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33 que, la dette étant née avant la date de la cession, le débiteur originaire y est tenu. De manière plus concrète, cela revient à distinguer selon le mode d’exécution du contrat. Dès lors, si la dette à échoir procède d’un contrat à exécution successive, tel un contrat de crédit-bail ou de location financière, le cédant ne devrait pas être tenu des dettes futures car il s’agit de prestations qui naissent au fur et à mesure de leur apparition. En revanche, s’il s’agit d’un contrat à exécution échelonnée dans le temps, tel un contrat de prêt, alors le cédant pourra être tenu des dettes à échoir puisqu’elles découlent d’une pres- tation unique, née avant la cession mais dont l’exécution est découpée dans le temps 31 . Effectivement, le contrat à exécution échelonnée dans le temps doit être assimilé à un contrat à exécution instantanée au sens de l’article 1111- 1, alinéa premier, du Code civil 32 . Toujours est-il que, dans le flou du texte, il sera opportun pour le créancier de préciser contractuellement la portée de la libération du débiteur originaire pour l’avenir. 12. - La non-libération du cédant. - Le créancier peut souhaiter ne pas libérer le cédant. Dans un tel cas, la cession de dette opérera adjonction d’un débiteur. Selon l’article 1327-2 du Code civil, ils seront tenus solidairement de la dette, sauf clause contraire. Cela veut dire qu’à défaut de stipulation, le créancier devrait pouvoir poursuivre l’un ou l’autre des débiteurs de son choix pour l’intégralité de la dette. En effet, le terme « solidairement » indique de faire une analogie avec les règles relatives à la solidarité passive, lesquelles permettent au créancier d’exiger la totalité du paiement envers le codébi- teur de son choix. Il n’y a donc théoriquement pas de priorité des poursuites obligeant le créancier à demander d’abord paiement auprès du cessionnaire avant de se diriger vers le cédant. Mais, par mesure de sécurité, peut-être serait-il prudent de le préciser dans l’acte si telle est la volonté du créancier. 13. - Le sort des sûretés. - L’un des enjeux les plus cruciaux liés à la libéra- tion ou non du débiteur originaire concerne le sort des sûretés, qu’il s’agisse de celles qui ont été consenties par le débiteur ou par des tiers. La solution est contenue à l’article 1328-1 du Code civil. Une attention particulière doit être accordée sur ce point par le créancier qui libère le cédant car, dans un tel cas, il faut nécessairement prévoir un report conventionnel des sûretés pour garantir la dette du cessionnaire. Il serait donc opportun de conditionner la libération du débiteur originaire soit au report conventionnel des sûretés 33 , soit à la constitution de nouvelles sûretés. Il serait également possible de conditionner la cession de dette à la garantie consentie par le cédant, qu’il s’agisse d’une garantie de solvabilité du cessionnaire 34 ou d’une autre garan- tie (garantie autonome, par exemple). Malgré de telles conditions, le sort du débiteur originaire serait toujours préférable à celui qui découle d’une cession non libératoire. En effet, dans la cession non libératoire le cédant reste soli- 31. Cass. 1re civ., 5 juill. 2006, n° 05-10.982. 32. Malheureusement, l’article 1111-1 du Code civil n’exprime pas le caractère dualiste des « contrats successifs » (V.-G. Brière de l’Isle, De la notion de contrat successif : D. 1957, chron. p. 153) entre, d’une part, ceux qui s’exécutent de manière continue et, d’autre part, ceux qui s’exécutent de manière échelonnée, que la doctrine avant la réforme avait pourtant l’habitude de mentionner (M.-L. Cros, Les contrats à exécution successive : D. 1989, chron. p. 49). Certains auteurs critiquent donc à juste titre le texte tel qu’il est actuellement rédigé (V. not. M. Latina, G. Chantepie, Le nouveau droit des obligations : Dalloz, 2e éd., 2018, n° 160, p. 148). Donc, s’il fallait rattacher le contrat à exécution échelonnée à l’une des qualifications de l’article 1111-1, ce serait davantage à son premier alinéa qu’à son second (en ce sens, Y. Lequette, F. Terré, P. Simler, F. Chénédé, op. cit., n° 105, p. 124). 33. Sur cette idée : Y. Lequette, F. Terré, P. Simler, F. Chénédé, op. cit., n° 1750, p. 1822. 