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STRATÉGIED'ENTREPRISE 74 De quelques conflits récents au sein des sociétés par actions Étude rédigée par Dominique Schmidt, agrégé des facultés de droit © Droits réservés Cette étude revient sur les conflits internes à la socié- té, c’est-à-dire opposant des actionnaires entre eux, des dirigeants entre eux, ou les premiers aux seconds. Elle distingue les conflits d’intérêts, les conflits sur la gouver- nance et les conflits sur la stratégie de la société. 1. - Le propos a pour objet des conflits internes à la société, c’est-à-dire opposant des actionnaires entre eux, des dirigeants entre eux, ou les premiers aux seconds. Il présente les conflits résolus ou apparus au cours des deux années écoulées, en opérant un choix selon leur impact juridique et/ou mé- diatique 1 . Enfin, le propos concerne le droit des sociétés et n’aborde ni l’appli- cation d’autres branches du droit ni l’implication des pouvoirs publics. Dans ce cadre, on distingue les conflits d’intérêts, les conflits sur la gouvernance et les conflits sur la stratégie de la société. 1. Les conflits d’intérêts 2. - On s’accorde à considérer, avec des nuances, que le conflit d’intérêts naît cumulativement i) de la coexistence en une même personne de deux intérêts - un intérêt personnel et un intérêt dont elle a la charge, ii) de l’opposition de ces deux intérêts et iii) de l’influence de son intérêt personnel sur le traitement de l’autre intérêt. Cette situation conflictuelle peut concerner aussi bien un administrateur qu’un actionnaire. A. - L’administrateur 3. - Le tribunal de commerce de Paris, par jugement du 10 novembre 2020 2 , caractérise un conflit d’intérêts affectant la personne de M. D qui est, en même temps, administrateur à titre personnel de la société Scor et président de la société Covéa qui détient 8 % du capital de Scor et en est son princi- pal actionnaire. En juillet 2018, le Crédit Suisse présente à Covéa une étude relative principalement à un rapprochement entre Covéa et Scor. Concomi- tamment le comité stratégique de Scor, auquel participe M. D, examine le 25 juillet 2018 une étude détaillée et confidentielle établie par la banque Citi sur un projet de rapprochement entre Scor et Partner Re, et décide d’évoquer à nouveau cette question le 30 août 2018. Début août, Covéa mandate trois Ndlr : publié in JCP E 2021, 1067. 1. I. Chaperon, Putschs, raids et coups fourrés, le capitalisme français sent la poudre : Le Monde, 23 janv. 2021. 2. T. com. Paris, 10 nov. 2020, n° 2019036759 : BJS janv. 2021, n° 121q9, p. 19, note B. Fages. - V. également, JCP E 2020, 1553 à 1558. 3. Scor reproche à M. D de n’avoir pas signalé son conflit d’intérêts, d’avoir violé ses obligations de garder confidentiels les documents reçus en qualité d’administrateur, de n’avoir pas agi dans l’intérêt de Scor et d’avoir violé le secret des affaires. banques pour étudier les modalités d’une OPA sur les titres Scor ; le conseil d’administration de Covéa approuve l’opération le 23 août et son président transmet dès le lendemain au président de Scor une lettre confidentielle por- tant son intention amicale de lancer une offre publique d’achat. Cette offre, subordonnée à l’accord préalable du conseil d’administration de Scor, est rejetée le 30 août 2018. Scor saisit le tribunal de commerce de Paris d’une action en responsabilité à l’encontre de M. D lui reprochant plusieurs fautes 3 ; l’une de ces fautes consiste en la violation de son obligation de révéler à Scor la situation de conflit d’intérêts dans laquelle il se trouve. 4. - Les trois éléments constitutifs du conflit d’intérêts sont réunis. En pre- mier lieu, deux intérêts coexistent en la personne de M. D, celui d’administrer Scor et celui de diriger Covéa. En deuxième lieu, le tribunal constate que ces deux intérêts sont en opposition. Il retient que M. D : « a été informé, le 18 juin par une lettre du président de SCOR, qu'au comité stratégique du 25 juillet 2018 serait analysée une étude de la banque d'affaire Citi relative à quatre différents scénarios de consolidation du secteur des assurances dont un rapprochement entre Scor et Partner Re.... que, dès lors que, au même moment, M. D, en tant que président de Covéa, faisait étudier par sa banque conseil le Crédit Suisse une prise de contrôle de Scor, opération qui aurait été rendue impossible si, avant son lancement, cette dernière avait fusionné avec Partner Re, il ne pouvait donc pas examiner de manière objective dans le seul intérêt de Scor l'étude de Citi alors qu'elle allait à l'encontre de l'étude qu'il faisait mener en tant que président de Covéa de prise de contrôle de Scor » . Cet attendu caractérise l’opposition des intérêts en ce qu’il relève que le projet de prise de contrôle et le rapprochement envisagé avec Partner Re sont in- compatibles puisque l’OPA empêche ce rapprochement lequel empêche l’OPA s’il intervient avant le lancement de celle-ci. En troisième lieu, le tribunal re- tient que l’intérêt personnel de M. D influence l’exercice impartial et objectif de sa mission d’administrateur ; il énonce « qu'il est évident qu'une personne, mandataire social d'une entreprise projetant de faire une OPA sur une société dont elle est administrateur, ne peut qu'être influencée dans l'exercice de cette mission par la prise en compte de l'objectif poursuivi par la société qu'il préside ; que son indépendance de jugement, à l'égard de la société dont il est administrateur, est nécessairement affectée dans une situation de ce type par sa qualité de dirigeant de la société qui souhaite prendre le contrôle » .

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