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39 ments trahissent le fait que le dispositif a surtout été pensé en contemplation des valeurs mobilières. D’abord, le règlement ne prend aucune précaution relative à la transférabilité des créances, dont la cessibilité peut pourtant être entravée conventionnellement (C. civ., art. 1321) 59 . Ensuite, la gestion de por- tefeuille de prêts suppose que l’investisseur soit « un prêteur initial » 60 , ce qui l’empêchera de dynamiser le marché secondaire des créances. Enfin, le règlement veille avec un soin tout particulier à ce que le tableau d’affichage ne constitue pas une véritable plateforme de négociation, or cette qualifica- tion n’a de sens qu’à l’égard des instruments financiers, et non des créances ordinaires. 26. - Les textes précisent ainsi que le tableau ne doit pas comporter « un système interne d'appariement » , ni fonctionner « d'une manière qui aboutisse à la conclusion d'un contrat » 61 . La formule s’oppose point à point à la défini- tion du système multilatéral au sens de la directive MIF 2 62 , mais correspond au « tableau d'affichage » qu’évoque le règlement (UE) n° 600/2014 dit MIF du 15 mai 2014, qui le décrit comme un mécanisme « où il n'y a pas de véritable exécution ou organisation des transactions » (consid. 8) . À en croire les au- torités de régulation, la qualification de système multilatéral s’imposerait dès qu’est mis en œuvre un procédé de rapprochement des ordres, quand bien même l’accord des parties serait ensuite formalisé et exécuté de manière bi- latérale 63 , mais aussi lorsque le dispositif, sans appairer lui-même les ordres, offre aux parties un moyen de communiquer entre elles ou de recevoir des notifications 64 . Autrement dit, un « tableau d'affichage » tomberait dans le domaine de la directive MIF 2 – et donc dans le monopole des entreprises d’investissement et des entreprises de marché – s’il facilitait en quoi que ce soit l’interaction entre acquéreur et vendeur. 27. - À la réflexion, tout cela paraît bien rigoureux. Les PSFP sont en effet habilités à rendre un service de RTO, dont la directive MIF 2 indique qu'il inclut la « mise en relation de deux ou plusieurs investisseurs permettant ainsi la réalisation d'une transaction » 65 . L’AMF affirmait elle-même récemment que les conseillers en investissement financier pourraient, en tant qu’ils sont habilités à fournir un service de RTO, administrer des « plateformes OTC » , ces dernières étant décrites comme des « lieux d'échange permettant à deux parties aux intérêts contraires d'entrer en relation, de convenir bilatéralement d'un prix entre elles et [de] conclure leur transaction » 66 . Si une approche restrictive devait néanmoins s’imposer, il est à craindre que la mise en place d’un tableau d’affichage ne suffise pas à conjurer le risque d’illiquidité, d’au- 59. Il ne s’agit pas là d’une particularité française, V. M. Renfert et J.-P. Brun, Les clauses prohibant la cession de créances en droit français et en droit comparé : RTDF, 2009-3, p. 37. – F.-X. Licari, L’incessibilité conventionnelle de la créance : RJ com. 2001, p. 65, n° 4. 60. PE et Cons. UE, règl. (UE) 2020/1503, art. 2, 1, c. 61. PE et Cons. UE, règl. (UE) 2020/1503, art. 25, 2. 62. Dir. 2014/65/UE, art. 4, 19 à 23. 63. ESMA, Questions and Answers On MiFID II and MiFIR market structures, 29 mai 2020, quest. 10, p. 44. 64. AMF, Précisions relatives à la notion de plate-forme de négociation : DOC-2020-02, p. 3. – ESMA, Consultation Paper On the functioning of Organised Trading Facilities (OTF), 25 sept. 2020, ESMA70-156- 2013, n° 43 : « any system that allows [...] information exchange between parties on essential terms of a transaction (being price, quantity) with a view to dealing in those financial instruments is sufficient to require authorisation as a trading venue ». – V. également n° 80, excluant « any notification of any potential match between buying and selling interests in the system ». 65. Dir. 2014/65/UE, consid. 44. 66. AMF, État des lieux et analyse relative à l’application de la réglementation financière aux security tokens, mars 2020, pt. 3.3.1, p. 16-17. Le raisonnement n’est pas propre aux titres inscrits en blockchain. 67. PE et Cons. UE, règl. (UE) 2020/1503, art. 25, 1. 68. La société AM France (Alternativa) exploitait une plateforme de financement adossée à un système multilatéral de négociation (elle était agréée en qualité de PSI et les titres étant inscrits auprès d’Euroclear France). Elle a fait faillite en 2017. 69. PE et Cons. UE, règl. (UE) n° 909/2014, 23 juill. 2014, art. 3, 2, al. 1er concernant l’amélioration du règlement de titres dans l’Union européenne et les dépositaires centraux de titres, et modifiant les directives 98/26/CE et 2014/65/UE ainsi que le règlement (UE) n° 236/2012 : JOUE n° L 257, 28 août 2014, p. 1. 70. D. Poracchia et Th. Granier, La réforme des bons de caisse, une ouverture maîtrisée aux fintech ?, Mél. J.-J. Daigre : Joly éd., 2017, p. 549, spéc. p. 560. tant que seuls pourraient y être offerts les actifs « initialement proposés sur [la] plateforme » 67 , ce qui condamne le marché secondaire du financement participatif à une très forte fragmentation. 28. - Reste alors à savoir si les titres émis dans le cadre du financement participatif pourraient être accueillis sur de véritables plateformes de négo- ciations 68 . Cela est exclu dans le régime français actuel, qui ne concerne que des titres « qui ne sont pas admis aux négociations sur un marché réglementé ou un système multilatéral de négociation » (C. mon. fin., art. L. 411-2, 2°, a) . Mais le règlement (UE) 2020/1503 du 7 octobre 2020 ne comporte aucune exclusion de ce type. Son considérant 28 évoque l’inscription des titres au- près d’un dépositaire central, dont on sait qu’elle est un prérequis à l’admis- sion sur une plateforme 69 , et son considérant 55 indique même qu’un PSFP n’est pas autorisé à mettre en place un système d’appariement d’ordres, « à moins [qu'il] dispose également d'un agrément distinct en tant qu'entreprise d'investissement [...] ou en tant que marché réglementé » . Mais si le marché secondaire est organisé comme un modèle réduit des marchés financiers classiques, le crowdfunding ne risque-t-il pas de perdre son originalité – et en fin de compte son sens ? Comme le relèvent deux auteurs : « Il convient de rappeler qu'en matière de financement participatif, il s'agissait à l'origine d'organiser le financement d'un entrepreneur et non pas de mettre sur pied des produits attractifs pour les investisseurs et destinés à circuler. Même si ces deux volets ne s'opposent pas forcément, il va falloir veiller à un certain équilibre » 70 . L’ESSENTIEL À RETENIR – L ’UE se dote d’un régime unique pour le financement participatif avec l’adoption du règlement (UE) 2020/1503 et de la directive (UE) 2020/1504. L’entrée en vigueur de ce régime est prévue pour le 10 novembre 2021. – Ce nouveau régime créé un statut de prestataire de services de financement participatif (PSFP) avec le bénéfice du passeport européen. – Il crée l’obligation pour les prestataires déjà en activité d’obtenir un agrément d’ici au 10 novembre 2022. – Enfin, il prévoit un plafond unique de 5 millions d’euros pour le financement par prêt et par émission de valeurs mobilières.

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