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20 ASSURANCE-VIE de la désignation d’un seul des enfants, et celle d’une mauvaise rédaction de la clause bénéficiaire, visant par exemple les enfants de l’assuré, sans représentation possible. Dans ce dernier cas, la souche du prédécédé aurait été simplement victime d’une mauvaise rédaction de la clause, qui n’aurait pas anticipé le décès de l’enfant un an avant celui de son auteur, et non d’une quelconque volonté spoliatrice... Faut-il considérer alors qu’à investisse- ment égal, dans le premier cas, les primes sont manifestement exagérées et qu’elles ne revêtent pas cette qualification dans le second ? 19. - On ne peut s’empêcher de penser que, dans cette affaire, les juges du fond ont constaté l’existence d’une situation (versement d’une prime unique, désignation d’un seul des enfants) répétée plusieurs fois et les effets de celle- ci (l’attribution d’une part importante du patrimoine à une seule souche) pour considérer qu’il y avait là une seule et même opération. Si l’effet de celle-ci avait été moins fort, si donc les primes versées n’avaient, par exemple, re- présenté que 30 % du patrimoine successoral, les primes auraient-elles été considérées comme exagérées ? On peut en douter dans ce cas, en raison de la référence, que la Cour de cassation n’a pas jugé surabondante, au patri- moine successoral... 2. Le rapport des primes 20. - L’arrêt présente un grand intérêt en ce qu’il précise clairement l’objet de la réintégration. A. - Toutes les primes mais que les primes 21. - Sans aucun doute, compte tenu de la rédaction de l’article L. 132-13 du Code des assurances, la valeur de la garantie ne peut être prise en compte, en application de ce texte, dans le traitement liquidatif. On y verra une autre différence avec la requalification en donation indirecte ou déguisée qui porte sur l’intégralité des sommes perçues par le bénéficiaire 15 . C’est sur ce terrain que l’arrêt rendu par la cour d’appel de Douai est cassé. Les juges du fond s’étaient fourvoyés en ordonnant « le rapport à succession des assurances-vie concernées ainsi que des intérêts courus depuis la perception des fonds » . Pour la Cour de cassation, seul le montant des primes versées manifestement exagérées devait être intégré aux opérations liquidatives. 22. - L’intérêt de cette précision est double en ce que, selon la Cour de cas- sation, c’est clairement toute la prime qui est à réintégrer et non sa frac- tion manifestement exagérée. Or, cette position n’a rien d’évident en ce que l’application de l’article L. 132-13 du Code des assurances exige d’être en présence d’un contrat d’assurance véritablement aléatoire, de sorte qu’il est certain qu’une fraction de la prime exagérée est de nature à couvrir un risque. Sur ce point, l’arrêt conforte la position d’une forte doctrine selon laquelle c’est toute la prime exagérée qui doit être réintégrée et non pas seulement 15. V. Guide de l’assurance-vie 2020/2021 : préc., n° 913. - M. Leroy, Assurance-vie et gestion de patrimoine : Lextenso, 2 e éd., 2014, n° 787. - Ch. Lesbats et X.-E. de la Robrie, Assurance-vie et pratique notariale : Cridon Ouest, 2016, n° 513. 16. Dans le sens d’une intégration limitée à l’excès, V. M. Picard et A. Besson, Les assurances terrestres, t. I, Le contrat d’assurance : LGDJ, 1982, n° 520. - C. Béguin, Les contrats d’assurance sur la vie et le droit patrimonial de la famille : th., Paris II, 2011, n° 317. - Y. Lambert-Faivre, Droit des assurances : Dalloz, 13 e éd., 2011. - S. Prigent, Le traitement des primes manifestement exagérées : JCP N 2006, n° 11, 1177. - Ch. Lesbats et X.