34. Comp. avec C. civ., art. 1337, al. 2 en matière de délégation novatoire, duquel il devrait être possible de s’inspirer pour la cession de dette. 35. Cass. 1re civ., 11 déc. 2019, n° 18-16.147 : JurisData n° 2019-022350 : « la cour d’appel a exactement retenu qu’en ce qu’elle constitue une exception purement personnelle au débiteur principal, procédant de sa qualité de consommateur auquel un professionnel a fourni un service, la prescription biennale prévue à l’article L. 218-2 du code de la consommation ne pouvait être opposée au créancier par la caution ». 36. Cass. com., 15 mai 2019, n° 17-27.686 : JurisData n° 2019-008018. – M. Latina, L’opposabilité des exceptions inhérentes à la dette à l’épreuve de la procédure civile : RDC 2019/03, p. 29. – H. Barbier, Des qualités pour agir et pour défendre du cessionnaire d’une créance : RTD civ. 2019, p. 584. 37. Sous réserve de l’application des dispositions du Code de procédure civile. 38. TGI Nanterre, 1re ch. A, 10 sept. 2003, n° 02/03296 : JurisData n° 2003-221400 ; Contrats, conc. consom. 2004, comm. 13, note G. Raymond. – V. aussi C. consom., art. L. 132-1 ancien, al. 3, annx., 1, b dans sa version du 23 août 2001 (L. n° 2001-741, 23 août 2001). 39. Sur le fondement de l’ancien art. L. 442-6-I, 2° du Code de commerce : T. com. Lille, 6 janv. 2010, n° 2009/5184. daire du débiteur, de sorte qu’il peut être actionné à n’importe quel moment. En revanche, dans la situation précédemment décrite, sa libération est condi- tionnée à une garantie quelconque de sa part, de sorte qu’en tant que garant, son engagement devient théoriquement accessoire. Dès lors, il ne devrait être poursuivi qu’en cas d’inexécution de la part du cessionnaire. Certes, dans cette hypothèse, sa libération reste relative, mais il passe de débiteur princi- pal à débiteur accessoire, ce qui est toujours préférable et constitue un bon compromis entre les intérêts de la banque qui doit réduire le risque d’impayé et ceux du débiteur originaire dont la situation s’améliore par l’effet de la cession. 14. - Le sort des exceptions. - Au regard de l’effet translatif de la ces- sion de dette, le cessionnaire est en droit d’opposer au créancier toutes les exceptions inhérentes à la dette ainsi que celles qui lui sont personnelles (C. civ., art. 1328), sauf celles qui sont purement personnelles au cédant 35 . Il faut néanmoins préciser que la jurisprudence encadre désormais l’usage de certains moyens de défense par le débiteur cédé, du moins concernant la cession de créance. La Cour de cassation a ainsi décidé que la cession de créance ne transmettait pas au cessionnaire la qualité pour défendre, en l’ab- sence du cédant, contre une demande en résolution formulée par le débiteur cédé 36 . Dès lors, ce dernier aurait dû agir contre le cédant. Mais une analogie serait-elle possible avec la cession de dette ? La réponse est certainement négative car ce qui explique la solution précitée à propos de la cession de créance est que le nouveau créancier ne reçoit pas la qualité de contrac- tant mais seulement celle de cessionnaire. Or, dans la cession de dette, le créancier – cédé – reste justement le contractant originaire, de sorte qu’en cas d’action en paiement engagée par lui, le cessionnaire pourrait théorique- ment lui opposer utilement la résolution du contrat sans avoir à appeler le cédant à l’instance 37 . Ainsi, dans la cession de dette, les exceptions tenant à l’anéantissement de l’obligation semblent plus efficaces. Mais, de manière plus radicale, il devrait être possible au créancier de stipuler dans l’acte de cession une clause de renonciation aux exceptions. À ce titre, l’article 1328 du Code civil n’est sans doute pas d’ordre public. Toutefois, il faudrait prendre garde au déséquilibre significatif, notamment si la clause prive le cessionnaire de tout moyen de défense contre le créancier. Pareillement si les stipulations conduisent à une absence de réciprocité dans les prérogatives. Par exemple, en s’inspirant de la jurisprudence consumériste 38 et commerciale 39 , les juges pourraient sanctionner, sur le fondement de l’article 1171 du Code civil, les clauses supprimant au cessionnaire le droit à compensation légale alors que le créancier peut compenser à son profit une dette avec celle que lui doit l’autre partie.
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