prises en violation de l’article 15 des statuts ainsi que le remboursement des rémunérations versées. La cour d’appel les annule et ordonne le remboursement demandé. La Cour de cassation, le 20 février 2019 21 , casse l’arrêt en ce qu’il annule les décisions d’augmentation des rémunérations de M. W. ; la décision, rendue au visa de l’article L. 235-1 du Code de commerce, énonce que « le non-respect des stipulations contenues dans les statuts ou dans le règlement intérieur n'est

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