-E. de la Robrie, Assurance-vie et pratique notariale : Cridon Ouest, 2016, n° 530 ; Lamy Assurance 2016, n° 4149 ; Francis Lefebvre, Mémento pratique patrimoine, 2013-2014, n° 28519. Pour l’intégration de la totalité de la prime : M. Leroy, Assurance-vie et gestion de patrimoine : Lextenso, 2 e éd., 2014, n° 770. - S. Hovasse : RFP, janv. 2013 ; B. Beignier : Dr. famille 1997, p. 20. - J.-M. Ohnet, Rapport des primes manifestement exagérées et requalification en donation : D&P oct. 2012, p. 65. 17. V. Cass. 1 re civ., 1 er juill. 1997, n° 95-15.674 : JurisData n° 1997-003161 ; Bull. civ. 1997, I, n° 217 ; JCP N 1997, II, p. 1502. - Cass. 1 re civ., 31 oct. 2007, n° 06-14.399 : JurisData n° 2007-041108 ; Bull. civ. I, n° 341. - Cass. 1 re civ., 19 déc. 2012, n° 11-25.505 : JurisData n° 2012-030506. - Cass. 2 e civ., 7 juill. 2016, n° 15-21.351. 18. V. Fr. Fruleux, Le régime fiscal des primes d’assurance-vie exagérées sujettes à rapport : JCP N 2014, n° 28, 1247. 19. V. Guide de l’assurance-vie 2020/2021 : préc., n° 909. la fraction exagérée de celle-ci 16 . La solution n’est certes pas nouvelle, mais elle a le mérite de la clarté, ce qui n’est pas forcément le cas des décisions antérieures rendues par la Haute Juridiction 17 . REMARQUE : Une telle analyse est logique : le fait qu’une partie des primes était de nature à couvrir le risque de survie n’exclut pas l’intention libérale lors de leur versement. B. - L’imputation des primes 23. - Lorsque le bénéficiaire est un héritier légal, les primes manifestement exagérées sont, en jurisprudence, soumises à rapport comme le serait une donation indirecte. Leur valeur est intégrée dans la masse à partager et s’im- pute en moins prenant dans le lot de ce copartageant. Contrairement à la requalification de l’opération en donation indirecte ou déguisée, ce traitement liquidatif réservé à la prime n’induit nullement la perte du régime fiscal spéci- fique dont bénéficie la perception de la garantie décès 18 . 24. - Si, en revanche, le bénéficiaire est un tiers, la valeur de la prime s’impute sur la quotité disponible et est réductible pour la fraction qui excède celle-ci 19 . Cet arrêt s’inscrit dans cette analyse, en ordonnant le rapport des primes. A priori , cette analyse pourrait paraître logique : selon l’article 843 du Code civil, l’héritier doit rapporter à ses cohéritiers tout ce qu’il a reçu du défunt, par donations entre vifs, directement ou indirectement. 25. - Toutefois, le disposant choisit de souscrire une assurance-vie, alors que le versement de la prime ne présenterait, par hypothèse, pas d’utilité pour lui. Il nous semble impossible de ne pas en tenir compte : le choix d’un tel contrat, avec rédaction immédiate d’une clause bénéficiaire au profit d’un seul enfant, marque la volonté de favoriser ce descendant par rapport aux autres, puisqu’au décès de l’assuré, la garantie profitera intégralement à ce descendant, sans que cette valeur intègre la masse à partager. 26. - C’est d’ailleurs ce que relèvent les juges du fond pour justifier le carac- tère exagéré du versement. Ne faudrait-il pas alors en tirer pleinement les conséquences ? Le choix du contrat d’assurance-vie avec une clause béné- ficiaire excluant volontairement certains héritiers atteste d’une intention de rompre l’égalité entre eux. Pour la cour d’appel de Douai, « Alors que Mme D... ne conteste pas que les assurances-vie ne peuvent être requalifiées en donation, elle ne démontre pas être légataire de la quotité disponible de la succession et ne justifie pas d’une volonté expresse du souscripteur de la gratifier d’une donation hors part successorale » . 27. - Une telle rédaction devrait être exclusive de toute idée de rapport, d’au-

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